Comment le résultat d’une équation s’est retrouvé dans la Joconde et le logo d’Apple

Petite histoire de la Divine Proportion

Jonathan Sabbah
Scribe
5 min readAug 16, 2017

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Le nombre d’or dans la Joconde et le logo Apple (en fait pas tout à fait)

Dans le monde de l’architecture, de l’art et du design, le nombre d’or ou Divine Proportion jouit d’une popularité exceptionnelle. Le Corbusier et Dali l’ont utilisé dans leurs travaux. Il se cacherait dans le Parthénon, les pyramides de Gizeh, les peintures de Michel-Ange, la Joconde et même dans le logo d’Apple.

À l’origine, il n’est rien de plus qu’une curiosité algébrique, ce que les mathématiciens appellent un nombre « irrationnel » :

Certains ont affirmé que ce nombre — à peu près égal à 1.62 — cache la formule universelle de la beauté. Que ce soit dans les proportions d’un rectangle, d’une spirale ou autre, sa simple présence est sensée plaire à votre œil. Et pour les « nombredoristes » les plus radicaux, dès que vos yeux sont satisfaits alors le nombre d’or y est pour quelque chose.

Une spirale bâtie à l’aide du nombre d’or

Connu et apprécié depuis l’Antiquité, le nombre d’or acquiert véritablement son statut légendaire grâce à (ou à cause de) Adolf Zeising, un psychologue allemand du XXe siècle. Zeising était persuadé que l’esthétique en architecture, peinture, musique et même biologie (!) avait pour origine le nombre d’or, qualifié d’« idéal spirituel suprême ». Malgré une démonstration plutôt hasardeuse, la théorie de Zeising obtint un succès incroyable.

Et on comprend pourquoi.

L’idée de pouvoir évaluer et vérifier mathématiquement la beauté est alléchante. Dès lors, des équipes ont été envoyées à peu près partout pour mesurer chaque monument et œuvre d’art à la recherche du fameux nombre.

Sauf qu’en fait…

L’ennui avec Zeising c’est qu’il voyait souvent de la logique là où il n’y en avait aucune. Il avait montré qu’on retrouvait à peu près le nombre d’or dans certains aspects de l’anatomie humaine. Notamment, en divisant la taille d’un homme par la distance entre son nombril et ses orteils.

En divisant A par B, on tombe (à peu près) sur 1,6

Problème : le choix du nombril (et pas des genoux par exemple) est totalement arbitraire et ne prouve rien en soi ! Par ailleurs, lorsque l’on mesure quelque chose d’aussi complexe que le corps humain, on peut aisément tomber sur des exemples de ratios proches de 1,6.

Rappelez-vous : si l’échantillon de données est large (comme l’ensemble des ratios du corps humain), il faut être prudent !

La théorie de Zeising a été sérieusement remise en cause par une étude de l’université de Berkeley. Celle-ci a prouvé qu’en termes de proportion, notre préférence va pour les rectangles dont le rapport longueur sur largeur se trouve entre 1,4 et 1,7. Bien que cette fourchette contienne le nombre d’or (ainsi que plein d’autres nombres !), il n’est pas le favori. Conclusion : les mérites esthétiques du nombre d’or sont fragiles.

Coucou

Pourquoi le mythe persiste-t-il ?

Ceux qui pensent voir le nombre d’or autour d’eux et dans les objets qu’ils aiment sont victimes du penchant naturel des humains à trouver un sens aux motifs de l’univers. Si vous identifiez le nombre d’or dans votre design favori, il y a de grandes chances pour que vous vous fassiez des idées.

Repérer des motifs et y chercher du sens est un phénomène incroyablement naturel et répandu, pourtant peu de gens en ont conscience ! (vous l’aurez peut-être remarqué, mais c’est là le thème général de mes articles)

Et comme à chaque fois, deux mécanismes sont à l’œuvre :

  1. La méthode d’Alice au Pays des Merveilles
    Elle consiste à exagérer l’importance d’une partie des données, tout en réduisant celle du reste. Par exemple, quand Zeising met en avant un ratio (taille / distance nombril-orteils) plutôt que n’importe lequel des millions d’autres ratios existants. Il tente donc de faire rentrer l’anatomie humaine dans sa théorie qui est de voir le nombre d’or comme cause de ce qui est beau.
  2. La méthode du Frigo Vide
    On pratique le Frigo Vide à chaque fois que l’on falsifie les causes et les explications qui se cachent derrière un événement ou des données. À l’instar de Zeising quand il déclarait que le nombre d’or était le secret de « la beauté […] dans les royaumes de l’art et de la nature ».
    On l’a vu, même les rares fois où il n’est pas là par hasard, le nombre d’or n’est pas la cause ultime du « Beau ». Ni même un synonyme.

Pour savoir pourquoi j’ai appelé cette méthode Frigo Vide, je vous invite à jeter un œil sur cet article :

La suite à découvrir dans “L’art délicat du bullshit” 👇

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Jonathan Sabbah
Scribe

Chercheur en bullshit, mensonges et taches de café.