Reconversion : l’insupportable “Alors, t’en es où ?”

Marina Bourgeois
Oser Rêver Sa Carrière
10 min readJul 7, 2021

Changer de voie… une sacrée aventure personnelle… Mais pas que ! Il y a aussi “les autres” avec lesquels il faut composer : l’époux, l’épouse, les enfants, les parents, les ami.e.s, les anciens collègues, la voisine, etc. Ils font partie de notre entourage et nous interrogent bien souvent sur nos avancées. Le fameux “t’en es où ?, cela vous parle ?

Devoir répondre à cette question est parfois anxiogène et on a bien souvent envie de leur dire : “où j’en suis ? Nulle part ! Je me cherche ! Fichez moi la paix”. Lorsque l’on en est au début du processus de réflexion et d’introspection et que l’on y voit pas encore clair quant au chemin à emprunter, cette question peut en effet profondément agacer, voire déstabiliser. Surtout lorsque tout le monde vous la pose tout le temps. Un peu comme quand on est célibataire et que l’on s’entend dire à chaque repas de famille “alors, les amours ?” (#bridgetjones).

Pour autant, il faut bien répondre ou, a minima, savoir dévier de sujet en restant poli.e. Tout un art…

Comment faire ?

Premier point à avoir bien en tête : il y a le “t’en es où ?” sain et sincère et le “t’en es où ?” pressurisant et toxique. Expliquons-nous…

L’entourage peut en effet se montrer parfois extrêmement dubitatif quant à votre projet, soit parce que, de façon légitime, il s’inquiète, soit parce qu’il ne comprend pas très bien les tenants et aboutissants du projet en question (peut-être n’est-ce d’ailleurs pas encore suffisamment clair pour que vous en parliez bien ? #cequiseconçoitbiensénoncebien), soit parce qu’il aimerait être à votre place mais qu’il n’ose pas …

  1. Le “t’en es où ?” sain et sincère

Bien souvent, nos proches sont déstabilisés par notre envie de faire autre chose. La première réaction est alors la surprise, laquelle est traditionnellement suivie de la peur : “quoi ??? Tu as fait six ans d’étude pour tout envoyer valser ? C’est de la folie !” ; “tu ne te rends pas compte, avec la crise…” ; “tu sais, le marché de l’emploi est difficile en ce moment”. Cette réaction à chaud est souvent exacerbée lorsque, en plus du changement, on songe à l’entrepreneuriat : “te mettre à ton compte ? Mais tu n’y penses pas !”, “comment comptes-tu gagner ta vie ?”, “ce marché est saturé”, “qu’est-ce que t’y connais en entrepreneuriat ?”, “tu ne vas quand même pas quitter un job en or pour l’instabilité de l’entrepreneuriat ?”… Bref, la première réaction est rarement “super, débouchons le champagne”, surtout du côté des parents.

Pourquoi ? Parce que dire aux autres que l’on change leur fait peur. Dire que l’on switch, sans expliquer ce que l’on compte faire derrière, nous met automatiquement, selon eux, dans une posture d’insécurité. Et comme ils nous aime, ils craignent que l’on fasse une erreur, que l’on se trompe, que l’on fantasme un “ailleurs et autrement”. Et c’est normal ! Le changement fait peur, c’est bien connu… Rien d’anormal, donc, si vos proches réagissent de façon abrupte lorsque vous leur annoncez votre décision de quitter votre job. Ils vous aiment, ils ont peur, ils le disent. L’équation est simple. Surtout si la prise de risque n’est pas dans votre ADN familial.

Le “t’en es où ?” n’est toutefois pas toujours dicté par la peur. Il peut aussi (et c’est important de se le rappeler de temps en temps) être tout simplement sincère : vos proches tiennent à vous et s’intéressent à ce que vous faites. Ils sont curieux et impatients que vous trouviez votre voie et que vous soyez enfin heureux.se. Vous devancez même, peut-être, leur propre envie de faire bouger les lignes de leur vie. Votre parcours les inspire.

Tout ce qui vient d’être évoqué est le côté “pile” du “t’en es où ?”. Attelons nos à présent au côté “face”.

2. Le “t’en es où ?” malsain et toxique

Vous pouvez faire face à des réactions présomptueuses ou empreintes de jalousie : “toi changer de voie ? Tu n’es déjà pas capable de changer une ampoule…”. Elles proviennent souvent de personnes que vous déstabilisez par votre volonté de changement car elles vous ont toujours mises dans une case dont il est inimaginable, pour elles, que vous sortiez. Votre souhait de changement et votre audace pour passer à l’action peut les renvoyer à leurs propres peurs et susciter une certaine forme de jalousie, même inconsciente.

