IPO de Spotify : tous les voyants sont au vert

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7 min readNov 24, 2017

“L’Europe a été pionnière dans la musique numérique”

Tels sont les mots d’Hans-Holger Albrecht, directeur général de Deezer. Plus tôt dans la semaine, effectivement, les différents acteurs européens du streaming musical (Spotify, Deezer, SoundCloud…) se rencontraient pour former un lobby auprès des institutions européennes, le Digital Music Europe. Ce lobby aura pour objectif de renforcer le marché numérique européen en harmonisant les appareils juridiques. Peu importe que les membres de cette initiative soient concurrents, ils ont tous intérêt à avoir un accès facilité au marché continental de façon à répondre plus efficacement à la concurrence extra-européenne. En ce qui concerne l’internet, planétaire par essence, la profondeur du marché est essentielle au décollage des pépites.

Parmi ces acteurs, Spotify fait figure de champion. De fait, l’entreprise de streaming musical n’est toujours pas profitable, mais tous les voyants sont au vert pour une introduction en bourse dans les prochains mois : croissance annuelle du nombre d’utilisateurs, conversion d’utilisateurs gratuits en utilisateurs payants et génération de revenus récurrents mensuels.

La force d’une application interopérable, simple d’utilisation et communautaire

Les assistants vocaux intelligents, nouveaux leviers de croissance pour Spotify.

Très tôt, Spotify a fait de l’ergonomie et de la simplicité de son application des éléments structurants. Il s’agit d’utiliser le service facilement, rapide, quelle que soit la plateforme utilisée (smartphone, ordinateur, tablette…). Spotify est ainsi bien plus opérationnelle qu’Apple Music, qui a du mal à se déployer sur Android. Or, Android est le système d’exploitation de 85 % des téléphones dans le monde… Spotify a donc pu y développer un avantage technologique comparatif.

Aujourd’hui, Spotify se développe via les assistants vocaux intelligents (Alexa, Google Home). Cela fournit un levier de croissance supplémentaire (une extensivité), une façon d’envelopper toujours plus les particuliers, et une manière d’enserrer son écosystème de partenaires — grâce à ses services, les partenaires de Spotify génèrent des revenus supplémentaires récurrents dont ils peuvent avoir du mal à se passer.

Cette forte extensivité est renforcée par la profondeur et l’agilité de son actif technologique, capable d’absorber rapidement une hausse conséquente du trafic. Ainsi, selon le cabinet Manhattan Venture Partners, le poids de la R&D et des amortissements/dépréciations devrait rester stable, la majorité des dépenses étant de nature commerciale ou marketing.

L’application a également fait sa notoriété par son système de recommandations, même s’il est critiqué, par ses listes de lecture et par ses radios.

Intégration de Spotify dans Facebook Messenger.

Enfin, la puissance de Spotify réside dans la dimension communautaire de sa plateforme. Il est possible de partager sa musique auprès de ses amis, de découvrir ce que l’autre écoute, et même les personnalités publiques s’y prêtent. A cet égard, le partenariat noué avec Facebook a été tout à fait bénéfique pour le suédois : cela lui confère une visibilité sur le premier réseau social du monde et encourage l’interaction entre ses membres. Pour Facebook, il s’agit d’une occasion d’étendre sa couverture et, potentiellement, de collecter des données intéressantes.

Un dynamisme très encourageant

Alors qu’il y a encore un an, la plateforme comptait “seulement” 33 millions d’abonnés payants, elle a annoncé en septembre avoir franchi le cap des 60 millions. Conséquemment, ses revenus devraient atteindre près de 2 milliards d’euros sur l’année 2017. Ils ont augmenté de 45 % sur la période. Effectivement, 90 % de ses revenus sont tirés des abonnements, qui génèrent des flux mensuels récurrents, propres à gagner la confiance des investisseurs puisqu’ils créent une meilleure visibilité de la marche de l’entreprise.

Par ailleurs, le taux de conversation d’utilisateur gratuit à utilisateur payant s’établit entre 25 et 30 % selon les années, et cela devrait augmenter avec la rétention plus forte que devrait occasionner l’enrichissement de l’application (développement d’une offre “packagée” avec Hulu, essor de l’activité radio…).

En plus, même si l’utilisateur gratuit ne paie pas d’abonnement, il paie Spotify au final en acceptant d’ingérer de la publicité. L’entreprise suédoise, afin d’augmenter la conversion, espère engendrer du consentement à payer, en misant sur la lassitude des utilisateurs vis-à-vis de la publicité.

