Le capitalisme n’est pas dominé, mais dominant

Une analyse du capitalisme comme système, plutôt que comme processus.

Ewatomi Abara
Red Autumn
8 min readSep 5, 2020

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Une personne qui vit sous le système capitaliste, et qui a aussi une compréhension de base de son fonctionnement, pourrait le voir simplement comme un système de production détenu et perpétué pas une classe supérieure. Il est souvent imaginé que la bourgeoisie perpétue le Capitalisme, qu’il n’existe que dans la mesure où cette classe bourgeoisie le “permet”, ou le “crée”. Bien que cela puisse être vrai dans la mesure où nous analysons le Capitalisme comme un mode de production et un système purement économique au sein de la nation et de la société, nous devons comprendre et abstraire le Capitalisme de son application économique spécifique et le considérer sous un angle culturel et social. Le capital n’est pas un outil, une série de mécanismes et moyens permettant à une “classe supérieure” d’atteindre ses objectifs, mais une créature historique, une entité issue de consequénces historiques, qui lutte pour se maintenir et rester en vie.

Nous devons comprendre que le Capitalisme n’est pas un système dominé, il n’est pas apprivoisé par la bourgeoisie, mais plutôt dominant. Pour comprendre l’idée de “système dominant”, il est nécessaire d’analyser les relations entre les classes bourgeoises et dirigeantes, et le système du Capitalisme.

La première chose qu’il nous faut comprendre est que la bourgeoisie n’est pas une classe construisant et développant le Capitalisme, mais qu’elle est elle-même esclave du système qu’elle perpétue. Le système de classe tel qu’il existe est basé sur le Capitalisme, et pas l’inverse, et cela devrait suffire a montrer que la bourgeoisie est sujette au système susmentionné. Elle est dépendante du Capitalisme, de la même manière que la noblesse et le monarque vivaient sous l’influence de la monarchie. La monarchie n’existait pas pour justifier le Roi, mais le Roi existait pour justifier la monarchie. De même que le Roi était appuyé par la monarchie, et cela était dû au droit divin, à Dieu et a son existence en tant que “pouvoir définissant” des institutions socioculturelles monarchiques, la bourgeoisie existe seulement car elle est assurée par le Capitalisme.

Pensez y : La monarchie peut, sous vide, exister indépendamment du roi. Les institutions monarchiques, l’État et la culture peuvent exister, et cela indépendamment de l’existence d’un monarque. Cela est tellement vrai que l’on pourrait imaginer que si vous mettiez un mannequin sur le trône et que le peuple reconnaissait cette idée de personne en tant que roi, alors la monarchie existerait purement et simplement parce qu’elle n’est pas nourrie par existence d’un régisseur, mais par les institutions qu’elle possède. Ainsi, le Roi n’est pas en contrôle de la monarchie, mais bien sous son contrôle.

Mais pourquoi la bourgeoisie (ou n’importe quel autre classe dominante) est-elle nécessaire pour l’existence du Capitalisme? Si le Capitalisme est une “entité”, cet être apparemment puissant qui existe indépendamment, pourquoi ne peut-il pas prendre directement en charge la domination de la classe ouvrière ? Et comment la bourgeoisie assure-t-elle la domination de la classe ouvrière sans utiliser directement le capitalisme pour la dominer ?

LA BOURGEOISIE EN TANT QUE CLASSE D’ESCLAVES PRIVILÉGIÉS, ET LES OUTILS DU POUVOIR

Le capitalisme offre à la bourgeoisie la liberté, ou plutôt l’illusion de celle-ci. Pour agir matériellement, le capitalisme a besoin d’un moyen de s’exprimer dans la société humaine, et il n’y a pas de meilleur moyen que d’asservir les gens dans le cadre de son système de classes. Certes, la bourgeoisie ne subit pas la même exploitation et la même oppression que le prolétariat, mais elle reste une classe sous le Capitalisme et donc soumise à lui.

