6 — Faire grandir les talents en tenant compte de l’équation économique

Christophe Dargnies
ManoMano Tech team
Published in
10 min readMay 12, 2020

A People Journey @ ManoMano (6/7)

Cet article est le 6 ème d’une série de 7 articles :

  1. Réconcilier l’humain et le business, rôle du Chief People
  2. Développer la culture comme roc dans un contexte de changement permanent
  3. Repenser l’espace de travail à l’heure de la décentralisation et du digital
  4. Recruter (beaucoup) dans un univers ultra compétitif
  5. Structurer sans sacrifier l’agilité de l’entreprise et l’autonomie des personnes
  6. Faire grandir les talents en tenant compte de l’équation économique
  7. Avancer malgré les vents contraires et garder le cap

ANNEXE : organisation de la fonction People et KPI

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Une fois que le système hardware est en place, il faut le logiciel software qui va avec, pour que l’arbre grandisse. Mais, en période de croissance accélérée (scale-up), la volonté de faire grandir nos employés se heurte à plusieurs obstacles :

  • la charge opérationnelle (urgences, pression, priorité business) qui pousse les managers et les individus eux-même à remettre à plus tard les volets de formation
  • l’attrition (churn) assez élevée dans les entreprises Tech qui pourrait décourager le management d’investir dans des talents (car probablement, ils resteront peu de temps)
  • les jeunes managers peu expérimentés
  • les silos qui peuvent créer des iniquités pour les promotions et augmentations
  • des contraintes budgétaires enfin, car tout ce qui est exposé dans ces lignes a un coût, et si ce n’est pas un coût financier (il existe des solutions ingénieuses), c’est toujours un coût en terme de temps.

Il y a donc d’abord une décision explicite au plus haut niveau d’investir dans l’humain. Ensuite la volonté des managers les plus seniors d’accompagner le mouvement (d’où l’importance du recrutement une fois encore). Et enfin la ténacité des équipes People de mettre en place les conditions, les outils et le cadre pour que les individus puissent grandir et faire grandir leurs équipes, malgré les contraintes économiques et les priorités business. Non pas forcer, mais coacher et sensibiliser à cet effet.

C’est l’histoire du philosophe et du bocal : comme pour les balles de golf, il faut mettre les choses importantes en premier!

a — Accompagnement du développement des talents

Nous avons très vite mis en place une petite équipe dédiée à l’accompagnement et au développement des talents. Ce que classiquement on appelle HR business partner. Avec un triple rôle :

  • Au niveau des individus, accompagner chacun des employés au cours de leur vie chez Manomano avec des points d’étape lors des moments clés (à la fin de la période d’essai, de manière périodique -une à deux fois par an- et lors de l’outboarding). C’est également à cette équipe que sont dévolus certains cas difficiles (pour des problèmes de performance ou de comportement) et il faut savoir trouver le bon curseur, entre empathie et fermeté.
  • Au niveau des équipes aussi, accompagner les managers dans leurs tâches. Ils sont suivis afin de les aider dans les difficultés, en leur proposant l’outil adéquat, la bonne posture ou les options à creuser. C’est aussi via ce canal que nous faisons les tests de robustesse de l’ensemble de nos process people, pour être dans une logique d’amélioration continue. C’est souvent de là qu’ont été identifiés les angles morts, les exceptions, ou les problèmes spécifiques. C’est là que nous avons été challengés pour toujours optimiser les systèmes et la qualité de service de l’équipe.
  • Et enfin au niveau de l’organisation, suivre les signaux faibles. Très souvent, les remontées via ce canal se sont avérées décisives pour mieux comprendre les dynamiques des équipes, leurs forces et leurs freins. C’est intéressant de voir apparaître des faisceaux d’éléments (plus qu’un seul élément isolé). Et pour proposer des ajustements de périmètre, de management, ou de scope.

Ce n’est pas toujours simple, car il faut prendre garde à ce que ce volet ne soit pas un court circuit malsain favorisant la non communication entre le manager et son équipe. Quand un employé ne peut parler directement à son manager, c’est qu’il y a un problème de confiance. Et si le manager n’est pas au courant du problème, il ne peut pas mettre en place les actions correctives sur son management ni grandir lui-même en tant que manager. D’où les sondages réguliers mis en place qui donnent des éléments factuels de discussion. Sur ces bases, les RH peuvent débriefer et coacher le manager, ainsi que son n+1, pour que ce dernier ait les éléments pour le faire grandir.

b — La gestion délicate de la performance, garante de l’équité et de nos valeurs

Chez Manomano, on veut récompenser et promouvoir non seulement le savoir-faire mais aussi le savoir-être. Ainsi, en va-t-il de toutes les composantes de la récompense de la performance, de l’évolution professionnelle et des promotions. Les RH sont là pour assurer une homogénéité à travers l’entreprise, pour assurer l’équité et mettre les valeurs au coeur des mécanismes.

