Postmortem Hacking Business — un accélérateur à Strasbourg

Sébastien Derivaux
French Tech Strasbourg
8 min readMay 18, 2017

Ces 6 derniers mois, j’ai travaillé à monter un accélérateur sur Strasbourg. Cela a donné les Hacking Business Workshop et la Pitch Night. Retour sur cette expérience.

D’abord le contexte

Voilà 4 ans que je suis chez Alsace Business Angels (ABA) et que je vois passer beaucoup de projets. Chez ABA, nous avons pu constater que pour les startups numériques, c’est souvent les mêmes erreurs qui sont commises et qui auraient pu être évitée. Par exemple, on peut citer être plus lean et avoir une meilleure connaissance des levées de fonds.

Il s’agit globalement de capitaliser sur les erreurs et les apprentissages des autres startups. Bref, il aurait fallu un accélérateur dédié numérique pour consolider les expériences des startups matures et former les startups plus jeunes.

C’est mi-2016 que j’ai décidé de m’attaquer frontalement au problème de l’accélérateur de startups à Strasbourg. J’ai fait le tour de l’écosystème, lu pas mal de littérature sur les écosystèmes de startups. On a aussi regardé ce qui se faisait ailleurs en France avec Catherine Mosser.

Le Hacking Business comme MVP d’accélérateur

Comme on n’apprend jamais autant qu’en faisant (et qu’on ne peut pas prôner le lean startup sans se l’appliquer à soi-même), j’ai expérimenté plusieurs briques. La plus visible a été les Hacking Business Workshop (la partie formation des accélérateur) et la Pitch Night (l’alter ego des Demo Day des accélérateurs US).

Je vais donc détailler ces deux éléments. Au passage, je remercie Alsace Digitale (et surtout Florian Fries) pour m’avoir aidé sur ces sujets.

Les Hacking Business Workshop

Les 3 ateliers Hacking Business que j’ai organisé de décembre à février avaient comme trame commune la recherche d’hypothèses, du moins de se focaliser sur l’essentiel.

C’est donc assez naturellement que le premier atelier avait pour thème l’approche lean startup avec les différents canvas possibles pour structurer cela. Il y a encore beaucoup de startups qui passent trop de temps sur leur produit et qui espère un big bang lors du lancement.

Le second workshop a porté sur les Business Plan dont j’ai déjà pu parler dans ce billet. Lassé de voir des Business Plan word de 50 pages (qui prend du temps à faire et que personne ne lit), j’ai essayé de faire passer un premier message qu’il ne faut plus en faire (sauf pour chercher des subventions).

Sur le Business Plan chiffré, le message est que ce n’est pas à sous-traiter à son comptable. C’est une dépense inutile et surtout cela n’aide pas à comprendre son business model et encore moins pouvoir l’expliquer.

Exemple concret, une startup me dit qu’elle a une très forte saisonnalité en septembre et décembre. Dans son BP, l’augmentation du Chiffre d’Affaires est linéaire. Crédibilité du BP : zéro.

Le workshop était donc basé sur de la modélisation financière basée sur Fizy sur Excel avec un accent sur la recherche des hypothèses importantes à démontrer.

Je ne m’attendais pas à grand monde, mais il a été plein lui aussi. Les entrepreneurs n’ont pas peur d’Excel si ça peut les aider.

Dans la suite du Business Plan, j’ai enchaîné sur un atelier sur le Pitch Deck. Outre d’être la base d’une présentation investisseur, le Pitch Deck en construction permet de mettre en évidence les points faibles du projet.

Cela a pu mettre en avant qu’il était important d’avoir une validation par ses utilisateurs et d’avoir des indicateurs qui montent pour séduire des investisseurs. C’est les deux points les plus durs à avoir et cela fait la séparation entre les startups très early stage et les startup finançables.

Ainsi donc, chacun des ateliers de 3 heures s’est passé dans la bonne ambiance et un accent assez studieux. Comme vous pouvez le voir sur les photos ci-dessous, il y avait toujours un peu de surbooking. Le public était partagé entre des startups très early stage et des curieux.

Cette deuxième catégorie de public était inattendue et montre qu’il y a beaucoup de gens intéressés par l’entrepreneuriat (quand des étudiants d’Epitech viennent à un atelier sur de la modélisation financière on peut parler de motivation forte). Il y a déjà beaucoup de créations de startups, mais je pense que l’on pourrait intensifier la création en guidant mieux (même si dans le milieu scolaire on a déjà Epitech Forward, Alsace Tech, PEPITE et le Bachelor Jeune Entrepreneur).

Il y a eu peu de startups plus mature (au stade de recherche de fonds). Problème de communication ou manque de temps de leur part? Je pense en tout cas qu’elles rentraient dans la cible.

Les ateliers Hacking Business qui étaient toujours pleins de gens pass

L’utilité de ces ateliers est à mon avis claire. La demande est là puisque les gens viennent et il a été plaisant de voir des progrès très significatifs.

Il y aurait encore beaucoup de sujets à aborder pour armer ces entrepreneurs plus solidement (marketing, statistiques, négociation du pacte, …). Et bien sur chaque année, il y a une nouvelle cohorte d’entrepreneurs qui arrive (que l’on espère de plus en plus nombreuse).

Conclusion : la formation est utile mais ce n’est pas une proposition de valeur suffisante pour les startups d’un accélérateur.

