Donald Trump face au Covid-19 ou les limites de l’improvisation.

Si Donald Trump est bel et bien l’auteur de « The Art of the Deal », a-t-il complètement intégré les enseignements de « L’art d’avoir toujours raison » d’Arthur Schopenhauer ?

Dimitri von Büren
Reputation Squad
5 min readApr 28, 2020

--

La question se pose au regard des incohérences, insultes, rodomontades et arguments d’autorité allègrement exposés par le 45e président des Etats-Unis depuis le début de son mandat. Passés les memes et autres détournements sur les réseaux sociaux, ces errements de communication suscitent l’indignation grandissante d’une opinion publique traumatisée par la crise sanitaire et économique du Covid-19.

Six longues semaines

C’est la période durant laquelle Donald Trump s’est livré à des points presse quotidiens sur le Covid-19. Bien conscient que sa réélection va se jouer en grande partie sur sa capacité à surmonter cette épreuve, il opte pour l’omniprésence médiatique. Trois journalistes du New York Times ont, à ce propos, passé au crible les discours du président américain depuis le début de la pandémie.

Leur analyse sémantique révèle « une démonstration de la suffisance et de l’apitoiement du président jamais vue ». Les journalistes ajoutent également : « Alors que d’autres présidents ont saisi les périodes de crise comme une occasion de rassembler la nation, M. Trump a utilisé ses apparitions télévisées en soirée comme un exercice de marque pour se promouvoir. »

Vertement critiqué pour avoir affirmé début février que le virus « disparaîtrait probablement de lui-même en avril », Donald Trump n’hésite plus à multiplier les coups de poker afin de se défausser de toute responsabilité dans la propagation du Covid-19 sur son territoire, quitte à sacrifier au passage la crédibilité des Etats-Unis sur la scène internationale.

Toujours plus loin dans la stratégie d’évitement

Le 14 avril dernier, le président américain annonçait la suspension de la contribution financière américaine à l’OMS (à hauteur de plus de 400 millions de dollars par an), qu’il accuse notamment d’avoir dissimulé la propagation initiale du coronavirus en Chine, et de ne pas avoir adopté une position plus dure envers Pékin. Une annonce fracassante, ponctuée de nombreux bad buzz collatéraux. On retient notamment la sortie médiatique de Kellyane Conway sur Fox News. La proche conseillère du président y accable l’OMS de ne pas avoir su gérer les 18 précédentes crises du Coronavirus, considérant le Covid-19 comme le 19e à voir le jour. Peu rassurant.

Sauver le 2e amendement

Plaçant les enjeux de discrédit du parti démocrate au fondement même de la plupart de ses choix politiques, Donald Trump n’a pas manqué de faire réagir en appelant les habitants des Etats démocrates de Virginie, du Michigan et du Minnesota à se « libérer » des mesures de confinement en vigueur. Il qualifie notamment ces Etats « d’assiégés » et appelle à « sauver » le 2e amendement de la Constitution américaine, qui outre la garantie du port d’arme, reconnaît la possibilité pour le peuple américain de constituer une milice pour contribuer « à la sécurité d’un Etat libre ».

Ces déclarations qui sonnent clairement comme un appel à la révolte ont comptabilisé plusieurs dizaines de milliers de retweets. Encore un fois, peu rassurant.

Les UV et l’eau de javel pour guérir du virus

Tandis que la prescription d’hydroxychloroquine contre le virus, approuvée et encouragée par Donald Trump, peine à afficher des résultats probants, le président américain semble actuellement poussé dans ses retranchements lorsqu’il s’agit d’évoquer une piste de traitement encourageante.

Et son penchant pour l’improvisation totale a de nouveau éclaté le 24 avril dernier. Réinterprétant à sa manière une étude qui lui aurait été présentée, Donald Trump jugea opportun de suggérer « l’injection » d’un désinfectant ou « d’exposer le corps à une haute dose de rayons UV » pour éliminer toute trace du Covid-19 au sein d’un corps infecté.

Les spécialistes ont bondi, le camp républicain n’a pas caché sa gêne autant que les démocrates leur indignation. (Ces derniers ont toutefois ironisé en se demandant s’il existait un traitement apte à soulager le Trump Derangement Syndrome.)

Plus à une incohérence près, le 45e président des Etats-Unis a ensuite tenté le démenti, mais un tel bad buzz laisse des traces :

  • Le Centre de Contrôle antipoison de l’Etat de New York a recensé une hausse de plus d’une centaine d’appels dans les heures qui ont suivi l’annonce.
  • Les grandes marques américaines concernées ont dû infirmer en urgence les propos du président.
  • Les mots « disinfectant » et « bleach » ont été twittés plus d’1.6 millions de fois dans les 24 heures qui ont suivi ces « recommandations » du président. Son concurrent démocrate dans la course à la Maison Blanche, Joe Biden, s’est également permis un tweet assez laconique sur le sujet : “Je ne pensais pas devoir dire cela un jour. Mais, s’il vous plaît, ne buvez pas d’eau de javel.”

Cet épisode fut-il le point presse de trop ? L’exécutif américain a en effet décidé d’annuler celui du lundi 27 avril 2020, avant de le réinstaurer finalement pour en faire une tribune contre la Chine.

Crise hors du commun, communication habituelle

Tandis que la crise sanitaire du Covid-19 a déjà fait plus de 50 000 morts aux Etats-Unis, Donald Trump a maintenu, envers et contre tout, son approche provocatrice de la communication. Au même moment où la plupart des autres dirigeants ont réorienté leur façon de communiquer vers plus de pragmatisme, de pédagogie et de prévention, Trump, lui, persévère dans son être et dans son style, peu importe le contexte. Un pari fou ?

Trump survivra-t-il à la crise du Covid-19 ?

La pandémie du Covid-19 portera-t-elle le coup fatal à la présidence de Donald Trump ? Même si le camp démocrate dispose d’une source inespérée d’arguments à charge contre le président, bien avisé serait celui qui pourrait prédire les résultats des élections présidentielles de novembre prochain.

Tracking du pourcentage d’Américains approuvant ou désapprouvant la politique de Donald Trump depuis le début de son mandat, par l’institut Gallup.

Il est également intéressant de noter que les derniers sondages en date indiquent une légère baisse du taux d’approbation des actions menées par le président à partir de la fin mars 2020. Ce « rebond » de désapprobation n’est pour le moment que temporaire, malgré la gestion pour le moins désastreuse de la crise sanitaire. Rien n’indique que le plus haut — ou bas, c’est selon — historique (60% de désapprobation) sera atteint, bien que le mouvement vers ce point culminant soit solidement amorcé.

Une chose demeure certaine, le traditionnel leadership américain sur la scène internationale a terriblement souffert de la politique isolationniste menée par la Maison Blanche depuis quatre ans. Cet épisode du Covid-19 pourrait irréversiblement en sceller le sort, au plus grand bonheur de la diplomatie chinoise.

--

--