Le bourgeois ne vit pas pour son propre plaisir et il n’agit pas de manière “égoïste” ; le bourgeois agit pour accumuler un pouvoir imaginaire, une chose créée à partir de rien qui ne représente rien. Le bourgeois est imprisonné dans un cycle de consommation sans fin et incontournable, et il sent une necessité de consommation qu’il peut satisfaire, contrairement à la classe prolétarienne. Néanmoins, le bourgeois continue à marcher sans avancer, en essayant d’atteindre la béatitude absolue, une plenité absolue qui est apportée par l’atteinte du sommet du consumérisme, un zénith qui ne pourra jamais être atteint. Le bourgeois est toujours esclave de la marchandisation, du consumérisme et de la culture capitaliste, et il agit de manière inconsciente pour perpétuer cela.

La classe bourgeoise est donc, bien sûr, le “soumis” parfait pour le Capitalisme. Bien qu’il puisse être considéré comme une “entité historique”, ce n’est pas un être matériel, il n’est pas tout-puissant ; c’est un ensemble d’institutions comme les autres. La bourgeoisie est simplement celle qui a le plus à perdre, celle qui serait la plus touchée par la chute du Capitalisme. La classe bourgeoise experience un syndrome de Stockholm et s’abandonne à devenir la manifestation du système par lequel elle est asservie. La bourgeoisie, bien sûr, paie le prix de cet ensemble de “privilèges” (qui ne sont que l’incarnation de l’aliénation). Pour ce faire, elle doit représenter son Dieu du Capital sur terre, et doit aussi bien sûr maintenir la classe prolétarienne de son côté, afin d’assurer la stabilité et la perpétuité du capital. Ils utilisent alors un des outils de domination, les “outils de pouvoir”, dont certains ressemblent beaucoup à ce que le Capitalisme leur fait.