La performance se récompense avec une composante financière :

  • La performance trimestrielle est attribuée via la part variable du salaire au regard de l’objectif défini en amont, objectif qui s’articule autour d’une dimension managériale et collective pour 15 %, de la mise en œuvre des valeurs autour d’exemples spécifiques pour 15 % et du delta ventilé autour d’objectifs qualitatifs et quantitatifs. Nous essayons d’avoir une certaine homogénéité d’application sans pour autant nous substituer à la décision managériale.
  • Sur plus long terme, la performance passée, mais aussi le potentiel futur se matérialisent via l’augmentation annuelle ; son application est un petit peu plus délicate, dans le sens où une jeune start-up doit faire attention à ne pas favoriser l’inflation de ses coûts fixes. Il y a donc une enveloppe budgétaire allouée et aussi des critères d’éligibilité (par exemple les gens qui ont rejoint dans l’année écoulée ne sont pas éligibles). Cette augmentation permet aussi d’ajuster certains écarts constatés au sein de l’équipe ou par rapport au marché.

La performance se gère aussi via l’évolution professionnelle :

  • il y a les promotions. Chez ManoMano, elles ont lieu deux fois par an. Elles doivent être documentées en démontrant la capacité de la personne à tenir un périmètre (scope) plus large. Elles nécessitent d’obtenir cinq avis et feedback distincts, à 360 degrés. Enfin, elles se font non seulement au regard de la performance mais aussi au regard de nos valeurs sur la manière dont les personnes délivrent. Environ 10% des employés sont promus tous les 6 mois.
  • il y a aussi les mobilités (ManoMobility), au fil de l’eau. Le rôle des RH est ici d’assurer un cadre clair et connu de tous : dès qu’un poste est ouvert, il est rendu public et proposé en interne. Tout le monde peut postuler, pourvu que la personne ait été depuis plus de 18 mois dans son poste. Il y a alors un vrai process de recrutement (avec en parallèle des candidats externes), et donc au passage un check des valeurs. Environ 3 à 5% des employés changent de position chaque trimestre.

Ainsi, nous encourageons les comportements et façonnons le management de ManoMano sur la base de la performance et des valeurs. J’ai toujours refusé de me plier à la pression du temps sur ces sujets-là. Le chantage aux augmentations et aux promotions ne mène nulle part.

Principaux KPI :

c — Le lancement des communautés managériales

Pour grandir et ne pas rester isolé, nous avons pensé que l’individu devait, au delà de son équipe, pouvoir se retrouver avec ses pairs pour développer le sentiment d’appartenir à une communauté de destin et de responsabilité.

Cette approche est aussi importante au niveau collectif pour favoriser les échanges et créer des corps homogènes. Nous avons donc créé des communautés au sein de ManoMano. Elles sont aujourd’hui au nombre de deux :

  • M team = Manager team à l’adresse des managers d’équipe (souvent niveaux 5 et plus)

L’intention est d’abord de faire monter en compétence d’un point de vue managérial des jeunes managers qui expérimentent pour la première fois ce rôle. Ensuite communiquer les outils et bonnes pratiques nécessaires notamment d’un point de vue RH. Enfin assurer une formation continue dont une partie interactive pour que les managers se sentent accompagnés dans leur rôle. Cette communauté bénéficie d’une formation mensuelle dédiée sur un thème spécifique (tel que les thèmes suivants : Work from Home, Recruitment process, Annual appraisal, Organisation and levels, Engagement survey, Internal mobility and Geographical moves, Learning, How to manage development talk…).

  • L team = Leadership team à l’adresse des managers les plus seniors (souvent niveaux 6 et plus)

L’intention est d’embarquer autour du projet ManoMano et de créer une cohésion managériale (close knit) pour fédérer l’ensemble du leadership autour d’une vision commune. Ensuite de s’assurer de la co-construction de la stratégie, créer des relais pour une communication fluide et faciliter la mise en oeuvre des décisions et des projets transverses. Enfin, améliorer la rétention des talents en renforçant le partage des bonnes pratiques entre pairs. Les meetings des leaders ont lieu une fois tous les deux mois, avec systématiquement : une intervention des fondateurs, une revue des résultats financiers, une présentation de projets, une session de questions/réponses. C’est un lieu privilégié pour créer la confiance en encourageant les questions qui fâchent et un dialogue ouvert.

Enfin, je voudrais toucher un mot sur l’équipe de direction, pour partager l’expérience personnelle que j’y ai vécue. Dès l’origine, les fondateurs ont réuni autour d’eux leurs n-1. Ce comité de direction qui s’appelle aujourd’hui Eteam (= Executive team) est une instance qui a évolué au fur et à mesure des arrivées de managers expérimentés. La cohérence et la cohésion de l’équipe dirigeante est bien sur désirable mais n’est pas non plus une évidence. C’est une exercice d’équilibriste constant fonction des personnalités et de l’alchimie de ses membres. Surtout quand certains partent et d’autres arrivent, ce qui est le cas en scale-up. Equilibre précaire, équilibre en mouvement et non statique, comme le vélo. Nous avons pris l’habitude de nous réunir quatre fois par an en off site (une journée en hiver et en été, trois jours au printemps et à l’automne). C’est l’occasion de vivre des team buildings, de traiter des sujets business stratégiques mais surtout de travailler sur notre manière de fonctionner ensemble. Nous sommes accompagnés depuis deux ans par un cabinet de haut vol, Trajectives (Marc Benoit et Marie-Helène Willième). Leur intervention s’est avérée à plusieurs reprises décisive pour évacuer des tensions et sortir de certaines impasses. Nous avons appris avec eux le cercle de la confiance, dont la logique a été ensuite reprise dans les équipes. C’est devenu un référentiel commun qui lève de nombreuses ambiguïtés : “présenter son intention, ensuite passer à la confrontation”:

