Gouvernance des données: les choix humains derrière les données et les technologies

CRIEM CIRM
PDS | DSH
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7 min readMay 19, 2022

Écrit par l’équipe de coordination du PDS* en collaboration avec Samuel Kohn, directeur des programmes chez Nord Ouvert

An English version of this post will be published shortly.

Ce billet est le premier d’une courte série née d’une collaboration entre le Pôle d’analyse de données sociales (PDS) et Nord Ouvert (NO), porteur du chantier sur la gouvernance des données pour Montréal en commun. À ce titre, l’équipe de NO accompagne celle du PDS dans ses travaux visant à concevoir et à développer une gouvernance de données collaborative, cohérente et robuste. Cette série de billets traitera des liens unissant gouvernance et technologie, des besoins propres aux partenaires du PDS et de l’opérationnalisation du cadre choisi.

On l’a déjà dit: la mutualisation de données implique des enjeux interorganisationnels, éthiques et juridiques importants. Pour cette raison, la solution développée au sein du Pôle d’analyse de données sociales (PDS) doit s’accompagner d’un cadre de gouvernance des données visant à orienter les aspects techniques et humains de leur gestion et de leur utilisation.

Données et technologies au service du PDS

«Les données peuvent être utilisées pour s’informer, tirer des conclusions et éclairer la prise de décision individuelle ou collective. Les technologies de l’information et de la communication, quant à elles, permettent de collecter, d’héberger, de transformer et de partager ces données. Les données et les technologies vont de pair, mais doivent avant tout répondre à des besoins concrets», fait valoir notre collaborateur Samuel Kohn, directeur des programmes chez Nord Ouvert (NO). Il rappelle que les données sont construites avec une intention qui n’est pas neutre: une ou plusieurs personnes prennent des décisions concernant ce que les données représentent ou non, et comment elles sont utilisées [1].

La solution technologique développée par le PDS vise à mutualiser les données sur Montréal provenant de secteurs variés. Nous cherchons à valoriser ces données à travers les projets individuels ou collectifs des organismes partenaires afin de contribuer au bien-être de la population. Notre succès dépend de plusieurs éléments. Samuel en identifie deux qui se rapportent aux données: «le premier, susciter la confiance des parties prenantes à l’égard des outils proposés pour la prise de décisions et l’usage responsable des données; le second, s’assurer que les données sont exploitables

En d’autres termes, les utilisateur·rice·s doivent pouvoir rapidement accéder à l’information recherchée et déterminer si les données sont de qualité suffisante en fonction des objectifs établis. Il·elle·s ont aussi besoin de connaître le contexte de la collecte des données, leurs limites et les transformations qu’elles ont subies à travers les différentes étapes du cycle de vie des données (voir le schéma ci-dessous) afin de garantir leur bonne interprétation et utilisation. C’est ici qu’intervient la gouvernance des données.

Préparation (Planification > Classification) Vie opérationnelle (Acquisition > Stockage > Traitement > Analyse > Partage) Fin de vie (Archivage > Destruction)
Le cycle de vie des données numériques de Montréal en commun, produit par Nord Ouvert.

Le rôle de la gouvernance

La gouvernance des données «englobe tous les facteurs qui influencent les décisions relatives aux données (p. ex. acquérir ou non les données; prendre en compte les besoins différenciés de la population, en les impliquant directement ou non; choisir les techniques et technologies de collecte, de stockage, de traitement et d’analyse [ainsi que leur] utilisation)», peut-on lire dans l’Introduction au parcours de la gouvernance des données et à ses outils de Nord Ouvert [2].

Dans le contexte du PDS, le cadre de gouvernance des données présente trois raisons d’être. D’abord, il permet aux partenaires qui en font partie d’expliciter l’objectif stratégique et éthique de la valorisation des données, soit une meilleure connaissance et prise en compte des enjeux spécifiques de la population montréalaise. Ensuite, il vise à énoncer les politiques, lignes directrices et procédures mises en place en matière de données afin d’atteindre cet objectif. Enfin, il veille à assurer l’établissement d’un lien de confiance avec le public.

Les principaux critères d’une bonne gouvernance? «Dans le cadre de Montréal en commun (MEC), NO préconise une gouvernance des données responsable, efficace et collaborative. Cela veut dire que les décisions sont prises en fonction des risques et des bénéfices possibles pour les parties prenantes, en plus de viser des résultats utiles. Cela signifie aussi que les décideur·se·s cherchent continuellement à améliorer leurs pratiques de gestion grâce à une mise en commun des connaissances et des apprentissages», souligne Samuel.

Nous souhaitons que notre cadre de gouvernance des données serve de levier pour la défense du bien commun au sein et au moyen du PDS [3]. De nombreux facteurs internes et externes à notre projet sont aussi à prendre en considération:

  • Mode de fonctionnement de l’organisation ou du groupe;
  • Priorités et stratégies existantes;
  • Culture d’entreprise;
  • Type de données visées;
  • Contexte juridique;
  • Normes et standards du milieu d’activité.

Le cadre de gouvernance doit s’adapter aux particularités du projet et évoluer au fil du temps. Selon notre collaborateur, cela «demande des efforts constants, à la fois pour assurer la veille des nombreux facteurs d’influence et pour impliquer les parties prenantes dans les processus qui les concernent, afin de comprendre l’évolution de leurs besoins et de leurs attentes. Les bénéfices à long terme pour le PDS sont multiples: pertinence accrue des décisions et des processus concernant les données; engagement des parties prenantes face aux changements; contribution à la pérennité du projet; etc.»

