Paul Madillo : “Lorsque j’écris […] j’ai besoin de sentir que, comme dans un morceau de musique, il y a du mouvement, des rebondissements et une allure cohérente.”

À l’occasion de la sortie de “Salade Grecque, série pour laquelle il a participé à l’écriture, Paul nous partage son expérience, sa vision du scénario et ses envies futures.

Julian
Paper to Film
9 min readApr 17, 2023

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Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a mené à l’écriture ?

Depuis tout jeune, je suis très attaché à la littérature. Ce sont les livres qui m’ont donné envie de raconter des histoires mais je n’avais jamais envisagé d’en faire un métier. J’ai fait le Master Transmedia de Sciences Po Grenoble. Puis, j’ai travaillé deux ans au Canada dans une société qui développait des concepts pour les nouveaux médias (films interactifs, web-documentaire…). Il y avait une coproduction avec la France et on recevait des scénarios. C’est là que j’ai découvert la forme du scénario que je ne connaissais pas du tout. Ça m’a tout de suite plu. J’ai commencé à écrire des courts métrages, et puis on a tourné un mockumentaire avec des amis pendant un voyage aux Etats-Unis. On s’est éclatés, c’était un bon exercice. Je voulais rentrer en France donc j’ai tenté le concours de la Fémis — Cursus Ecriture et Création de séries. J’ai réussi l’examen et après cette année d’étude j’ai commencé à travailler en tant que scénariste.

Peux-tu nous parler de ta méthode d’écriture ? Avec d’autres auteurs mais aussi seul.

Lorsque je travaille sur mes projets personnels, que ce soit série ou long-métrage, j’aime bien fonctionner par étape. Je commence par un pitch (2–3 lignes). Ensuite, j’écris une page “concept”. Cette page s’agrandit en un synopsis de 5 pages pour finalement faire émerger un traitement et enfin une V1. Il faut que mon pitch soit le point de départ d’une problématique. J’ai besoin de sentir que l’arène, les thématiques, les personnages fonctionnent et que l’ensemble peut évoluer entre elles/eux. Et à chaque étape, je fais énormément de recherche. Je lis des livres sur le sujet, je regarde des films, des documentaires, etc. J’ai des dossiers avec des centaines de liens vers des articles ou des vidéos qui traitent de ce sur quoi j’écris.

Pour le travail avec d’autres auteurs, je réponds au désir d’un showrunner ou d’un créateur de série. Ça fonctionne un peu pareil mais je dois d’abord comprendre ce qu’il ou elle veut, et voir en quoi ça résonne avec mes envies avant de l’aider à structurer et lui apporter des idées.

Pour des commandes d’épisode, c’est assez classique. On commence par un fil-à-fil. Ensuite la structure, avant d’élargir en un séquencier puis passer à une version dialoguée.

Peux-tu nous parler de ton expérience sur “Salade Grecque” réalisé par Cédric Klapisch?

Sur Salade Grecque, nous étions 5 scénaristes : Thomas Colineau, Eugène Riousse, Agnes Hurstel, Charlotte de Givry et moi-même. Ça a été un super projet, un peu particulier parce que c’était la suite de la trilogie de Cédric qui est quand même une histoire très forte dans le cinéma français et qui nous a tous marqués. Comme beaucoup de gens, j’ai fait Erasmus grâce à ce film. On avait envie de prolonger cet héritage tout en essayant de l’actualiser parce qu’on est 20 ans après le premier opus. L’Europe a beaucoup changé, il y a eu le Brexit, les questions des réfugiés, la crise de 2008 qui a fait complètement exploser la vision qu’avaient les gens de l’Europe, particulièrement en Grèce et dans les pays du Sud.

On voulait faire un état des lieux de ce que c’était devenu 20 ans après. Nous avons beaucoup réfléchi à ce qu’on voulait raconter et traiter avant de de se lancer dans la construction et l’écriture.

Au niveau de l’organisation, ça a beaucoup évolué au fur et à mesure du projet, mais on se voyait en moyenne 4 demi-journées par semaine. Nous avons commencé par brainstormer et poser les bases de chaque épisode. Puis l’un d’entre nous se lançait sur l’écriture d’un fil-à-fil, d’un séquencier ou même d’un dialogué. Nous avons co-créé tous les épisodes en atelier mais nous étions 2 à 3 scénaristes par épisode. Il y a donc eu roulement pour que tout le monde soit à égalité sur le travail à fournir, une donnée qui était de toute façon contractuelle.

