Élections régionales : que valent les sondages nationaux ?

OpinionWay propose, avec « Les Echos » et Radio Classique des sondages nationaux déclinant les intentions de vote pour les élections régionales dans chaque région de l’Hexagone. Les résultats sont à prendre avec beaucoup de précautions…

Alexandre Léchenet
NSPPolls
6 min readMar 30, 2021

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Estimer des résultats dans toutes les régions de manière fiable peut devenir vite coûteux si l’on fait un sondage dans chaque région. Certains instituts tentent alors des expériences pour réduire les coûts, comme OpinionWay, avec ses vagues de sondages nationaux.

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La notice du sondage demande à ce que chaque évocation du sondage utilise la mention « RégioTrack© OpinionWay pour Les Echos et Radio Classique ». C’est chose faite. Dans la suite de l’article à chaque fois que nous dirons « sondage » ou « vague » il faudra lire « sondage RégioTrack© OpinionWay pour Les Echos et Radio Classique » ou « vague du sondage RégioTrack© OpinionWay pour Les Echos et Radio Classique ».

Ces sondages présentent à la fois un rapport de force au niveau national, mais également des estimations sur les qualifiés au second tour, et des favoris à l’issue de celui-ci dans chaque région. Neuf vagues sont prévues, rapporte le journal partenaire, et trois vagues ont été publiées pour l’instant.

Mais les résultats de ce sondage sont à prendre avec précautions : on ne connaît pas le détail de la recette de fabrication, les chiffres et l’incertitude liée à ceux-ci ne sont pas communiqués et les hypothèses de report ou d’alliances politiques sont très générales et oublient des disparités régionales existantes.

Boîte noire

Ces sondages interrogent environ 5000 personnes, ce qui fait pas mal de monde. Mais ça en fait peu lorsqu’on regarde les sous-échantillons, notamment région par région. La notice de la première vague indique ainsi que 5% des personnes interrogées pourraient voter en Normandie, ce qui ne représente que 270 personnes interrogées environ, dont une partie n’est pas inscrite sur les listes électorales et une autre ne se prononce pas.

Le favori pour l’emporter lors de la troisième vague.

À partir de la seconde vague, la méthodologie détaille cependant qu’OpinionWay prend en compte le résultat de la vague précédente pour estimer les scores localement, lui permettant d’avoir un échantillon de 10 000 sondé·es. Ils ajoutent aussi pour leurs calculs d’autres informations sur les sondé·es, sur le report de voix ou sur la structure sociologique de la région.

Aucune information n’est cependant donnée, ni pour avoir une idée du rapport de force, c’est à dire l’écart entre le favori et les suivant·es, ni sur la manière dont les différentes données sont utilisées : c’est une véritable « boîte noire ».

Il n’est pas prévu que le modèle, « développé par OpinionWay depuis plusieurs années » ne soit publié : « C’est une spécificité de notre institut », nous répond Frédéric Micheau, directeur général adjoint d’OpinionWay, chargé des études Opinion et Politique.

« Too close to call »

Dans les soirées électorales américaines, alors que les premiers résultats remontent par sondage, les chaînes se gardent parfois d’annoncer un vainqueur, déclarant les résultats « too close to call », soit trop serrés pour désigner celui ou celle qui est en tête.

Dans les trois vagues des sondages RégioTrack, et pour chaque région, ça n’a jamais été le cas. L’institut a toujours donné un favori. Cela pourrait-il changer ? Frédéric Micheau nous promet qu’OpinionWay pourrait, si le cas se présente, ne pas annoncer de favori : « Nous avons introduit un niveau de certitude (faible / forte) dans la troisième vague en ce qui concerne le favori pour remporter l’élection par région. »

En effet, à partir de la troisième vague, l’institut ajoute un degré de certitude aux estimations du « favori pour remporter l’élection » dans chaque région, sans donner plus de précisions sur ce que ça veut dire. En Normandie, la certitude que la droite l’emporte est « faible », mais bien présente.

