ICO : du Far West à New-York ?

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7 min readOct 20, 2017

Blockchain, Bitcoin, ICO sont des expressions autant à la mode que floues. De fait, la multiplication des sociétés blockchain, la flambée du cours du Bitcoin et les records levés en ICO (ne serait-ce que Tezos, qui a levé en quelques jours près de 250 millions de dollars) ne laissent pas d’interpeller.

Aussi, les institutionnels prennent la chose très au sérieux. La Russie a récemment annoncé qu’elle allait émettre sa propre crypto-monnaie, le cryptorouble. Il se dit également que Goldman Sachs étudierait l’introduction du Bitcoin dans son portefeuille d’actifs.

Le montant total levé via les ICO reste encore négligeable par rapport aux levées traditionnelles, mais la croissance est exponentielle, et tous les pays sont concernés. Le procédé drainant un montant croissant de fonds, il intéresse évidemment les acteurs publics. Les Etats peuvent y voir une manne fiscale importante. D’aucuns s’inquiètent des détournements de fonds. D’autres souhaitent tout simplement ne pas être trop à la traîne dans les avancées digitales.

Après avoir abordé la blockchain il y a quelques temps, nous nous pencherons cette fois-ci sur le phénomène ICO.

Comment fonctionne une ICO ?

Mi-octobre, la société DomRaider a annoncé le succès de son ICO, qui a duré un mois

Une ICO correspond à une levée de fonds en crypto-monnaies. En effet, l’entreprise en question émet des jetons numériques, ceux-ci étant souscrits grâce à des crypto-monnaies. Parfois, l’émetteur dispose de sa propre crypto-monnaie, sinon il acceptera Bitcoin, Ethereum, Litecoin ou autres, voire même des monnaies traditionnelles (USD, EUR, etc.). Comme lors d’une introduction en bourse classique, le cours initial du jeton est fixé à l’avance, par l’émetteur : ainsi, pour son ICO à venir, la jeune pousse française Napoleon X cède 100 jetons contre 1 Ethereum.

On peut discerner plusieurs catégories de jetons, notamment :

  • Le jeton utilitaire, échangeable contre biens et services de l’entreprise émettrice. C’est celui qu’a émis DomRaider, société mettant aux enchères des noms de domaine internet. L’entreprise de Clermont-Ferrand levait l’équivalent de 35M€. Ce jeton fonctionne principalement comme un instrument d’échange, et sa valeur est évidemment liée à l’usage. Si l’émetteur connaît des difficultés dans son développement, il y a de grandes chances pour que la valeur du jeton se rapproche de 0.
  • Le jeton assimilable à une action, en ce sens qu’il donne droit à des dividendes.
  • Le jeton communautaire, utilisé par des collectivités locales, des associations, des groupes sociaux organisés. Il confère un pouvoir de gouvernance.

Ces jetons peuvent parfois être échangés sur des places de marché, comme Bittrex. Le jeton numérique peut donc aisément se rapprocher d’une créance, d’un titre financier, d’un produit dérivé… Tout en n’ayant pas, pour l’instant, de traitement comptable, juridique et fiscal précis. DomRaider envisageait ainsi d’enregistrer le montant de son ICO dans son chiffre d’affaires, certainement en tant que produit non-récurrent.

Ce flou entourant ICO et cryptomonnaies est de nature à doper la croissance du secteur, à ses risques et périls.

De la compétitivité de l’ICO

Le CEO de Blue Apron, Matthew B. Salzberg, lors de l’IPO de son entreprise

En effet, l’offre initiale de jetons numériques profite pour l’instant de l’essentiel des avantages de la nouvelle économie sans en supporter les coûts.

  1. Grâce à l’IT, et à une couverture internet croissante, une ICO s’effectue, directement, à une dimension planétaire. Il n’y plus de choix à faire quant à la place où la société va s’introduire, puisqu’elle sera financée partout à la fois, en même temps. Même si cela ne veut pas dire que les entreprises en ICO ne doivent pas cibler leurs efforts.
  2. Les leveurs en ICO bénéficient également de l’engouement très fort pour la désintermédiation, illustré par la fameuse “ubérisation”. De fait, les apporteurs de fonds apprécient d’être directement reliés aux leveurs et d’avoir accès à l’information rapidement.
  3. Couplée à ces deux premières dimensions, une ICO permet de lever des fonds très rapidement.
  4. En plus de cela, l’ICO apporte quelques avantages traditionnels de l’IPO : augmentation de la notoriété, démonstration de puissance, création d’un réseau supplémentaire de soutiens (les détenteurs de jetons, qui ont tout intérêt, sauf s’ils ont un comportement purement spéculatif, au succès à long terme de l’entreprise).

La structuration de l’univers ICO

Bien que ces comportements de free riders soient caractéristiques, le milieu de l’ICO est en pleine structuration, avec une professionnalisation certaine. De fait, même si les early adopters étaient les membres de la communauté blockchain, très technophiles, se retrouvent aujourd’hui investisseurs institutionnels, advisors, analystes financiers ou encore agences de notation et cabinets d’avocat spécialisés.