On avait un Whatsapp pour des questions d’organisations. C’était complexe. Heureusement on avait une coordinatrice d’écriture : Lola Taillefer. Elle a suivi le projet du feu vert d’Amazon jusqu’à la fin du tournage. C’était elle qui gérait le calendrier d’écriture et les relations entre les différents pôles : la production (Ce Qui Me Meut) — les réalisateur.trice.s (Lola Doillon, Antoine Garceau et Cédric Klapisch) et nous, les auteurs.

Comment s’est déroulée la collaboration avec Cédric Klapisch ?

Cédric nous a appelés, les scénaristes, pour co-créer la série avec lui. Il voulait s’entourer de scénaristes plus jeunes qui n’avaient pas la même expérience que lui. Comme je le disais, on a énormément discuté au début de ce dont on voulait parler, et de la ville dans laquelle on voulait que la série se passe, c’était très intéressant. Athènes nous semblait être au croisement de beaucoup de choses dont on voulait traiter : la crise économique, la question de la migration, et aussi parce que c’est une ville très créative, vivante et résiliente qui attire beaucoup de jeunes.

Ensuite il y a eu 2 étapes. Cédric a écrit le pilote que nous avons construit ensemble. Il écrivait et nous faisions des retours. Puis lorsque Amazon a donné son feu vert, le travail s’est inversé, c’est nous qui avons écrit et lui nous a fait des retours. Lola Doillon nous a rejoint en tant que directrice d’écriture car Cédric était momentanément occupé à la réalisation de son film En Corps. Lola avait le rôle de nous aiguiller dans l’écriture de la série et de trancher lorsqu’il était nécessaire. Elle a ensuite repris les textes avec Cédric pour terminer l’écriture.

Ton mockumentaire, “The Sharlones (diffusé sur Youtube) et “Goa” (en développement) sont des projets où la musique tient une place importante, quel rôle occupe cette dernière dans ton écriture ?

La musique tient un rôle majeur dans ma vie. C’est mon identité, c’est comme ça que je me suis construit. Un des premiers films qui m’a vraiment marqué c’est School Of Rock — avec Jack Black et écrit par Mike White. Ça m’a tout de suite donné envie de monter un groupe de rock. C’était un peu toute mon adolescence. Et puis j’ai découvert la musique électronique, j’ai fait un peu le dj et j’ai monté un label avec lequel on organisait des soirées. C’est donc le cinéma qui m’a amené vers la musique. Et puis la musique m’a ramené vers le cinéma. J’adore les biopics, j’aime l’énergie qu’apporte la musique au cinéma. On sent dans certains films que les personnes qui les ont faites ont une culture musicale forte, un peu punk. C’est ce qui me plaît.

Sur mes projets, j’aime bien créer des playlists de musique pour me plonger dans un univers. Ça me permet de me connecter à une époque ou une ambiance. Par contre, j’ai du mal à écrire en écoutant de la musique, ça me déconcentre.

L’écriture a aussi beaucoup de points communs avec la musique : le rythme, la structure.

Lorsque j’écris une scène, un dialogué ou un épisode, j’ai besoin de sentir que, comme dans un morceau de musique, il y a du mouvement, des rebondissements et une allure cohérente. Et puis créer un groupe de musique, créer une série, t’engage à collaborer avec différentes personnes.

J’aime retranscrire cette union et comment on arrive à fonctionner ensemble dans un processus créatif.

Quel est ton rapport à la musique électronique ?

J’aime le fait que la musique électronique s’inscrive dans une contre-culture. Ça permet d’aborder plusieurs questions qui m’intéressent, notamment l’utopie. Organiser des soirées, se créer une communauté, une famille, des valeurs avec des gens c’est comme se constituer une utopie. Mais tu dois un peu lutter avec la société capitaliste dans laquelle nous sommes pour que cela continue à exister. C’est ce lien étroit, cette tension entre l’utopie et l’argent qui m’intéresse beaucoup et ce que j’essaie de traiter dans mes projets autour du sujet. Tous les mouvements nés dans les cinquante dernières années sont des mouvements révolutionnaires, émergés de l’envie d’aller contre la culture dominante. Mais qui ont fini par se faire happer par l’argent, même s’il reste quelques poches de résistance.

