Le rôle de BlackRock dans la déforestation (et comment résoudre le problème)

Antoine Kopij
Show Me Finance
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6 min readApr 28, 2022
La femme à la toile d’araignée, Christian Friedrich d’après Caspar David Friedrich, 1803

BlackRock est le plus grand gestionnaire d’actifs. Son travail consiste à gérer l’argent des autres pour le faire grandir, un peu comme un jardinier surveille un potager. Sauf que ce ne sont pas des tomates et des salades, ce sont des dollars. Dix trillions de dollars. Un champ de billets verts s’étendant vers tous les points de l’horizon. Et qu’est-ce que dix trillions de dollars exactement ? Eh bien, c’est dix mille milliards. D’accord. C’est la moitié du produit intérieur brut des États-Unis et presque l’équivalent de toute la Chine. Apple, la plus grande entreprise du monde en termes de capitalisation boursière, représente un quart de la taille des actifs de BlackRock.

BlackRock achète une petite part de chaque entreprise cotée en bourse, puis reconditionne ces actions en produits d’investissement structurés. Ces produits sont ensuite détenus par divers clients, des particuliers aux banques. Si vous mettez de l’argent de côté pour votre retraite, il y a de grandes chances que votre épargne soit utilisée par votre banque pour investir dans des produits BlackRock. Si vous avez acheté une maison avec un prêt bancaire, ce prêt a peut-être été reconditionné dans un produit BlackRock. Lorsque vous achetez de la nourriture, des vêtements, un téléphone ou n’importe quoi d’autre, une partie de votre argent va à BlackRock.

Si vous n’avez pas de voiture, que vous utilisez un téléphone équitable et que vous roulez sur un vélo cool qui vient de l’atelier du coin, les matériaux et les composants de votre équipement pourraient faire partie des actifs de BlackRock. Si vous ne mangez que des légumes produits localement et que vous n’avez pas eu besoin de contracter un prêt pour acheter une maison, vous avez de la chance, mais les matériaux nécessaires à votre mode de vie, même si vous n’aviez besoin que d’une connexion Internet (c’est un mensonge, au fait), dépendent d’une chaîne d’approvisionnement qui est rattachée à l’empire de BlackRock.

Si vous voulez changer BlackRock, vous voulez changer la mondialisation.

L’histoire de la vie moderne est l’histoire de l’appropriation de l’écologie de la Terre pour la production de nourriture, de vêtements et d’énergie. La connexion croissante de ces systèmes de production aux marchés internationaux a donné naissance à un système de production mondial unique. Cela signifie que je peux acheter un téléphone chinois bon marché et fiable et vendre ma propre bière artisanale locale à travers les continents, en utilisant un seul réseau mondial.

Cette interconnectivité accrue a permis de produire plus facilement et de distribuer la production plus rapidement. Bien entendu, elle accélère également l’épuisement des ressources naturelles et perturbe l’équilibre de l’écologie de la Terre, entraîne des violations des droits de l’homme tout au long de la chaîne d’approvisionnement, et concentre la richesse tout en haut de la chaine. Cet état de fait définit le problème de la “durabilité”. À quoi bon vendre et acheter si le magasin est en feu ?

Il existe de nombreuses réponses possibles à ce problème. Nous pourrions relocaliser la production ou diminuer la consommation. Mais seule une minorité de consommateurs serait prête à faire face à une forte augmentation du coût des produits de base ou à la disparition de produits qui ne sont fabriqués que très loin. Dans tous les cas, de telles mesures nécessiteraient une intervention de l’État sur les marchés mondiaux à une échelle jamais vue auparavant. En outre, le propriétaire du magasin n’est pas l’État, mais le secteur privé.

La plupart des capitaux investis dans la production de biens sont distribués par des acteurs privés tels que les gestionnaires d’actifs et les banques commerciales. C’est pourquoi nous avons besoin de nouvelles lois qui devront être respectées par le propriétaire du magasin, en l’occurrence : BlackRock. À moins de nationaliser le secteur financier, je vous en prie, faites comme chez vous. De manière réaliste, nous avons un secteur financier privé qui est encadré et guidé par des lois choisies démocratiquement.

