4 — Recruter (beaucoup) dans un univers ultra compétitif?

Christophe Dargnies
ManoMano Tech team
Published in
10 min readMay 13, 2020

A People Journey @ ManoMano (4/7)

Cet article est le 4ème d’une série de 7 articles :

  1. Réconcilier l’humain et le business, rôle du Chief People
  2. Développer la culture comme roc dans un contexte de changement permanent
  3. Repenser l’espace de travail à l’heure de la décentralisation et du digital
  4. Recruter (beaucoup) dans un univers ultra compétitif
  5. Structurer sans sacrifier l’agilité de l’entreprise et l’autonomie des personnes
  6. Faire grandir les talents en tenant compte de l’équation économique
  7. Avancer malgré les vents contraires et garder le cap

ANNEXE : organisation de la fonction People et KPI

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L’hyper croissance se matérialise souvent par les deux facettes de la médaille : des taux de croissance business très importants d’une part, et une augmentation rapide des effectifs d’autre part. Pour mettre des chiffres sur cette réalité, cela a représenté, chez ManoMano, 200 recrutements en 2019 ; nous en prévoyons 300 de plus en 2020. Dans ces conditions, il est évident que l’acquisition de talents est une pièce maîtresse de la capacité de l’entreprise à grandir et le processus doit in fine être très fluide & efficace pour trouver les perles rares, dans un univers concurrentiel tendu.

a — Industrialiser le recrutement tout en maintenant la qualité

Il faut donc mettre en place un process de recrutement agile et léger (“lean”) qui soit évolutif (“scalable”) et tourné vers le candidat (“candidate centric”), sans transiger sur la qualité.

En ce qui nous concerne, nous avons mis au point quelque chose de relativement standard mais robuste, composé de trois étapes :

  • un appel de l’un de nos recruteurs suivi d’un test technique ou de mise en situation.
  • une 1ère session de deux entretiens avec le manager qui cherche à recruter (le “hiring manager”) et un membre de son équipe.
  • une 2nde session de deux entretiens avec le n+2 et une tierce personne (pas de l’équipe).

Quatre entretiens donc, quatre étant le chiffre optimal, selon une étude de Google (voir Work Rules), qui montre que la loi des rendements décroissants s’applique ensuite (c’est-à-dire que marginalement, et sur un grand nombre, chaque entretien supplémentaire ne va pas sensiblement modifier la décision).

Les 3 Algecos où nous accueillons les candidats pour les entretiens

Le process se termine avec une réunion des différents intervieweurs (“Hiring Committee”) pour statuer. Chacun d’eux a le choix entre 1(“Strong Hire”), 2 (“Hire”), 3 (“No Hire”), 4 (“Strong No Hire”). Un seul “No Hire” élimine la candidature. Et plus ça va, plus nous sommes en mesure de monter la barre. Aujourd’hui, un candidat doit obtenir deux “Strong Hire” pour aller au bout et décrocher une offre.

En plus des traditionnels outils LinkedIn, des sites de recrutement spécialisés (“job boards”), tel que Welcome to the Jungle, et des tests à distance (ex: de coding par exemple), nous avons pris pour nous aider un outil spécifique (Lever). Il nous permet de rendre l’ensemble du process beaucoup plus facile, à la fois pour le suivi du plan de recrutement (planification et ouverture des postes), la publication des offres à l’extérieur, la gestion opérationnelle des entretiens, et l’envoi des offres. Cet outil doit aussi nous permettre d’avoir un suivi des données beaucoup plus optimal, ce que nous avons mis du temps à faire et que nous continuons à perfectionner. Un suivi de la data d’une part sur l’avancée du plan de recrutement (par équipe ou en consolidé), et d’autre part sur la performance de l’équipe recrutement elle-même (d’un point de vue quantitatif et qualitatif).

Principaux KPI :

Pour une embauche, ce sont des efforts considérables en amont comme le montre ce pipeline. Quelques statistiques sur les 3 derniers mois pour 400 positions ouvertes :

  • 5155 candidatures
  • 2090 candidats contactés (chasse incluse)
  • 952 entretiens téléphoniques avec des candidats
  • 378 candidats au 1er tour
  • 172 candidats au 2ème tour
  • 75 offres acceptées

Nous avons 7 recruteurs dans l’équipe. Sur 3 mois, 75 offres acceptées donc, dans nos trois bassins d’emploi. Ce chiffre est une moyenne, il tient compte des recrutements tech (plus compétitifs à cause de la surchauffe du marché) et de la dispersion des niveaux (ie de certaines embauches plus complexes faites à haut niveau).

Maintenant, comment s’assurer de la qualité du recrutement? D’abord, et c’est clé, une définition poussée en amont du profil recherché pour le poste entre le recruteur et le manager. A cela s’ajoutent d’autres facteurs : un process connu de tous, des outils faciles d’utilisation, une formation au recrutement, la pertinence des questions (dont beaucoup sont répertoriées, car la répétition des questions d’un candidat à l’autre est une manière d’amoindrir les biais), une connaissance en interne des “intervieweurs” de qualité parmi les équipes.