Un des indicateurs les plus importants est également la valeur de la durée de vie client. Avec le développement d’une offre familiale à 14.99 € par mois, on peut légitimement supposer que cette valeur va s’élever. Plus d’utilisateurs seront regroupés dans une même structure, créant à la fois simplicité d’accès et de facturation, mais conférant également une valeur affective au compte.

Les trois principaux “majors” de la production musicale.

En raison de son modèle économique, la marge brute de Spotify est faible : 13.7 % du chiffre d’affaires en 2015, 15.4 % en 2016. De fait, l’entreprise suédoise verse des royalties écrasants aux majors, Universal, Sony et Warner, représentant à eux trois 75 % des ventes de production musicale dans le monde. Ils font payer à Spotify la mise à disposition de leurs catalogues d’artistes et exigent une part des revenus en fonction du nombre d’écoutes de leurs titres, asphyxiant ainsi plus de 70 % des revenus de l’application. Toutefois, suite à la récente renégociation de ses accords avec les majors, Spotify devrait voir sa marge brute augmenter, probablement autour de 17 % l’an prochain, et caressant les 20 % d’ici à 2021. Les récentes renégociations auraient permis à Spotify de regagner 5 points de % dans le partage de revenus. Dans cette perspective, l’entreprise devrait afficher un excédent brut d’exploitation d’ici à fin 2019.

Les éléments à surveiller

Dans sa marche vers l’IPO, Spotify devra toutefois surveiller ses concurrents. Apple Music semble être l’un des plus sérieux. Certes, son application opère moins facilement que Spotify sur Android. Pour autant, Apple peut s’appuyer sur l’expérience d’iTunes et sur une communauté très importante d’utilisateurs, tout à fait intégrée dans sa galaxie de produits. La valorisation d’une telle base devrait lui permettre d’éviter des coûts marketing trop lourds et, dans le même temps, d’exploiter des données déjà collectées et, pour certaines, traitées. En outre, après une période d’essai, le passage au payant est obligatoire pour utiliser Apple Music. En deux années seulement, Apple Music a doublé Deezer, existant pourtant depuis 2007 et ayant initialement verrouillé le marché français via son partenariat avec Orange. Amazon Music est également en embuscade. Quant à Tidal, Pandora, Dubsmash ou Qobuz, ils sont plutôt sur des marchés de niche.

Tidal, lancée par le rappeur américain Jay-Z, s’adresse à un public très audiophile.

Par ailleurs, la politique de diversification de Spotify a jusqu’ici été un échec. Spotify propose du contenu vidéo et podcast, pour l’instant peu attractif et peu mis en avant. Celui d’Apple est réputé de meilleure qualité. Et puis, la société suédoise, en ce qui concerne la vidéo, s’engage dans une confrontation directe avec YouTube et Netflix, bien plus avancés. Dans le domaine, ses partenariats avec Vice, ESPN et ABC n’ont pas été fructueux et ont expiré fin 2016.

Enfin, l’application Spotify reste distribuée par les boutiques d’applications, App Store et Google Store. Ces boutiques étant opérées par ses concurrents, on peut comprendre la réticence de Spotify à entrer dans leur giron et à mettre ainsi en dépendance l’accès à son application.

Structurellement, le marché du streaming est donc peu profitable : pouvoir fort des utilisateurs, qui peuvent passer d’une offre à une autre, absorption d’une part énorme des revenus par les majors, dépendance aux distributeurs d’applications, menace élevée d’entrée sur le marché par de nouveaux acteurs. D’ailleurs, Tencent, déjà ultra-dominante en Chine sur ce segment, pourrait bientôt s’implanter en Occident, maintenant qu’elle a complété son catalogue en signant un accord avec Universal. Sur ce marché peu profitable, l’avantage sera à l’entreprise qui aura réussi à capturer la valeur, justement en proposant aux utilisateurs une offre efficace, accessible et agile ; du reste, de plus petits acteurs peuvent coexister, en misant sur des niches, plus margées et mieux servies.

Spotify est donc en très bonne voie pour capturer l’essentiel de la valeur : forte croissance annuelle des revenus et du nombre d’utilisateurs, bon taux de conversion et génération de revenus récurrents. Et puis, il reste au suédois beaucoup de marges de progression, puisqu’il n’est présent que dans 65 marchés. Ainsi, l’Inde, où la concurrence est déjà forte (Google Play Music, Gaana, Saavn…), est une cible de choix, avec ses 273 millions d’utilisateurs de streaming d’ici à 2020, selon Forbes. Une fois le marché mondial sécurisé, on pourrait bien voir Spotify rehausser ses tarifs afin d’accéder plus rapidement à une solide profitabilité. C’est ce à quoi Netflix vient de procéder, et il sera donc instructif pour Spotify d’en observer les conséquences.

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