  1. L’autorité. Quelle que soit la lutte de la bourgeoisie pour la pérennité du capitalisme, aucun système ne peut exister sans légitimation. C’était autrefois la règle de celui qui était le plus fort, ou de celui qui détenait le plus de céréales et de bétail ; s’il était d’une certaine qualité, il était bien sûr capable et apte à gouverner. Il a ensuite été tourné à droite par Dieu, car un pouvoir donné par le souverain de tout l’univers est incontestable et éternel. Maintenant, c’est la loi du peuple.
    Ne croyez pas que je suis en train de dire que le capitalisme bénéficie effectivement d’un soutien populaire. Au contraire, le capitalisme fonctionne par le biais du système qu’est la “démocratie”. Il se légitime lui-même, sa propre existence, en s’assurant que les gens savent et comprennent que ce qu’ils vivent est ce qu’ils ont choisi, que c’est la conséquence de leurs actions, peu importe la véracité de ces dernières. La démocratie bourgeoise est créée dans l’intention de légitimer la domination de la bourgeoisie sur les classes inférieures, et ainsi d’écraser la défiance à son égard par la responsabilisation des classes dominées.
    Bien sûr, même si la démocratie bourgeoise devait changer quelque chose, quelle importance ? Les “classes inférieures” sont toujours soumises à des conditionnements sociétaux. Et même si, par hasard, un gouvernement qui ne s’aligne pas sur les intérêts du Capitalisme est élu par la démocratie bourgeoise, il est rapidement démantelé. Voir, par exemple, les social-démocraties d’Amérique du Sud. Bien qu’elles perpétuent encore le capitalisme, elles tentent souvent de rompre leurs relations néocoloniales avec les pays capitalistes, ce qui menace la stabilité du capitalisme, système qui nécessite invariablement l’impérialisme pour assurer sa domination. Dès qu’un gouvernement social-démocrate déterminé à couper les liens avec l’impérialisme apparaît, il est démantelé. Voir par exemple le coup d’État contre João Goulart au Brésil, en 1964, ou encore plus récemment le coup d’État contre Evo Morales en Bolivie. Ces systèmes ne sont pas contre le capitalisme, mais ils vont à l’encontre d’une des valeurs fondamentales de l’institution susmentionnée. Cette démocratie est conditionnelle — cette règle du peuple n’est respectée que tant qu’elle s’aligne sur la nécessité du Capital.
  2. Concessions. Lorsque l’autorité ne suffit pas, et que la légitimation ne peut se faire en affirmant que le peuple est au pouvoir, des concessions sont accordées. Les concessions sont, si vous voulez, ces petits “cadeaux” donnés par l’État et le gouvernement, les soi-disant “droits”. Concessionner dans ce contexte ne signifie pas que le capitalisme cède, mais plutôt qu’il essaie d’éviter de le faire. En améliorant marginalement certains aspects de la condition de la classe ouvrière nationale, il peut assurer une dépendance à son égard. La classe ouvrière qui a quelque chose à perdre, une concession, un privilège, ne se révoltera pas. Elle ne risquera pas de perdre sa (faiblement) “bonne” position pour se révolter, parce que le prolétaire, que cela nous plaise ou non, pense moins à son avenir et plus à son statut actuel. Le prolétariat a ses concessions à perdre, et il sait que toute forme de défiance envers le système signifierait la légitimation, dans une conception bourgeoise, de la soustraction de ces concessions.
  3. Un troisième outil, qui bien que moins représentatif, est beaucoup plus présent. La culture. Le capitalisme crée une culture, ou son ombre. Il crée, comme beaucoup d’institutions avant lui, un système de “croyances” et de “valeurs fondamentales” qui peuvent être partagées par d’immenses groupes de personnes. C’est peut-être l’exemple le plus banal, mais pensez à Coca-Cola. Il est mondial, et il a infiltré l’alimentation et la vie quotidienne de milliards de personnes dans le monde entier, des personnes sans rapport, des personnes sans relations. C’est une pseudoculture, qui ne sert qu’à conditionner la population à adopter le système. Elle sape ou intègre d’autres cultures, en les transformant en marchandises, en les transformant en conceptions objectivées à pratiquer et à voir de manière superficielle. Le capitalisme, par-dessus tout, conditionne le peuple à les accepter, à tel point que nous ne pouvons rien percevoir en dehors du capitalisme comme étant “naturel”.

Il existe évidemment une multitude d’autres outils, mais la plupart d’entre eux peuvent être compris sous l’angle de ces trois outils, qui sont les outils de base de tout système de domination : Punir, apaiser et conditionner.

QUE PEUT-ON EN CONCLURE ?

Le capitalisme n’est donc pas un système dirigé et contrôlé par une classe, car l’existence même d’une chose telle que la classe sous le capitalisme est une conséquence directe du capitalisme. Cela ne veut pas dire que toutes les classes dépendent du Capitalisme, mais plutôt que la classe est une conséquence de l’institution en place, par opposition aux institutions qui sont formées par la classe. La bourgeoisie n’est pas différente ! Ce sont des esclaves qui sont des esclavagistes, des exploiteurs qui sont exploités. Ils vivent à la merci du capitalisme, chimère née de l’histoire, toujours croissant, incontrôlable et en expansion.

Nous devons comprendre qu’une abolition du Capitalisme n’est pas simplement l’abolition et l’affaiblissement de la classe bourgeoise, et que ce n’est pas simplement un programme économique, mais l’abolition du Capitalisme dépend de l’affaiblissement de ces structures de pouvoir, de la lutte contre sa domination culturelle, et de la remise en question des institutions en place qui le légitimise. Nous ne luttons pas contre la bourgeoisie, du moins pas directement, mais nous luttons contre le système qui crée une oppression partagée entre tous les êtres humains, de tous les milieux imaginables. Nous luttons contre un système qui lutte pour se maintenir en vie, et la bourgeoisie n’est pas l’ennemi, mais simplement un obstacle. La classe bourgeoise est un bouc émissaire. Ce contre quoi nous luttons, c’est l’entité, le léviathan de l’histoire qu’est le capitalisme.

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