Comment nous avons passé à l’échelle la recherche utilisateur chez Meilleurs Agents
Il y a un an et demi, Thomas Pitou, ancien Product Designer, vous détaillait la façon dont nous organisons les tests utilisateurs.
Je vous propose aujourd’hui un bond en avant afin de vous présenter l’évolution de notre organisation autour de la recherche utilisateur.
Ces changements dans nos façons de faire de la recherche sont les fruits de deux facteurs :
- Le doublement du nombre d’Impact Teams. Passer de 3 à 6 équipes a mis en exergue certaines limites dans notre organisation.
- Le changement de nos habitudes de travail. Le covid nous a poussé à revoir nos habitudes et process qui étaient essentiellement basés sur la rencontre physique avec l’utilisateur.
La recherche utilisateur, plus que jamais essentielle
Le mois de septembre 2019 marque l’acquisition de Meilleurs Agents par le groupe Axel Springer avec l’ambition de devenir l’acteur n°1 dans l’immobilier en Europe. Ce rachat, combiné à notre croissance très rapide liée à notre accélération constante nous a confronté à de nouveaux défis : nous allions continuer à avoir plus d’équipes, un scope plus large et aussi des objectifs financiers plus importants.
Afin d’atteindre nos objectifs et de toujours innover, la recherche utilisateur a été clé
Rester proches de nos utilisateurs et comprendre leurs problématiques sont des facteurs qui nous ont permis de lancer rapidement de nouveaux produits. Pour cela nous avons écarté les idées avec le moins de potentiel et dérisqué les points les plus importants des autres.
Un coup d’œil dans le rétro ?
L’organisation que nous avions jusqu’à fin 2019 était adaptée à la taille réduite de l’équipe Produit (3 impact teams avec 6 product managers et 3 product designers) et nous a permis de systématiser la recherche utilisateur. Elle a aussi contribué à la progression de l’équipe sur la recherche utilisateur.
Cette organisation peut être résumée en quatre points :
- Tester systématiquement. Des tests utilisateurs systématiques étaient organisés mensuellement. Les équipes mutualisaient leurs sujets afin de profiter des 45 minutes de présence de nos testeurs car nous avions à cette époque peu de choses à tester.
- Diffuser en direct. Une diffusion en direct se tenait dans une salle d’observation avec des personnes chargées de prendre des notes sur un tableau.
- Partager largement les résultats. Les résultats étaient partagés à l’équipe projet et aux parties prenantes.
- Adapter nos recherches en fonction du contexte. Les Problem Interviews, Solution Interviews ou autres activités de recherche utilisateur étaient elles organisées de façon ponctuelle par les équipes en fonction des besoins.
Certaines limites commencent à apparaître
- Nous devions prioriser les sujets à tester pour de mauvaises raisons. Avoir des tests utilisateurs une fois par mois, coordonnés avec les autres Impact Teams nous obligeait à choisir les sujets que nous voulions tester. Cela aurait pu nous obliger à retarder certains sujets qui n’avaient pu être testés ou à prendre plus de risques en développant des interfaces qui n’avaient pas encore été testées. Évidemment, aucune de ces deux solutions n’étaient satisfaisantes.
- Le temps de coordination s’allongeait. Nous passions de plus en plus de temps à nous coordonner entre équipes pour faire des tests utilisateurs. Ce temps aurait pu être mis à profit pour faire plus de recherches.
- Notre organisation nous empêchait de faire des tests utilisateurs à distance : testeurs dans nos locaux, salle de diffusion, prise de notes sur un tableau. En période de covid, c’était particulièrement limitant.
- La conservation et exploitation des connaissances n’était pas optimale. Les résultats des recherches étaient disséminés entre Google Drive et Notion dans les dossiers de chaque initiatives. Retrouver ces connaissances quelques années plus tard n’est pas une mince affaire.
Ces limitations nous ont poussé à revoir notre organisation.
