« Pour moi, le dessin est une extension importante du langage »

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7 min readAug 4, 2022

Rencontrez Antoinette Esmé Hérivel, artiste en résidence

Antoinette Esmé Hérivel a été l’une des premières artistes à utiliser Imprimo. Nous avons donc été ravis d’avoir l’occasion de l’interviewer à propos de son travail pour la rubrique Artiste en résidence de ce mois-ci. Antoinette nous parle de l’art comme d’une forme de jeu qui dure toute la vie, de la cuisinière qui l’a encouragée à dessiner lorsqu’elle était enfant, et d’histoires racontées à travers la mémoire, l’observation et l’imagination. Elle explique que « s’activer à fabriquer des choses, c’est aussi vital … que de manger et dormir », et que ses démarches parallèles sur la flore qui l’entoure aujourd’hui et sur les souvenirs de son passé se rencontrent dans son travail en cours.

Vous pouvez voir la série récemment achevée d’Antoinette, The Green Front Door, qui consiste en 31 dessins sur papier inspirés de son enfance dans l’Angleterre d’après-guerre, lesquels sont exposés à la bibliothèque publique de Gabriola. Les œuvres seront exposées jusqu’à la fin du mois d’août.

Imprimo : Bonjour, Antoinette.
Vous répondez aux questions d’Artiste en résidence depuis votre maison / atelier, à l île Gabriola, en Colombie-Britannique. Que voyez-vous depuis votre fenêtre ?

Antoinette Esmé Hérivel : Ma maison et mon studio se trouvent sur une pente. De ma fenêtre, je vois mon petit jardin de fleurs clôturé, entouré d’un terrain forestier qui descend vers l’océan, tout droit entre l’île de Gabriola et la ville de Nanaimo. Au-delà, on aperçoit les montagnes enneigées du centre de l’île de Vancouver. De ma fenêtre, je vois régulièrement toutes sortes d’animaux sauvages : cerfs, ratons laveurs, aigles, corbeaux, et une diversité d’oiseaux chanteurs.

I : Vous avez écrit que, dans votre enfance, le dessin était une forme de jeu dans lequel vous vous plongiez et qui vous absorbait complètement. Après des décennies en tant qu’artiste professionnelle, professeure d’art et mentore, comment l’adulte que vous êtes devenue voit-elle le dessin aujourd’hui ? Est-ce toujours un jeu ?

AEH : Tout à fait, d’autant plus que j’ai emménagé ici il y a dix ans, en provenance de la Saskatchewan, après avoir pris ma retraite des activités professionnelles, y compris l’enseignement. J’ai décidé de me retirer et de prendre le temps de me concentrer sur mon travail, de redécouvrir ce que je veux faire dans la dernière partie de ma vie. Pour moi, jouer, c’est chercher à exprimer plusieurs idées ou pensées sur une même feuille de papier ou une même toile par le dessin et la peinture. Parfois, je m’amuse avec des collages mixtes sur papier avant de commencer une nouvelle série de peintures ou de dessins. Je trouve ce processus immensément satisfaisant. C’est probablement similaire au sentiment que procure la composition musicale.

The Factory Girls: The Green Front Door 1947–1951 series

I : Avez-vous eu dans votre enfance un enseignant ou une enseignante d’art qui vous a particulièrement encouragée ?

AEH : On nous encourageait à être créatifs à l’école primaire. Puis, j’ai fréquenté pendant sept ans un internat très strict où le professeur n’aimait pas que j’expérimente le mélange des couleurs sans en avoir reçu la consigne. Ayant trouvé un livre sur le cubisme, j’ai demandé du papier pour voir si je pouvais reproduire ce que Picasso avait fait. On me l’a refusé, mais j’ai trouvé chez la cuisinière une alliée, qui m’a donné des sacs de sucre et de farine usagés pour dessiner. J’ai eu ma meilleure professeure dans un collège de Londres. Elle était enseignante invitée de l’école d’art Slade, c’est elle qui a guidé ma découverte de la peinture.

I : Pouvez-vous nous parler de l’art en tant que mémoire ? Nous pensons en particulier aux œuvres fortement inspirées de
vos expériences d’enfance durant l’après-guerre, au Royaume-Uni.

AEH : Pour moi, le dessin est une extension importante du langage. Mon besoin de dialoguer avec dans la mémoire est ancré dans l’identité et dans l’héritage, ce qui serait long à expliquer ici. J’ai pris de minuscules éclats de souvenirs, je les ai situés dans l’Histoire puis développés pour les exploiter sous forme de dessins et de peintures, en ajoutant parfois du texte comme dans The Green Front Door. La science nous dit que la mémoire n’est pas statique, qu’elle change au fil des récits. J’aime cette idée, car elle me permet d’ajouter et d’inventer des détails.