Le cas du proche envieux. Vous pouvez en effet avoir dans votre entourage une ou plusieurs personnes qui aimeraient, elles aussi, changer de travail, quitter le secteur dans lequel elles évoluent et peut-être même se reconvertir radicalement. Par votre processus de changement, vous renvoyez alors à l’autre, par effet de miroir, ce qu’il n’est pas, ce qu’il ne peut pas être pour le moment ou ce qu’il ne se donne pas les moyens d’être. Autrement dit, votre action peut lui renvoyer son inaction. Votre quête de changement lui renvoyer son immobilisme. Votre courage lui renvoyer sa frilosité et votre bonheur lui renvoyer son insatisfaction, voire son aigreur. Place alors à la relation toxique dans laquelle le (ou la) proche concerné(e) trouvera tous les arguments du monde pour vous faire renoncer à votre projet, se montrera excessivement sceptique ou se plaindra de votre manque de disponibilité durant cette période charnière de votre vie.

Le cas du proche toxique. Quiconque a besoin, pour avancer, d’ondes positives, de parcours inspirants et engageants, de conseils constructifs, de critiques objectives, de remarques pertinentes et de non-jugement. Un ami se faisant par exemple l’avocat du diable sur tous vos arguments est un allié : il vous aide à voir l’ensemble des points peut-être fragiles de votre cheminement ou de votre projet. Il vous pousse dans vos retranchements et vous permet de mesurer la force de votre réflexion et de votre argumentation. A l’inverse, une connaissance, un membre de la famille ou un ami de la bouche duquel vous entendez “mais ça ne fait pas des moiiiiiis que tu réfléchis à ce que tu veux faire ?”, “t’as tellement de chances, c’est un luxe que de pouvoir se permettre de prendre le temps”, “ce n’est pas à moi que ça arriverait” (comme si ça allait lui tomber du ciel !) ou “de toutes les façons, t’as toujours eu plus de bol que moi dans la vie” doit idéalement être évité autant que possible pendant votre cheminement intérieur (voire même après ;-). Pourquoi ? Parce que vous avez déjà suffisamment à faire avec vos propres doutes et votre ascenseur émotionnel personnel. Pas la peine d’en rajouter avec celui de quelqu’un d’autre, surtout si cette personne s’avère toxique. Il convient alors de s’interroger sur les fondations de cette relation : est-elle toujours bonne pour moi ? Que m’apporte-t-elle ? Si à chaque fois que vous voyez cette personne, vous en ressortez vidé.e, énervé.e, culpabilisé.e ou découragé.e, c’est qu’il y a peut-être une distance à mettre avec elle, au moins provisoirement. Le temps que vous meniez votre projet à bien

La pratique de la reconversion professionnelle montre qu’un “tri” de l’entourage s’opère souvent naturellement en cours de route.

Pourquoi ? Parce que reconversion rime avec remise en question. Pour beaucoup, elle est l’occasion de poser (pour ne pas dire “pauser”) les choses, de les examiner avec clarté, de prendre du recul et de se poser des questions fondamentales aussi bien sur le plan professionnel que personnel : suis-je à la bonne place ? De quoi ai-je vraiment envie ? A qui, à quoi ai-je envie de consacrer du temps ? Comment ai-je envie de poursuivre ma vie ? Quelles sont mes valeurs profondes ?… Répondre à ces questions implique nécessairement des renoncements : on ne peut pas être partout, ni avec tout le monde tout le temps. L’être exposerait à l’épuisement ou à la superficialité des relations ou des moments. Alors, on ne garde que l’essentiel : ce qui est évident et, bien sûr, ce qui fait du bien puisque telle est aussi l’objet d’une réflexion sur sa vie : identifier ce qui est bon pour nous de ce qui l’est moins, voire pas du tout.

Lorsque l’on décide de changer de cap professionnel, de changer de voie, de bifurquer ou de se reconvertir, les freins personnels et obstacles extérieurs sont nombreux. Pourquoi, dès lors, s’en rajouter avec les ondes négatives d’autrui ? S’introspecter, réfléchir puis passer à l’action (les trois fondamentaux de la transition de carrière) sont des activités consommatrices d’énergie. Elles réclament d’être disponible mentalement, de ne pas être encombré.e par trop de pollution mentale, de pouvoir se consacrer du temps sans pour autant se considérer et être considéré.e comme égoïste. Autrement dit, pas (trop) de place pour le négatif. Exit les mauvaises ondes.

Tout cela pose la question suivante : quand doit-on faire part de notre changement ?