Mais ce n’est pas tout : l’adéquation à nos valeurs est appréciée à chaque entretien (et en particulier par les recruteurs). Nous avons même lancé un temps un programme spécifique “ManoValue ambassadors” (rôle souvent endossé par les tierces personnes mentionnées plus haut, dédiées et formées à cet exercice). Les différents intervieweurs ont la possibilité de connaître les appréciations des entretiens précédents, c’est à leur option (à titre personnel, je ne préfère pas le faire pour garder une totale liberté de jugement ; en revanche, je demande souvent aux intervieweurs précédents s’il y a des points spécifiques à creuser).

b — Les temps longs du recrutement face aux à coups business

La croissance annuelle des effectifs masque une double réalité plus complexe : les départs qu’il faut remplacer, et une progression mensuelle en escalier (CDI) :

Nous avons été confrontés plusieurs fois au même phénomène, celui d’ouvrir les portes en grand puis de les refermer de manière abrupte. Ainsi cette croissance par à-coups a créé à plusieurs reprises la même situation avec une capacité de recrutement bien inférieure à nos besoins, puis l’inverse. L’épisode le plus difficile a été fin 2018, quand nous avons décidé de nous séparer de 70 prestataires externes dont nous avons décidé d’internaliser la fonction, pour des raisons stratégiques et pour des raisons de coûts (un prestataire coûtant sur la place parisienne deux à trois fois le coût d’un CDI). C’est du reste à cette occasion que nous avons décidé d’ouvrir Bordeaux et Barcelone.

Paradoxalement, si notre capacité à recruter beaucoup sur des échéances très courtes a été vitale, nous y avons laissé quelques plumes du côté de la marque employeur dans le milieu Tech. Nous avons communiqué de manière trop soudaine sur la séparation de nos prestataires. La démarche n’a pas été suffisamment anticipée ni expliquée. Et même dans sa mise en œuvre, le démantèlement du jour au lendemain de certaines équipes a fait des dommages non seulement dans la transmission de savoir-faire mais aussi dans les relations humaines qui s’étaient créées. Nous aurions pu mieux faire…

Dans ces jeunes entreprises, il est à noter que l’attrition (familièrement appelée “churn”) est importante. Les employés restent 18 mois dans une entreprise de la Silicon Valley. En France, dans les entreprises de la Tech, les chiffres qui circulent sont plus de 2 à 3 ans. Chez ManoMano, les employés restent en moyenne plus de 3 ans : est-ce que nous nous en satisfaisons ? Non mais cela mérite de creuser le sujet… Plusieurs éléments à considérer :

  • Paradoxalement ce churn reflète aussi la qualité de la marque employeur, car nos talents se font chasser.
  • Et les jeunes générations ont de plus en plus l’habitude de construire un parcours professionnel entre entreprises plutôt qu’à l’intérieur d’une même entreprise.
  • De manière spécifique à la tech, les jeunes collaborateurs ont besoin d’être exposés à différentes technologies/langages, le churn est donc assez naturel.
  • Enfin, gardons en tête que le recrutement, s’il est absolument décisif, n’est que la première étape. Une intégration partielle, un mauvais match de compétences ou de personnalité, ou un développement professionnel insuffisant se transformera à coup sûr en échec.

Or rien ne sert de remplir un panier percé. La rétention est clé

c — La marque employeur, complexe et fragile

Au delà de l’approche “tactique” (recruteurs, chasseurs…) pour faire face au plus pressé, l’entreprise doit mettre en place une approche stratégique de long terme. C’est le sujet de la marque employeur, avec les traditionnels et classiques meet-up (des conférences et rencontres Tech), la prise de parole sur les réseaux sociaux, la participation à certains événements professionnels…

La conviction que j’ai est plus simple et se rapproche d’une publicité inspirée sortie il y a quelques années : “Ce qui se vit à l’intérieur se voit à l’extérieur”. Ainsi notre meilleure marque employeur, ce sont nos employés eux-mêmes. L’objectif est de faire rayonner nos talents et de partager ce qui se vit chez ManoMano.

D’où le pouvoir fort des réseaux sociaux, et plus fondamentalement, des blogs et articles de fond. Ce qui s’est fait au Produit (à l’initiative de Pierre Fournier) en est un bel exemple, car la production régulière de partage d’expérience a eu un impact important pour faire mieux connaître ManoMano, production reprise dans des newsletters de renom comme celle de Mind the Product, avec une portée très vaste.

Je dirais aussi que l’appartenance au Next 40 est un plus indéniable. Que ManoMano soit identifié par ce label comme un des fleurons actuels de la French Tech est un avantage certain. Même si cela demande de garder la tête froide. Ici comme ailleurs il y a des effets de mode et beaucoup d’entreprises, très en vogue pendant un temps, ont vu leur étoile pâlir.