Une nouvelle organisation pour la recherche utilisateur qui repose sur 4 principes
L’autonomie
Nos équipes sont composées de deux product managers et d’un ou une product designer. Les niveaux de séniorité sont équilibrés entre les équipes de façon à ce que chacune d’entre elles puisse être autonome sur la recherche utilisateur qu’elle veut mener. De cette façon, nous sommes assurés que chaque équipe peut traiter n’importe quel sujet sans faire d’impasse sur la recherche. Cette autonomie réduit grandement le coût de synchronisation entre les équipes.
Nous nous sommes aussi donné les moyens de pouvoir tester facilement :
- nous travaillons avec Testing Time, une entreprise qui nous permet de recruter facilement des testeurs ;
- chaque personne de l’équipe est formée pour pouvoir faire de la recherche utilisateur en autonomie ;
- l’entreprise incite ces pratiques en les valorisant.
La contribution
Le risque principal avec les équipes autonomes est de créer des silos de connaissance et de s’écarter des bonnes pratiques en matière de recherche utilisateur. C’est pourquoi nous avons mis en place un système de prise de retour au sein de l’équipe, ce système se rapproche de celui des pull request pour les développeurs : toute équipe qui travaille sur une trame d’interview doit la partager au reste de l’équipe. Cela permet aux personnes qui partagent de faire connaître leur sujet et d’obtenir des retours constructifs.
Pour les personnes à qui ces trames sont partagées, cela permet d’avoir une bonne vision de ce qui se fait dans les autres équipes, d’exercer son œil critique, de poser des questions et de s’inspirer des bonnes pratiques.
Le partage
Chaque série d’interviews, quel que soit le format utilisé, doit faire l’objet d’un document qui résume les apprentissages. Il est généralement composé d’une synthèse d’une page, d’un aperçu global des hypothèses validées ou non et d’une page pour chaque apprentissage majeur. Cette page d’apprentissage contient les points clés à retenir, du contexte sur les personnes qui nous ont mené à cette conclusion et des citations.
Ce document peut être partagé à tous les profils de l’entreprise puisqu’il contient différents niveaux de lecture : de la synthèse d’une page aux détails les plus fins.
La pérennité
Pour une scale-up, l’enjeu d’aller vite est primordial mais il nous paraissait important de pouvoir capitaliser à long terme sur la recherche utilisateur que nous menions. Notre organisation passée, avec de la connaissance disséminée dans différents outils, n’était pas satisfaisante.
C’est pourquoi nous avons, sous l’impulsion de Juliette, Product Designer, décidé de centraliser cette connaissance. Nous avons donc créé un research repository reposant sur l’Atomic Research.
Ce Research Repository nous permet de gagner beaucoup de temps et nous aide à :
- retrouver facilement tous les apprentissages liés à nos recherches ;
- pouvoir créer rapidement des trames d’interview ou de tests en nous basant sur des modèles ;
- recouper toutes les informations concernant certains produits, segments ou thèmes puisqu’il est équipé d’un moteur de recherche.
Comment assurer l’amélioration continue de l’équipe si chaque Impact Team mène ses propres recherches de façon indépendante ?
Différents facteurs nous ont incité à mettre en place des pratiques d’amélioration continue :
- Une recherche utilisateur mal menée ou des conclusions biaisées voire fausses peuvent avoir de lourdes conséquences. C’est pourquoi il est important de s’assurer que l’ensemble des personnes qui mènent ces recherches soient conscientes des biais et erreurs possibles.
- Dans une équipe, chaque membre a des expériences différentes : certaines personnes n’ont jamais fait de recherche utilisateur et d’autres sont spécialisées dans certains types d’entretiens. Il est important d’offrir à tous la possibilité de progresser.
- En fonction des phases de projet nous pouvons passer de longues périodes sans faire de recherche utilisateur, il faut pouvoir être prêt le jour ou il faut remettre le pied à l’étrier.
Trois leviers nous permettent d’assurer la montée en compétence de tous et toutes.
