Covid-19 : quels enseignements tirer de la psychologie et des sciences comportementales pour convaincre les français de rester chez eux ?

Alice Soriano
SCIAM
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7 min readMar 23, 2020
Image par ElisaRiva de Pixabay

Dans le cas du Covid-19 comme dans le cas de nombreuses campagnes de santé publique, faire prendre conscience du risque et transformer les comportements est un défi. Lorsque la menace est invisible, différée, il nous est très difficile de comprendre la gravité de la situation et de réguler nos comportements. Face à un risque d’une ampleur telle que le Covid-19, l’enjeu de la prévention est inédit. Quels enseignements pouvons-nous tirer de la psychologie et des sciences comportementales pour communiquer efficacement et influencer les comportements des français au service du bien commun ?

Du bon usage des comparaisons pour faire prendre conscience de la menace

Pour évaluer un élément inconnu, notre cerveau procède par comparaison en se basant sur nos connaissances et expériences passées. Un point de comparaison nous permet ainsi d’attribuer une valeur à la menace que nous rencontrons et d’adapter nos comportements en conséquence. En rapprochant très tôt le Covid-19 de la grippe, les médias ont créé un point d’ancrage qui a peut-être contribué à une sous-estimation de la menace dans l’esprit des français.

Aujourd’hui, ce point de référence peut être utilisé pour mettre en exergue la sévérité de la menace, le Covid-19 pourrait en effet être 10 fois plus létal que la grippe saisonnière.

L’appel à la peur oui, mais pas n’importe comment

Régulièrement débattue par les scientifiques, la mesure de prévention la plus utilisée et la plus documentée en psychologie est certainement l’appel à la peur. Elle consiste à éveiller la peur pour motiver un changement de comportement. Faire appel à une réaction émotionnelle a en effet l’avantage d’attirer l’attention et de faciliter la mémorisation d’un message.

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Aujourd’hui il existe un consensus selon lequel l’appel à la peur serait efficace uniquement lorsqu’il s’accompagne de recommandations pour surmonter la menace et que les individus se sentent en capacité d’appliquer ces recommandations. Sans ses deux conditions, les individus pourraient entrer dans un déni du risque. Par ailleurs si la menace perçue est trop faible, les recommandations seront rejetées.

La menace perçue n’est donc pas le seul facteur d’importance, il est indispensable de soutenir l’individu dans sa capacité à adopter les recommandations en renforçant le sentiment qu’il peut surmonter la menace.

Dès lors, comment inciter à adopter le comportement souhaité ?

Communiquer sur le comportement souhaité ou l’importance de la norme sociale

La recherche a largement démontré que notre comportement est influencé par la perception du comportement de nos pairs. Ainsi, nous avons le réflexe adaptatif de suivre le comportement de la majorité des individus de notre groupe. C’est l’effet de la norme sociale.

Le comportement de la population que nous mettons en évidence a donc une forte incidence sur la diffusion de ce comportement auprès des autres individus. Dans le cas précis du Covid-19, la mise en valeur par les médias de l’incivilité des français pourrait se révéler contre-productive. Tout porte à croire (car les français se sont préparés à un confinement le dimanche 15 mars en faisant des provisions de courses), que la majorité des français a entendu les recommandations et s’applique à les respecter.

Une communication efficace du point de vue des sciences comportementales consisterait donc à mettre en lumière l’adoption du confinement par la majorité des français pour attirer les autres individus vers ce comportement.

Valoriser le comportement souhaité

L’ego constitue un des piliers de notre motivation à adopter un comportement. Nous souhaitons maintenir une image positive de notre personne et donner une image positive aux autres. A ce titre, pour rendre un comportement désirable, rien de tel que le valoriser en vantant ses qualités individuelles (courage, héroïsme, volonté, force) et sociales (solidarité, empathie, don de soi).