A quel moment doit-on en parler à notre entourage ?

Au tout début de notre réflexion/lorsque l’on commence à y voir clair ou une fois que l’on a changé ? Il n’y a évidemment pas de réponse universelle, et cela dépend évidemment des rapports que vous entretenez avec eux. Une règle d’or toutefois : vous protéger ! Changer de voie professionnelle est une aventure émotionnelle particulière : l’on passe bien souvent par de véritables montagnes russes : peur, doute, joie, soulagement, excitation, angoisse, espoir, etc

L’ascenseur émotionnel du changement de voie.

Savoir se protéger des mauvaises ondes est essentiel. Lorsque l’on doute soi-même (ce qui est le cas de TOUS ceux qui entament une reconversion), on n’a clairement pas besoin d’avoir à gérer leurs craintes. Il faut, idéalement, se départir de tout ce qui peut être toxique ou limitant. De tout ce qui peut venir renforcer nos doutes, nous ajouter de l’angoisse ou nous enfermer dans l’immobilisme.

Les personnes “ressources” sont alors les bienvenues ! On s’éloigne naturellement de celles et ceux qui ne font pas du bien pour se rapprocher de personnes enthousiastes, qui nous tirent vers le haut et auprès desquelles on peut challenger notre projet sans craindre un éventuel jugement. Autrement dit, on se protège !

Et se protéger implique parfois une rétention d’information : il peut être pertinent de ne pas parler de son désir de changement aux personnes très anxieuses de votre entourage qui, par nature, ne feront que démonter votre projet en vous montrant, par A + B, que c’est trop risqué, déraisonnable, etc. Il peut également être plus prudent de ne parler de votre envie de changement qu’à partir du moment où vous êtes dans l’action. Leur annoncer que vous quittez votre job mais que vous entreprenez un bilan de carrière, un bilan de compétences, un outplacement ou autre les rassurera (un peu). Ils sauront que vous n’êtes pas seul.e par rapport à vos questionnements et que vous avancez de façon encadrée. Mais soyons honnête : cela ne les empêchera pas de vous questionner et, parfois sans le vouloir, de vous mettre la pression avec le fameux “alors, t’en est où ?” ou les non moins agaçants “c’est long ton truc”, “il te reste combien de temps de chômage ?”,faudrait peut-être accélérer les choses là”. Ces questions, tantôt bienveillantes, tantôt maladroites ou pressurisantes, ajoutent à vos craintes personnelles. Elles peuvent également s’avérer très culpabilisantes. Autant, donc, s’en affranchir et, lorsque c’est possible, dévoiler votre projet une fois que vous avez clarifié les choses. Autrement dit, une fois que vous savez où vous allez. Ainsi, vous vous épargnerez les remarques du style “prendre une pause pour réfléchir à ton avenir, par les temps qui courent, c’est vraiment du luxe ”. Cela vous permettra également de ne pas subir les croyances limitantes de vos proches ou leurs perceptions raccourcies des métiers. Dire à ses parents que l’on quitte la robe d’avocat pour devenir sophrologue peut être périlleux si dans la famille tout le monde est avocat ou exerce un métier socialement bien vu ou “prestigieux”. Cela peut même leur paraître parfois lunaire lorsqu’ils ne connaissent absolument pas le métier ciblé. Ce fut le cas pour Camille qui était comptable et qui, après un bilan de carrière, a opté pour le community management. La première réaction de sa mère a été de lui dire “en gros, tu vas être sur Facebook toute la journée ? C’est bien la peine d’avoir fait des études”. Idem pour Yannick qui était directeur des achats dans une grosse boîte et qui est devenu professeur de maths. Ses parents n’ont vu, à l’annonce de son changement, que l’aspect “perte de salaire”.

Pour résumer, la question n’est pas de savoir s’il faut parler ou non de son projet de reconversion mais plutôt réfléchir à qui en parler ? Inutile de vous tourner vers les personnes dont vous soupçonnez à l’avance le scepticisme. Inutile également de perdre de l’énergie à vouloir convaincre vos proches du bien fondé de votre démarche. C’est votre vie, et non la leur. Vous avez décidé d’être pro-actif.ve pour être plus heureux.se au travail et plus largement dans votre vie, et c’est très bien. Ne perdez pas de temps ni de vitamines mentales à faire changer les autres, vous êtes déjà suffisamment occupé.e par votre propre changement ! Ne soyez pas la Bridget Jones de la reconversion, ne vous laissez pas faire ;-).

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Marina Bourgeois, Dirigeante d’Oser Rêver Sa Carrière

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