Des “Ateliers Produit” pour s’entraîner
Ces ateliers mensuels d’une heure ont pour objectif de nous entraîner sur deux types d’ateliers :
- ceux que nous menons régulièrement et pour lesquels nous voulons nous entraîner ;
- ceux qui sont nouveaux et que nous voulons apprendre à animer.
En général ils sont composés d’une présentation ou d’un rappel de l’atelier du jour et d’une mise en pratique. Cette mise pratique est toujours suivie d’un moment de restitution ou de feedback.
Si le but des Ateliers Produits n’est pas seulement de s’entraîner exclusivement sur des formats autour de la recherche utilisateur, nous avons tout de même traité nombre d’entre eux : tests utilisateurs, Problem Interviews, Solution Interviews, 5 pourquoi, Interviews d’Experts…
Un parcours carrière qui incite à progresser
Afin d’accompagner la croissance de nos équipes et la formation de nos nouvelles recrues, nous proposons des parcours carrières pour nos product managers et product designers. Ce parcours met en lumière les axes de progression afin qu’ils gagnent en impact, en efficacité et en rémunération.
Ces axes de progression se retrouvent régulièrement dans les objectifs individuels des product managers et product designers ce qui assure la progression globale de l’équipe.
Voici par exemple une déclinaison de compétences attendues en fonction du niveau d’expertise :
- Assiste les autres PMs dans les travaux de discovery.
- Contribue aux ateliers ou interviews avec des utilisateurs.
- Crée les ateliers ou interviews avec des utilisateurs.
- Préparer les plans pour comprendre les besoins des utilisateurs et savoir comment y répondre.
Mettre en place une équipe de recherche, ou comment passer à la vitesse supérieure
Grâce à l’organisation présentée ci-dessus nous étions très efficaces pour soutenir la croissance rapide de l’entreprise sur les sujets dont nous étions spécialistes, globalement nous étions capable de dire très rapidement si un produit ou une amélioration valait la peine d’être développée.
Néanmoins nous avons identifié plusieurs limites :
- En dehors de nos sujets de prédilection et de nos utilisateurs historiques, il était difficile d’acquérir de nouvelles connaissances.
- Chaque PM ou PD étant dans une Impact Team, nous n’arrivions pas à consacrer du temps pour faire de la recherche tournée vers le long terme.
- Nous avons vu se rapprocher le moment où nous ne serions plus capables d’innover et de proposer de nouveaux produits à nos utilisateurs.
- Nous manquions de connaissances lorsque nous avions besoin de prioriser les sujets au niveau de la roadmap.
Globalement nous voulions prendre de l’avance pour faciliter ensuite le travail des Impact Teams et nous assurer de conserver un rythme élevé d’amélioration de la plateforme.
Pour adresser ces limites, nous avons mis en place une équipe de recherche.
Mais comment fonctionne une équipe de recherche ?
Chaque cycle de recherche dure entre 2 et 3 mois en fonction de la période de l’année et du sujet. Une équipe est composée de 4 à 6 personnes et regroupe des spécialités différentes en fonction des sujets : product managers, product designers, product marketing manager, product analysts ou encore experts en connaissance clients.
Ce groupe est toujours mené par un lead qui est fixe alors que l’équipe est renouvelée à chaque cycle. Le sujet de cette équipe est choisi en fonction des objectifs de l’entreprise et de la vision.
Quels sont les avantages ?
Ils sont nombreux !
Cette équipe nous permet de faire de la recherche sur des sujets de fond ou d’innovation, d’améliorer la connaissance sur nos utilisateurs ou sur des segments que nous n’avons pas encore adressé et surtout elle vient alimenter les réflexions autour de la roadmap afin de prendre les meilleures décisions possibles. Cette contribution peut prendre la forme de recommandations sur de nouveaux produits à lancer, de nouveaux segments à adresser ou d’améliorations à faire.