d — Apprendre en recevant

Nous avons réfléchi à comment mettre en place une organisation apprenante. En ligne avec notre promesse de faire grandir chacun :

  • Le premier défi est de donner aux gens les bons outils pour se former. Notre réflexion s’est articulée autour des trois dimensions, du contenu (soft skills, hard skills…), de la méthode (individuel ou collectif, physiquement ou en digital), et du comment (où, quand, et par qui). Nous avons sélectionné des programmes assez innovants dans le domaine de la Tech (tel que que Udemy) ou dans le domaine du management / coaching (tel que Uknow).
  • Le second défi est de trouver le temps pour se former. On est plus fort ensemble qu’isolé, et donc pour favoriser cet élan collectif, nous avons essayé aussi de concentrer les sessions de formation à peu près au même moment pour tout le monde, avec une cible le jeudi après-midi.

Si nous suivons de manière attentive le nombre de personnes formées et la qualité des formations prodiguées, nous sommes cependant convaincus que chacun est responsable de son développement et doit être demandeur (l’inverse d’une offre de formation en catalogue perçue comme un dû); nous encourageons cet état d’esprit, au moins deux fois par an lors des development talks où chacun est invité à échanger avec son manager sur les axes de développement professionnel.

e — Grandir en donnant

Au delà du fait de recevoir des formations, nous avons depuis longtemps misé sur le don.

D’abord via le partage :

  • Dès les origines de Manomano, des formations appelées data ninja, faites par nos experts data au profit de tous les nouveaux arrivants, ont été essentielles. Dans cette veine, nous avons mis en place d’abord un programme -Windows- pour permettre à des speakers internes et externes de partager leur expérience dans les domaines business ou humains. Et nous avons ouvert la tribune à ceux qui souhaitaient partager leurs talents ou leurs expériences (ainsi des cours d’art oratoire).
  • Les équipes techniques ont pris l’initiative pour développer leur culture et leur savoir-faire de lancer les après-midis dites « Crafternoon » (à l’initiative de Stéphane Priolet), dédiées au savoir (développement de technical skills), à la connaissance entre les équipes, à la résolution de problèmes, à l’ouverture (interventions externes).
  • Et puis des mentorings collectifs, pour que nos profils très expérimentés puissent partager des dimensions managériales spécifiques (par exemple la communication non violente)

Ensuite, via la vulnérabilité :

Nous avons lancé très récemment un programme de coaching entre pairs (peer-to-peer coaching) appelé ManoShare, avec des groupes de six à sept personnes de même niveau mais d’équipes différentes. Le principe est simple : chacun arrive avec un problème qu’il n’arrive pas à gérer, une difficulté. Et à tour de rôle, chacun peut bénéficier des conseils des autres membres du groupe. Chaque groupe est accompagné d’un modérateur du niveau supérieur. Les discussions sont soumises à des règles de non jugement, d’écoute, et de bienveillance. Le concept est très fort. Il permet de faire tomber le masque, de se connaître en vérité et de donner une part de soi-même en dévoilant sa vulnérabilité ; cette démarche commune met tout le monde au même “niveau”. Il n’y a pas de superman ou de superwoman. Les RH n’ont bien entendu pas accès à ce qui se dit, tout est confidentiel (ce qui se dit en ManoShare reste en ManoShare). Mais les témoignages concordent : dans le tumulte et les urgences, les plus réfractaires des débuts ont fait part de leur enthousiasme. Ils qualifient ces moments de “ressourçants”, louent la qualité des échanges et la confiance très particulière qui se développe.

Je terminerai avec une dernière image que je trouve très belle : le métier People est comparable au Kintsugi. Qu’est ce que le Kintsugi? Littéralement “jointures en or”. C’est un art japonais qui répare les céramiques brisées avec des laques de poudres d’or. Pour reconnaître et mettre en valeur la beauté unique qui réside dans nos failles, dans notre fragilité. Notre humanité est faite de choses simples, cabossées, et atypiques. Et chacun de nous sommes, à des degrés divers, appelés à dépasser nos imperfections individuelles pour ensemble, participer à un projet qui nous dépasse.

Remerciements

  • Solène Doukhan, Anne Bertrand, Lucie Bevillard, Carla Murano
  • A Marc Benoit de Trajectives
  • A Clément Delespaul de Kintsugi RH

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