L’exemple de notre partenariat de données

Notre équipe verra donc à la conception et à la mise en place d’un cadre de gouvernance des données sous la forme de balises régissant les prises de décision de ses membres en matière de gestion, d’utilisation et de partage des données. Ce cadre se basera sur les principales préoccupations des partenaires du projet et de leurs bénéficiaires, en plus de tendre vers les principes énoncés par la Ville de Montréal dans sa Charte des données numériques (2020).

C’est d’ailleurs l’une des principales recommandations formulées par NO dans un rapport produit dans le cadre de Montréal en commun: «Étant donné que le PDS vise une valorisation des données prenant en compte l’intérêt et le bien-être de la population montréalaise, son cadre de gouvernance de données devrait se pencher fortement sur des principes éthiques de la donnée.» [4] Pensons au respect du droit à la vie privée, à la transparence, à l’universalité d’accès, etc.

Notre cadre de gouvernance fera le pont entre la dimension technique du projet, lié à la mise sur pied d’une infrastructure numérique pour la mutualisation, la visualisation et l’analyse de données, d’une part, et des aspects humains cruciaux comme le développement social, la communication et la collaboration entre les parties prenantes ainsi que l’harmonisation des pratiques, d’autre part.

Les parties prenantes du PDS comprennent des détenteur·rice·s de données (organismes partenaires), des utilisateur·rice·s potentiel·le·s (secteurs universitaire, public ou communautaire), des organes directeurs (l’équipe de coordination du projet et MEC), des organismes de réglementation (gouvernements et institutions) et des bénéficiaires (population montréalaise). Aujourd’hui, ces parties prenantes n’ont pas toutes la même capacité d’influencer les négociations relatives aux jeux de données — d’où l’importance d’inclure les groupes structurellement sous-représentés [5] par le biais de nos collaborateur·rice·s sur le terrain.

Besoins humains et mise en pratique au quotidien

La gouvernance des données existe déjà de manière implicite dans notre projet. Il s’agit maintenant d’élaborer de manière inclusive et participative des mécanismes conscients et cohérents à partir des éléments suivants:

  1. Les objectifs stratégiques du partenariat;
  2. Les décisions actuelles des parties prenantes en matière de données;
  3. Les facteurs internes et externes qui les sous-tendent.

«Nord Ouvert a déjà développé un cadre de gouvernance des données pour la communauté d’innovation de MEC qui consigne des actions concrètes à poser pour opérationnaliser les principes de la Charte des données numériques, indique Samuel. C’est une base commune qui pourra guider le PDS en tant que projet de MEC. Il lui sera possible de la façonner pour l’adapter à sa réalité. Des ateliers, des groupes de discussion, des expérimentations ou des tests pour résoudre des cas d’utilisation particuliers [6] pourront donner lieu à des apprentissages. Ceux-ci pourront ensuite influencer certains choix technologiques permettant de faciliter ou d’automatiser une partie des mécanismes.»

Au terme de telles démarches, nous aurons une idée précise de la situation de départ du PDS, de la direction souhaitée et des conditions nécessaires pour la concrétiser. Ces deux premiers volets feront l’objet du prochain billet de cette série: comment les organismes partenaires gèrent-ils actuellement leurs données, et quels besoins cherchent-ils à combler à travers notre projet de mutualisation? Un dernier billet portera ensuite sur les tactiques de mise en pratique du cadre de gouvernance.

[1] Pour une mise en contexte plus détaillée sur la nature et la gouvernance des données numériques, voir ce billet de Lauriane Gorce, gérante de programme chez NO.

[2] Nord Ouvert, Introduction au parcours de la gouvernance des données et à ses outils: vers une gouvernance des données plus responsable, efficace et collaborative, Montréal en commun, janvier 2022.

[3] L’utilisation des données pour le bien commun consiste à les mobiliser pour construire une société plus juste, prévalant sur des considérations court-termistes et les seuls intérêts privés d’organisations ou d’individus (voir Nord Ouvert, Cadre de gouvernance des données de Montréal en commun. Vers une gouvernance des données plus responsable, efficace et collaborative, Montréal, Montréal en commun, janvier 2022).

[4] Nord Ouvert, Expérimentations en gouvernance collaborative des données: par où commencer? Recommandations pour le Pôle d’analyse de données sociales, Montréal, Montréal en commun, septembre 2021.

[5] On peut envisager plusieurs niveaux de sous-représentation: sous-représentation de certaines communautés dans les données elles-mêmes (voir cet exemple) ou dans les décisions relatives aux données alors que ces communautés seront les plus affectées (au cœur de la gouvernance des données). Dans notre cas, l’enjeu est de démontrer dans quelle mesure nous permettrons aux différentes communautés montréalaises de participer aux décisions relatives aux données qui les concernent.

[6] Un cas d’utilisation désigne une «[m]anière d’utiliser les données qui ont une valeur ou une utilité pour les acteur[·rice·]s impliqué[·e·]s. Un cas d’utilisation de données correspond à un problème bien défini, dans un contexte précis, ainsi qu’à un ensemble d’actions réalisées par les acteur[·rice·]s et intervenant[·e·]s des données en question en vue d’atteindre un objectif, une finalité» (Nord Ouvert, Cadre de gouvernance des données de Montréal en commun. Vers une gouvernance des données plus responsable, efficace et collaborative, Montréal, Montréal en commun, janvier 2022).

* Rédaction: Julie Levasseur et Samuel Kohn (NO); révision du contenu: Karolyne Arseneault, Lauriane Gorce (NO) et Julien Vallières.

Le Pôle d’analyse de données sociales est un projet de Montréal en commun, une communauté de projets d’innovation dans le cadre du Défi des villes intelligentes.

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