L’équipe tournante, avec des membres qui travaillent aussi dans des Impact Teams, nous a permis d’éviter la situation où nous aurions une équipe de recherche déconnectée de la réalité qui génèrerait des recommandations trop éloignées de la réalité de l’entreprise. Cela permet aussi une appropriation plus facile par l’équipe Produit des recommandations qui sont faites.
L’équipe de recherche donne également l’opportunité aux membres de l’équipe Produit de :
- progresser sur des thèmes qu’ils n’ont pas l’habitude d’adresser, par exemple un PM plus orienté B2B pourra avoir l’occasion de travailler sur des sujets complètement B2C ou inversement.
- découvrir, tester ou progresser sur les méthodes de recherche utilisateur.
Voici deux exemples de thèmes adressés :
- Comprendre comment les particuliers entrent en relation avec les professionnels de l’immobilier.
- Comprendre le quotidien des agents immobiliers et leurs gestes métiers spécifiques.
Quelques points restent à améliorer
L’organisation à laquelle nous avons abouti est le fruit du travail de l’ensemble de l’équipe Produit et de nombreuses itérations.
Elle correspond bien au stade de développement de l’entreprise dans lequel nous sommes actuellement : nous avons besoin de conserver un rythme soutenu d’innovation et d’acquisition de la connaissance tout en construisant quelque chose de durable.
Néanmoins nous avons identifié quelques axes d’amélioration :
- La mise en place du Research Repository prend beaucoup de temps et il n’est pas encore systématique pour toutes les équipes de l’utiliser : que ça soit pour y ajouter des informations ou pour aller en rechercher. Nous avons mis en place des process et des formations pour systématiser son utilisation et augmenter son adoption.
- Chacun ayant des expériences passées différentes, le niveau en recherche utilisateur des personnes qui composent l’équipe est variable. Cela est d’autant plus vrai que la taille de l’équipe augmente. Pour nous assurer une montée en compétence globale de l’équipe, nous sommes actuellement en train de mettre en place des ateliers d’entraînement et des ré-écoutes afin de pouvoir progresser.
- Le recrutement des personnes que nous voulons interroger se révèle parfois très chronophage. Ce point est particulièrement vrai lorsque nous cherchons à interroger nos clients (agences immobilières, mandataires) qui ont des emplois du temps très chargés et qui sont souvent en déplacement. Nous n’avons pour le moment pas trouvé de solution miracle et allons en discuter dans les prochaines semaines. Nous ne manquerons pas de vous partager le résultat de nos futures expérimentations.
- Nous ne diffusons plus suffisamment nos méthodes de recherche utilisateur et nos apprentissages dans l’entreprise. Lorsque nous avons commencé à faire de la recherche utilisateur, nous avions consacré une partie de notre temps à la diffusion de nos méthodes et apprentissages : nous organisions par exemple des diffusions en direct de tests utilisateurs, ouverts à tous. Depuis que les équipes font de la recherche de façon indépendante et la crise du Covid, nous mettons beaucoup moins l’accent sur cet aspect pourtant fondamental puisqu’il permet d’améliorer la confiance des collaborateurs dans nos pratiques et nos métiers ainsi que de faire de la pédagogie sur le réflexe utilisateur. Pour pallier ce problème, nous organisons depuis peu des lives sur Google Meet où les collaborateurs peuvent suivre les tests menés. Cette pratique encore réservée aux équipes Produit et Tech devrait prochainement être étendue au reste de l’entreprise dans les mois qui viennent.
Si vous aussi vous rencontrez ces défis, ou si vous voulez simplement échanger sur ces sujets passionnants : n’hésitez pas à nous contacter, nous serons ravis d’en discuter avec vous.
De notre côté, nous ne manquerons pas de vous partager les évolutions futures de notre organisation que ça soit les échecs ou les réussites.
Enfin je tiens à remercier Anaïs, Adriano, Christopher, Laure, Marine et Spyridon pour leur aide dans la rédaction de cette article visant à proposer la vision la plus claire possible de nos pratiques.