My Mother Sat Down on the Stairs and Cried: The Green Front Door 1947–1951 series

I : Quelles sont les sources qui alimentent ces œuvres autobiographiques ? Teniez-vous un journal intime lorsque vous étiez enfant ? Revisitez-vous les lieux de vos souvenirs, avez-vous des photographies ?

AEH : Je possède peu de photos de cette époque, mais j’ai quelques portraits de studio, des photos scolaires et des coupures de journaux. Les gens ne prenaient pas autant de photos que nous le faisons aujourd’hui. J’ai utilisé des archives photographiques ainsi que Google Earth. Les maisons dans lesquelles j’ai vécu sont toujours là. J’ai suivi un blogue sur la restauration de l’ancien système de canaux à Swindon (Angleterre) parce que cela faisait partie d’un dessin que j’avais fait. Je suis retournée une fois à Alton, la ville du Hampshire qui a inspiré la série Ackender Road. J’aime la campagne des comtés du Sud de l’Angleterre, et je m’intéresse à la recherche historique en général.

I : Vos peintures de plantes indigènes de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord et vos œuvres représentant des forêts ou des jardins semblent parfaitement équilibrer vos œuvres plus clairement autobiographiques. Alors que ces dernières rappellent des événements passés dans un autre pays, les premières captent quelque chose de local et, bien que délicat, de vivant au moment où vous le captez. Comment conjuguez-vous ces deux intérêts ?

AEH : Je suis une conteuse qui travaille à partir de l’observation, de la mémoire et de l’imagination et qui a toujours accès à son imaginaire. Je vis actuellement au milieu d’un environnement fragile qui évolue rapidement, ce qui ne peut être ignoré. Je suis également engagée dans ce qui se passe actuellement, et cela m’a donné envie de constituer une documentation sur la forêt. J’ai commencé à faire des dessins botaniques dans le cadre d’un projet portant sur la pandémie, qui a débouché sur des peintures forestières. Je travaille en parallèle sur une double thématique depuis que je me suis attelée aux œuvres de mémoire, que j’ai tenues confidentielles jusqu’à récemment. J’envisage une nouvelle série. Il se peut qu’elle combine une double orientation.

I : Où trouvez-vous les plantes que vous peignez ? Êtes-vous jardinière ? Ou randonneuse ?

AEH : Toutes les plantes ont été trouvées dans mon jardin sauvage ou dans des fossés à proximité, et la plupart sont des plantes indigènes de la côte nord-ouest du Pacifique, utilisées depuis des centaines d’années par les peuples autochtones. En réalisant ce projet, j’ai essayé d’en apprendre un peu plus sur le territoire non cédé sur lequel je vis et de lui rendre hommage. J’ai toujours été jardinière, et j’aime la randonnée. Cette année, j’ai dû mettre ces activités en veilleuse, parce que je me remettais de deux interventions chirurgicales.

I :
L’ancien artiste en résidence Grant McConnell pose la question suivante : Pourquoi continuez-vous à faire tout ça ?

AEH : Grant, j’aimerais bien le savoir ! Je sais que faire activement des choses est aussi vital pour moi que de manger et dormir… Récemment, je n’ai pas pu travailler dans mon atelier pendant une période assez longue, pour des raisons de santé. La tristesse que ça m’a causée m’a fait prendre conscience que j’ai besoin de faire de l’art pour mon bien-être mental, que ce soit dans une relation de dialogue et d’appréciation des autres, ou simplement pour m’adresser à moi-même.

I : Maintenant, quelques questions du tact au tac :
Qui sont les artistes, d’aujourd’hui ou du passé, que vous aimeriez rencontrer pour prendre un café ?

AEH : Le Caravage, Rembrandt, Goya, Kathe Kollowitch, Paula Rego, Edward Burtynsky, Zachari Logan.

I : Y a-t-il une compétence improbable que vous avez acquise grâce à votre pratique artistique ?

AEH : La patience.

I : Vous souvenez-vous de la première œuvre que vous avez exposée publiquement ?

AEH : C’était à l’exposition d’enfants des Nations Unies de 1948, à la mairie de Swindon.

I : Quelle est la dernière galerie que vous avez visitée ?

AEH : La galerie d’art de Nanaimo, il y a environ deux semaines.

  • Cette interview a été traduite de l’anglais

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AU CAS OÙ VOUS L’AURIEZ MANQUÉ …

Félicitations à nos amis de Prairie Art, un nouveau magazine dans lequel des artistes écrivent sur l’art et sur les artistes canadiens de cette région. Selon les mots de l’éditrice Angela Bugera Matheson, de la Bugera Matheson Gallery d’Edmonton, « ce périodique en ligne a pour vocation de narrer l’histoire des arts dans l’Ouest canadien, racontée par ceux et celles qui l’ont vécue ». Nous sommes honorés de figurer dans les pages de son numéro inaugural, publié en juillet. Vous pouvez lire Prairie Art en ligne dès maintenant sur prairieart.ca.

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