A l’occasion de la première vague, dans les Pays de la Loire – où environ 320 personnes ont été interrogées, OpinionWay donne comme favori EE-LV seul. Cela voudrait dire qu’il serait le seul parti de gauche à être qualifiable, si l’on en croit les hypothèses choisies par l’institut, et qu’il l’emporterait ensuite à la sortie d’une quadrangulaire.

Pour la seconde vague, c’est l’ensemble des partis de gauche qui sont qualifiés et la droite qui est favorite pour conserver la région. Enfin, dans la troisième vague, une précision s’ajoute : la gauche est cette fois-ci menée par EE-LV mais la droite est toujours favorite, avec une « certitude faible ».

Pour changer ainsi d’une vague à l’autre, les scores peuvent être assez serrés. Impossible cependant de savoir quelle est son avance supposée, ni la fiabilité de l’estimation… Comment s’explique ce résultat ? Frédéric Micheau ne souhaite pas donner plus de détail :

« Notre modèle a effectivement placé EE-LV en tête dans cette région lors de la première vague. Pour l’instant, nous choisissons de ne pas donner de chiffres mais uniquement des configurations. »

Une explication dans ces formulations et cette discrétion est peut-être à trouver dans la loi imposant plus de transparence aux sondages d’intentions de vote : en ne publiant aucun chiffre, OpinionWay n’a légalement aucune obligation à publier un intervalle de confiance associé.

Des hypothèses locales incertaines

Les résultats au niveau national aggrègent des situations différentes au niveau local, poussant à une simplification. Par exemple, l’institut allie d’office au premier tour le Modem avec la majorité présidentielle, mais cela pourrait ne pas être le cas partout. De même pour l’UDI et les Républicains.

Dans la troisième vague, les intentions de vote pour la liste d’union de la gauche menée par Karima Delli dans les Hauts-de-France sont ainsi comptabilisées au niveau national seulement pour EE-LV. Cela a pour effet de « gonfler » le score national d’EE-LV, en attribuant toutes les intentions des sondé·es de gauche dans le Nord au parti écologiste.

OpinionWay liste également des hypothèses générales pour la présence au second tour. Rien ne dit qu’elles s’approchent de la réalité, surtout lorsqu’on les regarde dans le détail. Pour rappel, s’il n’y a pas de majorité absolue dès le premier tour, une liste ayant reçu plus de 10% des voix peut se présenter au second tour, et celles ayant reçu plus de 5% des voix peuvent rejoindre des listes qualifiées.

On lit ainsi dans la notice des sondages que l’institut suppose « pour le second tour, que la gauche (France Insoumise, PS, EELV) se réunira autour de la liste arrivée en tête si l’une d’elle dépasse les 10% », ou encore « que la liste LREM se maintiendra de manière autonome à chaque fois qu’elle passera la barre des 10% », et de même pour Les Républicains et le Rassemblement national.

Régulièrement, lors d’élections précédentes, de telles hypothèses ont été invalidées. En 2015, par exemple, dans au moins quatre régions : dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, les listes de gauche se sont retirées du second tour face au risque d’une victoire du Front national. En Bretagne, le socialiste Jean-Yves Le Drian a refusé que les écolos rejoignent sa liste et dans le Grand Est, la peur d’une victoire du Rassemblement national a également chamboulé les traditionnelles unions à gauche.

Une photo en train d’être prise à un “instant T” par Patrick sur Unsplash

S’ajoute à ces réserves une inconnue sur les stratégies d’alliance du parti présidentiel, aussi bien au premier qu’au second tour… Autant de raisons donc, de prendre les hypothèses de second tour imaginées par OpinionWay avec des pincettes. L’institut l’assure : il adaptera son modèle « lorsque cela sera utile ».

En attendant, comme le disent Les Echos : « Un sondage n’est pas là pour donner une prévision sur un scrutin futur. Il est là pour présenter un rapport de force et donner une photographie de l’opinion à un “instant T”. » Et tant pis si la photo est floue.

➡️ Retrouvez les notices des sondages publiées par les Echos, et les notices détaillées déposées à la Commission des sondages : vague 1 (notice détaillée), vague 2 (notice détaillée) et vague 3 (notice détaillée).

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