La Pitch Night

Après les workshop, je me suis attelé à faire un évènement public de préparation grandeur nature au pitch investisseur : la Pitch Night. L’objectif était triple :

  1. Entraîner les entrepreneurs en levée de fonds pour maximiser leurs chances
  2. Montrer aux plus “jeunes” le niveau des pitchs qui réussissent (en assumant que certains des présentateurs vont lever à court terme)
  3. Réunir l’écosystème pour le fédérer. C’est toute l’importance du buffet après l’événement. Faire de nouvelles rencontres, esquisser des projets autour d’une bière.

Le format se différencie des Démo Night car le temps est plus long (7–10 minutes au lieu de 3) et il n’y a pas démo. C’est pour des projets en théorie plus matures (6 à 12 mois après une Démo Night?).

Il y a eu environ 15 projets soumis et 6 projets sélectionnés :

  • Bikker : plateforme de location de vélos entre particuliers qui propose une assurance gratuite contre le vol.
  • Fizimed / Emy Get Control : dispositif médical connecté et ludique pour une rééducation périnéale partout et à tout moment.
  • J’aime mon artisan : relie des particuliers, qui souhaitent réaliser des travaux et des professionnels qui souhaitent vendre plus grâce à internet, grâce une plateforme dédiée en ligne.
  • Knot : répond au problème du dernier kilomètre avec un système de trottinette en libre-service. La solution comprend une trottinette connectée, un cadenas ultra compact et une application smartphone.
  • Qwesta : propose aux dirigeants d’évaluer les performances de leur entreprise grâce à de nombreux diagnostics en ligne avec une restitution en temps réel.
  • Scoledge : l’outil de collaboration « zéro e-mail » pour l’éducation et les entreprises. Il permet aux utilisateurs de communiquer, partager et travailler ensemble de manière plus efficace au quotidien.

Un jury d’investisseur était présent pour faire des retours constructifs et poser des questions :

Nous avons fini par un classement des startups avec l’applaudimètre (on est monté jusqu’à 96dB pour Knot). C’est un critère peu objectif pour évaluer une startup.

Là encore nous étions à la capacité maximale de la salle avec beaucoup d’habitués mais aussi plusieurs nouvelles personnes. Cela montre bien que les évènements sont un moyen d’accueillir de nouvelles personnes dans l’écosystème.

Pour cet évènement, il y avait des startups “matures” (i.e. en recherche de financement seed). C’est étonnant car finalement, il n’y avait pas ici de fonds à rechercher, ce n’était qu’un entrainement (pour ne pas faire doublons avec la journée Pitch & Win organisée par Bpi France et Semia). En tout cas, les Business Angels dans la salle ont qualifié cette soirée par le terme “hautement qualitative”.

En amont de cette soirée, j’ai eu l’occasion de faire de nombreux retours sur les pitchs decks et nous avons passé une autre soirée à travailler les pitchs. J’ai trouvé les entrepreneurs super réactifs face à mes critiques (où je n’ai pas toujours eu le temps de mettre les formes). Il y a là encore eu des progrès visibles. Donc c’est utile.

La Pitch Night en action

Le format me semble en tout cas pertinent car ça reste dynamique et rapide et pourtant on peut aller dans le détail (et avoir un peu d’interactivité avec les questions).

Conclusion : quand on parle levée de fonds, on émoustille les gens (je confesse j’en ai contraint l’un ou l’autre). Le travail en amont avec les startups est important lui aussi.

Mais l’accélérateur dans tout ça ?

Ces initiatives permettaient d’avancer sur certaines hypothèses. Néanmoins, je n’ai pas réussi à articuler un ensemble complet d’accélérateur for-profit. De nombreuses hypothèses ne sont pas validées avec le prototype et rend l’approche lean hasardeuse. Deux particulièrement :

  1. Il est difficile de vendre un accompagnement contre de l’equity (le modèle standard des accélérateurs for-profit). En amorçage, il y a beaucoup d’accompagnement gratuit (payé par l’état) et beaucoup de concours et subventions. Pour être valorisé, il faut une offre hautement qualitative dès le départ, ce qui demande un investissement capitalistique et temps fort.
  2. Il est hasardeux de miser sur la plus-value à long terme. C’est un problème général pour tous les accélérateurs mais qui est surtout problématique quand l’investissement initial est important. Il faut un volume important à l’entrée pour que celles qui sortent puisse statistiquement financer l’ensemble. Or à Strasbourg, on n’est pas encore tout à fait à ce niveau de volume (mais plus très loin cependant). Il faudrait une dizaine de levées en seed par an pour que cela se tienne (on est à 3 en 2016 et pour l’instant rien en 2017).

Nos recherches ont montré que sur les accélérateurs, il s’agit souvent d’une création d’un entrepreneur qui a réussi à faire un exit. Cela permet d’avoir les fonds et la crédibilité. Il faudra donc attendre que la première vague réussisse ou qu’un des accélérateurs de province ouvre une antenne à Strasbourg.

Un point cependant que j’ai découvert pendant ces 6 mois, c’est qu’à mon sens la valeur d’un accélérateur est dans la compression temporelle. Motiver et stresser les entrepreneurs est l’utilité numéro 1 d’un accélérateur. La formation n’est qu’un à coté et d’une utilité relative à l’ère de Google et de Koudetat.

De mon côté, mon activité bénévole de Business Angel me prend 2 jours par semaine depuis le début de l’année ce qui est difficilement tenable. Je pense être plus utile sur l’activité de financement des startups et je vais donc focaliser mon activité bénévole là-dessus. Si quelqu’un fait un exit de plusieurs millions de sa startup et veut faire un accélérateur, vous savez où me trouver.

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