La gestion de Glassdoor (le “Trip Advisor” des RH) a été et reste un casse tête. Nous avons vu notre note chuter d’un point, avec beaucoup de difficultés pour inverser la tendance. D’abord, parce que les personnes les plus vocales sont celles qui sont mécontentes, ou celles qui partent (souvent en regrettant un paradis perdu : les anciens qui ont vécu un ManoMano à 50 ne se reconnaissent plus dans une entreprise de 500 personnes). Certains commentaires sont tout à fait pertinents et constructifs, avec des arguments étayés. On peut en regretter d’autres, violents et anonymes, classiques sur les réseaux sociaux. Selon Glassdoor, il est statistiquement prouvé que le passage de l’état de start-up à celui de scale-up s’accompagne d’une chute du score. Mais je n’ai jamais pu m’y résoudre, car cela ne reflète pas les résultats de nos enquêtes d’engagement internes. Nous avons essayé de reprendre la parole en développant la présentation de l’entreprise, en répondant à ces commentaires, et en encourageant nos salariés (tous ceux qui fêtent leur un an dans l’entreprise) à prendre la parole. Tout cela avec un succès mitigé jusqu’à présent, mais je ne désespère pas.

d — Un cercle vertueux à entretenir

La nature du recrutement évolue aussi au fil du temps. Au tout début de l’aventure start-up, l’entreprise cherche des couteaux suisses qui n’ont pas froid aux yeux et qui cherchent l’aventure entrepreneuriale à ses prémisses. Quand vient le stade ultérieur, les besoins se tournent vers des profils plus experts et plus seniors, qui ont déjà vécu la phase de croissance à venir dans des entreprises plus grosses.

ManoMano a été particulièrement bon dans cet exercice, depuis ses débuts, grâce à différents facteurs :

  • l’aura et le charisme de ses fondateurs, relayés en interne au fil du temps par certaines personnes particulièrement rayonnantes.
  • le double projet business et humain, incarné par les personnes que les candidats rencontrent en entretien. Les valeurs sont portées par les gens qui font passer les interviews. Cela se voit, se respire : c’est un retour que nous entendons souvent (et cela fait plaisir!).
  • l’arrivée, de manière régulière et dans tous les domaines, de leaders forts et reconnus.
  • le fait d’encourager les managers à embaucher des personnes meilleures qu’elle dans le domaine considéré, ne pas avoir peur de cela.

Certains points nécessitent cependant une attention particulière :

  • proposer un système de rémunération qui soit dans le marché (salaires et association au capital pour les postes les plus seniors) mais s’assurer que le package, même si c’est un élément clé, n’est pas le seul moteur de la personne.
  • vérifier, en faisant venir des “gros poissons” qui ont des larges réseaux, que ne se constituent pas en interne des filières ou des clans d’anciens d’une seule et même entreprise. Notre richesse, c’est notre mixité et notre diversité, au risque sinon d’importer et superposer des cultures d’autres entreprises, empêchant celle de ManoMano de grandir.

Un entretien d’embauche n’est pas à sens unique. Le candidat aussi va jauger ses interlocuteurs et ce qu’il perçoit de l’entreprise. Je structure souvent mes entretiens en trois volets : 1) comprendre le rationnel des choix du candidat dans son parcours, 2) approfondir en quoi la personne s’épanouira dans l’environnement d’hyper croissance à ce poste chez ManoMano et enfin 3) garder un temps d’échange pour répondre aux questions de toute nature et parfois aider le candidat à discerner par rapport à son propre cheminement et situation actuelle.

Des candidats potentiels me demandent souvent des conseils. Mais, au risque d’être décevant, ma seule recommandation s’inspire d’une autre célèbre publicité, que je trouve d’une grande profondeur : “Venez comme vous êtes”. Pourquoi? car notre promesse, chez ManoMano, est de mettre chacun à sa juste place et d’aider à grandir. Je crois donc que ça ne sert à rien de jouer un rôle ou feindre un profil type : rester pleinement soi-même, c’est déjà un beau programme!

En conclusion, nous avons souvent refusé des profils extrêmement brillants, mais trop personnels, car nous avons jugé que la sauce ne prendrait pas. Nous ne cherchons pas d’ego, mais des personnes qui adhèrent à notre projet et à nos valeurs. En deux mots, un bon candidat, c’est la bonne personne, au bon endroit avec un savoir faire, et surtout un savoir être. Et cette intime conviction que j’ai retrouvée chez ManoMano, appliquée et encouragée par les fondateurs : embaucher des gens meilleurs que soi dans leur domaine. L’objectif ultime de chacun, à terme, c’est de ne plus être indispensable…

Remerciements

  • Sonia Nabih, Héloïse Berlucchi, Alix Hennegrave, Marie Gouze, Hestia Papasian, Carmen Masides, Chloé Flageul, Paola Montuenga
  • A Aymard de Germiny d’Ineva Partners

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