Ainsi, s’est développée la société Chaineum. Elle fait du conseil en ICO, de l’accompagnement juridique, aide au formatage de jetons… La société annonce avoir déjà conduit une dizaine d’ICO, pour des montants allant de 10 à 110 millions d’euros, aussi bien en France, en Russie qu’en Israël, avec des sociétés comme Emeleum (software), Naviaddress (services de localisation) et Napoléon X (asset management de crypto-monnaies).

Les émetteurs ne sont pas exempts d’obligations. Comme lors d’une traditionnelle IPO, ils organisent des roadshows et préparent de la documentation (nous y reviendrons). Cependant, on le voit bien, nous avons affaire à des sociétés soit de la blockchain, soit nées à l’ère digitale, qui en ont les codes, en maîtrisent un minimum les outils. De fait, pour qu’une ICO réussisse, il faut souvent que le concept porté par la société soit reçu comme technologiquement novateur et pertinent par la communauté blockchain.

Mais ce n’est pas seulement la maîtrise technologique qui retient les entreprises traditionnelles de recourir à l’ICO. De fait, ICO et cryptomonnaies sont complètement irrégulées et souffrent d’un vide juridique abyssal. C’est ce qui peut faire son charme comme sa perte.

Les enjeux juridiques

Vladimir Poutine avait rencontré à l’été le fondateur de l’Ethereum, Vitalik Buterin

Actuellement, la position des régulateurs varie, allant de l’interdiction pure et simple à l’encouragement discret.

Ainsi, la lutte contre le blanchiment d’argent a officiellement motivé les décisions chinoise et sud-coréenne d’interdire purement et simplement les ICO. En effet, les entreprises procédant à des ICO ne sont pour l’instant pas soumises à des obligations de traçabilité et de transparence, elles n’ont pas de registre à tenir ou à fournir. Or, à partir du moment où on détient un jeton et où on peut l’échanger contre une cryptomonnaie, on peut alors acquérir une devise nationale, comme le dollar, l’euro ou le yuan. Et la Chine avait justement souhaité empêcher la convertibilité du yuan.

Par ailleurs, la détention de jetons numériques et de cryptomonnaies n’offre aujourd’hui que peu de garanties aux investisseurs. De manière conventionnelle, les candidats à l’ICO rédigent un whitepaper, sorte de prospectus boursier (voir le whitepaper de Domraider). Seulement, il n’a pas de réelle valeur contraignante pour l’émetteur de jetons, il s’agit plutôt de s’en remettre à sa bonne foi et à sa bonne volonté. D’autant que la rédaction de ces papiers est soumise à critique. Produits de manière communautaire, ils bénéficient de l’apport des “advisors”, mais ceux-ci peuvent être soumis à des conflits d’intérêt et leur rôle n’est pas toujours clairement défini. Ces différents éléments sont à l’origine de plusieurs mises en garde formulées par les autorités britanniques et suisses, voire carrément de menaces de la part du régulateur américain ou néo-zélandais.

Car, pour l’instant, les questions suivantes restent sans réponses : les détenteurs de jetons sont-ils considérés comme des actionnaires, des créanciers ? Des référents ? Peuvent-ils obtenir compensation si la société est liquidée ?

Et puis, le risque de fraude et de piratage est toujours bien présent : ainsi, le hacking de son ICO a coûté à l’entreprise CoinDash près de 7 millions de dollars. Car, pour que les échanges fonctionnement bien sans tiers de confiance, il faut que la technologie Blockchain soit particulièrement solide. Or, comme cette dernière institue une banque centrale interface, opérée par un logiciel open source, une simple faille peut mettre en danger l’ensemble du système sans mécanismes de compensation.

Conséquemment, avec un marché aussi volatile, aussi peu régulé et aussi insaisissable, l’investissement en ICO ou en crypto-monnaie n’est clairement pas un placement de père de famille. Il s’agit plutôt d’un marché pour risk takers ou geeks, d’un vaste territoire vierge laissé aux aventuriers. Le tout venant risquerait de s’y perdre, mais c’est justement ce risque élevé qui rend ces placements si rémunérateurs.

Ce que l’ICO révèle de nous

Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes

Comme souvent, il y a derrière l’essor des cryptomonnaies et des ICO un vrai phénomène de société.

Il n’est en effet pas anodin qu’elles aient été originées par des technophiles, très attentifs aux libertés individuelles. Les crypto-monnaies révèlent une forte défiance envers les pouvoirs politiques centralisateurs. En comparaison des monnaies nationales, les cryptomonnaies sont indépendantes du pouvoir politique, et des utilisations que celui-ci fait de la monnaie, que ce soit pour “faire baisser” le chômage, renflouer les banques ou déprécier le change.

Evidemment, si ces phénomènes peuvent s’exprimer, c’est bien en raison des avancées technologiques et de la libéralisation financière, c’est-à-dire de l’arrêt du contrôle des capitaux et de l’ouverture des différentes places boursières dans le monde. Et le fait que les Etats-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni ou encore Singapour, Etats pionniers dans la libéralisation financière, puissent mettre en garde contre ces nouveaux phénomènes peut prêter à sourire.

On citera donc, pour terminer, ces fameux mots de Bossuet : “Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes”.

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