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Dans la même idée, nous souhaitons que les autres soient témoins de notre bon comportement. Des études montrent que notre honnêteté par exemple est fortement influencée par la présence d’un observateur. Le confinement, l’isolement n’ont par définition pas de composante sociale. Les réseaux sociaux apparaissent comme le bon vecteur pour montrer aux yeux de tous que nous respectons les consignes de sécurité et de confinement. Faciliter la diffusion de ce type de message pourrait renforcer la désirabilité du comportement de confinement.

Utiliser les bons messagers

Lorsqu’il s’agit de convaincre, la recherche a montré que le choix du messager comptait parfois plus que le message. Les messagers puissants (figure d’autorité ou de réussite sociale) ou vulnérables (personnes âgées, enfants, malades) seraient les plus influents pour convaincre les autres. La défiance parfois ressentie vis-à-vis de l’autorité gouvernementale peut être un frein à l’adhésion vis-à-vis du message de prévention. Il apparaît donc nécessaire de varier la nature des messagers.

La situation exceptionnelle que nous traversons constitue une occasion unique pour que les réseaux sociaux servent l’intérêt général. Les influenceurs et personnalités parfois suivis par des millions d’individus devraient tous être mobilisés par les pouvoirs publics pour diffuser via leur propre mode d’expression les recommandations du gouvernement.

Rendre le message saillant et impactant : quoi ? quand ? où ?

L’efficacité d’un message de prévention dépend de la formulation de son contenu, et des modalités de sa diffusion (fréquence, saillance). Pour être impactant un message doit attirer l’attention, être répété fréquemment, utiliser un vocabulaire concret et si possible être diffusé au moment de la prise de décision.

Il a ainsi été démontré qu’un message utilisant un lexique concret est plus impactant qu’un message évoquant une recommandation générale. Par exemple « mangez des fruits et légumes est bon pour la santé » sera général quand « mangez 2 fruits et 60g de légumes par jour permet de diminuer le risque de cancers œsophagiens » sera beaucoup plus concret.

Un changement de comportement peut souvent se décomposer en une série de petites actions. Mieux vaut promouvoir une liste d’actions très concrètes qu’une recommandation générale. Ainsi « lavez-vous régulièrement les mains » reste peut-être encore trop général quand « se laver les mains X fois par jour » ou « toujours se laver les mains, avant de toucher un aliment, après manger, avant de toucher son enfant, … » peut être plus impactant dans le changement des habitudes.

Pour être efficace le message doit être vu et entendu le plus souvent possible, aussi tous les moyens de diffusions doivent être employés. Enfin dans le cas du Covid-19, on pourrait imaginer de profiter de la diffusion du message pour inciter à une action immédiate : « si vous entendez ce message, merci d’aller maintenant vous laver les mains ».

Faciliter l’adoption d’un comportement

L’effort qui est aujourd’hui demandé aux français est de taille. Le confinement demande du self-control et s’apparente à une réelle contrainte en particulier dans les zones urbaines où les logements sont souvent étroits. Lorsque l’on veut réussir à changer un comportement, tous les efforts doivent être mis en œuvre pour faciliter l’adoption du comportement souhaité. Un individu adoptera naturellement le comportement qui lui demande le moins d’efforts. Plus on perçoit de contraintes, plus le comportement alternatif sera favorisé.

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Un soutien peut être apporté dans l’organisation du confinement en fournissant du divertissement, en stimulant le comportement souhaité via l’intervention de personnalités et des messages de recommandations, en facilitant la livraison de provisions. A ce titre, la télévision apparaît comme le meilleur média pour connecter les français et les soutenir dans ce qui constitue pour beaucoup d’entre nous un véritable défi.

Ces quelques points ne sont bien sûr que des exemples mais peuvent servir de pistes de recherche pour communiquer efficacement et convaincre les citoyens de l’importance du confinement.

Chez SCIAM, nous sommes convaincus que les sciences comportementales peuvent et doivent jouer un rôle dans la gestion du défi qu’est la lutte contre le Covid-19. Nous invitons donc les décideurs des secteurs public et privé à venir vers nous s’ils s’interrogent sur l’impact de leur communication.

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Alice Soriano
SCIAM
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Docteur en psychologie cognitive — consultante en sciences comportementales