Quels sont tes autres projets en ce moment ?

Il y a évidemment, Salade Grecque qui sortira en Avril 2023 et diffusée sur Prime Vidéo. J’ai également co-écrit la saison 2 de Jeune & Golri qui devrait sortir au courant de l’année et qui était au Festival Séries Mania.

En ce moment je fais beaucoup de développement. Je travaille notamment sur ma série Goa avec la société Les Films du Bélier. C’est un thriller dans la scène trance des années 90 de Goa, en Inde. J’ai un projet de jeu vidéo pour une société qui s’appelle Wild & Sweet.

Je n’avais jamais travaillé sur du jeu vidéo. Je découvre une nouvelle méthode de travail qui est hyper intéressante. C’est très collaboratif et l’écriture se déroule en même temps que la fabrication. Contrairement au cinéma où les deux étapes sont bien distinctes temporellement.

Peux-tu nous parler de ta relation avec les producteurs, diffuseurs ?

Pour Goa, j’ai envoyé mon projet dans différentes sociétés de production. Mon choix sur la société, pour ce projet, s’est fait sur le fait que le producteur avait la capacité de le vendre et qu’il partageait une vision proche de la mienne. Je pense que c’est le plus important, avec la question de la rémunération. Les développements sont toujours très longs et il faut avoir l’envie et les moyens de s’y atteler pendant plusieurs mois ou plusieurs années.

Concernant mon rapport au diffuseur, ça dépend vraiment du diffuseur et surtout de l’interlocuteur en face. Parfois on est déçus car ils ont tendance à transformer les idées, même quand elles viennent d’eux à la base, pour que cela rentre dans leur case d’audience. Ce qui donne des projets avec trop de compromis, avec une idée de base qu’on a trop tordue. Ce qui est dommageable car cela impacte fortement la qualité originelle du projet. Mais parfois les planètes sont alignées et on a les bons interlocuteurs en face et ça se passe bien.

J’aime avoir des retours quand ils sont constructifs et permettent d’éprouver le texte pour le renforcer après. C’est en se confrontant à la critique qu’on améliore ce qu’on fait, surtout dans l’écriture télévisuelle.

Est-ce que tu as des genres, des formats de prédilections ?

Non, je n’ai pas de genre de prédilection. En ce moment, j’écris plutôt des thrillers mais j’aime autant la comédie. En fait j’aime la comédie avec du drame et du drame avec de la comédie.

Ce qui m’intéresse c’est le sujet, la thématique et l’empathie que je peux créer avec un personnage auprès du spectateur.

De même pour les formats. J’ai certes, une formation série donc j’ai plus d’atomes crochus mais j’aime travailler sur n’importe quel format.

Le « mot de la fin » ?

Si je peux donner un conseil, c’est un exercice. Choisir un film, un épisode d’une série que vous aimez et résumez le scénario. Pas jusqu’au dialogue, mais écrire une phrase par scène. Cela m’a permis de comprendre les intentions et les enjeux des scènes et comment se construit et se structure un scénario.

Ses projets :

Salade Grecque : Dans le long-métrage original, L’auberge espagnole, Xavier et Wendy (tous deux 25 ans), étudiants en Erasmus, se rencontrent à Barcelone. Aujourd’hui, leurs deux grands enfants, Tom (26 ans) et Mia (22 ans), se retrouvent à Athènes, mais ils sont d’une toute autre génération. À la mort de leur grand-père maternel, Tom et Mia doivent gérer un héritage familial inattendu.

Week end Family (S1) : Tous les week-ends, Fred s’occupe de ses filles : Clara, 15 ans, Victoire, 12 ans et Romy, 9 ans. Chacune passe la semaine chez sa maman respective. Une nouvelle belle-mère s’ajoute à cette nouvelle troupe lorsque Fred tombe fou amoureux d’Emma.

SKAM (S5) : La série suit la vie quotidienne d’une bande de lycéens avec leurs tracas et scandales, mais aussi la construction de leur identité, de leurs choix et de leur émancipation vers l’âge adulte.

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