Les lois sur la transparence financière sont là pour obliger les financiers à publier des informations sur leurs activités. Au départ, ces lois étaient utilisées pour lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent, aujourd’hui elles sont essentielles pour lutter contre le changement climatique et rendre le secteur financier, que représente BlackRock, responsable de la destruction écologique qu’il contribue à financer. Sans transparence financière, les financiers sont en mesure de cacher tout ce qui pourrait les incriminer.

C’est pourquoi la taxonomie européenne pourrait être si importante. L’ajout d’étiquettes vertes (écologiques), brunes (polluantes) ou rouges (socialement bénéfiques) aux produits financiers pourrait constituer un grand pas vers la transparence. Si elle est bien faite, elle pourrait freiner les investissements destructeurs et stimuler les capitaux là où ils sont vraiment nécessaires.

Les paradis fiscaux, par définition, détestent la transparence. Un paradis fiscal n’est pas seulement un État où les particuliers et les entreprises paient peu ou pas d’impôts, c’est aussi un État où une entreprise peut cacher ses secrets. Les entreprises qui détruisent la forêt et leurs financiers les utilisent pour protéger leurs activités de la vue du public et pour échapper aux impôts, tout à la fois.

Lorsque les gens essaient d’établir le lien entre les flux financiers et les changements environnementaux, ils ont besoin de données fiables qui sont normalement fournies par les institutions publiques. Les paradis fiscaux permettent aux entreprises liées à la déforestation et aux financiers comme BlackRock d’éviter l’embarras d’être associés à la déforestation et à la destruction de l’environnement. Toute nouvelle réglementation sur la finance durable qui oublie les paradis fiscaux rate sa cible, comme dans le cas du modèle proposé par BlackRock à la Commission européenne.

Malgré tous ses efforts, l’influence des décisions de BlackRock sur l’environnement est difficile à cacher. Dans le cas des groupes liés à la déforestation, la plus grande partie des actifs de BlackRock sont en actions (détails dans mon rapport). L’actionnariat est le moyen le plus rentable d’investir dans une entreprise à court terme. Il permet également d’exercer une influence significative sur les activités d’une entreprise. Les actionnaires peuvent exercer leur droit de vote lors des réunions d’actionnaires, s’engager directement auprès des dirigeants de l’entreprise ou se désengager des entreprises non durables. Par exemple, le fonds de pension du gouvernement norvégien, le plus grand fonds souverain du monde, s’est désinvesti de 32 entreprises impliquées dans la production non durable d’huile de palme depuis 2012. De plus, l’actionnariat est également le mode d’investissement le plus transparent et le plus réglementé, de sorte que le traçage des flux financiers entre les groupes à risque forestier et le gestionnaire d’actifs est réalisable. Les prêts bancaires peuvent être plus difficiles à découvrir.

Une façon de tenir BlackRock et l’ensemble du secteur financier responsables de leur impact sur la planète et ses habitants est d’accroître la transparence financière. Au niveau de l’agrobusiness qui exploite les forêts, les paradis fiscaux permettent à ces groupes de contourner la réglementation environnementale, de corrompre les politiciens locaux et d’accéder aux investisseurs internationaux (devinez qui). Au niveau des institutions européennes, le lobbying de BlackRock lutte contre l’obligation légale pour les financiers de divulguer le risque destructeur de leurs investissements, et maintient le statu quo de l’autorégulation du secteur financier.

Le processus est le même depuis les eaux azurées des Bermudes jusqu’aux canyons de verre et de béton de Bruxelles. L’appropriation des ressources naturelles par des intérêts privés, qui utilisent l’accumulation du capital pour remporter un rapport de force contre les autorités publiques et maintenir leur avantage hégémonique.

Cet article est le septième d’une série.

Article suivant: Changer Wall Street ou perdre l’Amazonie

Commençons par le début : Campagne contre BlackRock, presque toutes les informations dont vous avez besoin

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Antoine Kopij
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Open data applied to finance, market transparency and sovereign debt. Learning python for citizen participation and collaborative analysis at ShowMeFinance.org