Les retours des usagers et bibliothécaires vis-à-vis de l’impression 3D

Ariel Harlap
Techno Culture Club
7 min readAug 17, 2017
Participante lors d’un atelier d’impression 3D qui porte sa création, un masque dessiné et ensuite imprimé en 3D ! Photo : Lucie Brillouet, Techno Culture Club

Auteur.e.s : Lucie Brillouet, Ariel Harlap
Éditrice : Malaurie Barlet

Contexte

Quelles activités attirent le public dans les bibliothèques? C’est en partie la question à laquelle nous voulions répondre à travers la documentation et l’expérimentation du projet ABC3D. Comme mentionné dans le premier article [lien], nous avons lancé ABC3D en collaboration avec le réseau des bibliothèques de Montréal afin de créer une série de guides d’ateliers sur l’impression 3D, adaptés aux bibliothèques. Dans l’article précédent [lien], nous avons exprimé plus précisément nos motivations et le contexte du projet. Ici, nous allons discuter du point de vue du public et des bibliothécaires qui ont participé au projet.

Au cours du projet ABC3D, les bibliothèques sont devenues un véritable terrain d’expérimentation pour TCC. Nous avons reçu l’intérêt d’une dizaine de bibliothèques partantes pour accueillir les ateliers d’impression 3D dans leurs espaces. Nous avons alors élaboré un plan d’action pour organiser et mettre en place la structure qui allait encadrer les activités.

Une composante essentielle du projet était d’évaluer les ateliers, en recueillant les points de vue des bibliothécaires et des usagers pour mieux comprendre leurs attentes mais aussi mieux identifier les impacts. Notre échantillon se base sur les réponses de 12 bibliothécaires issus de 10 bibliothèques différentes. En ce qui concerne les usagers (âgés de 5 ans à 76 ans), nous avons récolté 129 formulaires d’évaluation.

Les bibliothécaires

Comme nous l’avons évoqué précédemment, le projet a été très bien accueilli par les bibliothécaires et les bibliothèques. Ces dernières avaient chacune leurs raisons d’accueillir des ateliers technologiques de ce type : besoin de confirmer l’intérêt du public avant de s’équiper d’imprimante 3D, envie de tester par curiosité, volonté d’offrir une activité innovante, etc.

Suite à notre évaluation, nous constatons que plus de la moitié des bibliothécaires souhaitait découvrir et comprendre les principes de l’impression 3D et les logiciels de modélisation impliqués. 82% des bibliothécaires ayant suivi l’atelier ont affirmé avoir pris connaissance de l’impression 3D et de ces principes et 62% ont compris la pertinence de l’impression 3D en bibliothèque. Selon les bibliothécaires, l’impression 3D serait notamment pertinente pour éduquer ou développer les compétences numériques des utilisateurs, démocratiser la technologie et stimuler la créativité et l’imagination. Enfin, il ressort de cette évaluation, une volonté d’agir : 50% des bibliothécaires aimerait pouvoir animer eux-mêmes un atelier. Cependant on note également un besoin de soutien dans la formation à la technologie, car 50% d’entre eux aimerait acquérir des compétences en modélisation pour se sentir capable d’animer des ateliers.

Le bilan des bibliothécaires est très positif, nous savons qu’à la suite des ateliers ABC3D, trois bibliothèques ont fait la demande pour recevoir une imprimante 3D dans leurs espaces.

Le public

Le reste de l’évaluation concerne le public participant, en d’autres termes les usagers. Ce sont les personnes qui se sont inscrites aux ateliers gratuits, curieuses d’apprendre et de découvrir de nouvelles choses. Lorsqu’on illustre la diversité d’applications de l’impression 3D avec des exemples issus du monde de la mode, de l’automobile, de l’architecture, de la santé, etc, on remarque un sentiment d’émerveillement sur les visages des participants. Nous avons senti la nécessité de donner des exemples concrets pour que les gens se rendent compte de la portée de cette technologie, et comprennent comment ils pourraient s’en servir ! Après avoir commencé par diffuser une présentation powerpoint, nous avons finalement changé pour un montage d’exemples vidéos, qui s’est avéré bien plus parlant pour les participants. Ces dix minutes de présentation sont essentielles pour introduire l’activité et l’imprimante. Elles permettent d’embarquer plus facilement les gens dans la technique de l’impression 3D.

Selon notre évaluation, plus de 90% des participants ont apprécié les ateliers. Pour la majorité d’entre eux, l’activité était complètement nouvelle. Nous avons reçu d’excellents commentaires sur les activités et les enfants aimeraient notamment que leurs bibliothèques offrent plus d’activités de ce type. Ainsi, une jeune fille de 14 ans nous a confié que “l’activité était très amusante et la bibliothèque devrait continuer à faire ce genre d’activité.” Elle fait partie des 96% d’enfants et adolescents qui aimeraient voir leur bibliothèque offrir des ateliers d’impression 3D. Il y a donc un net intérêt de la part des jeunes. C’est très encourageant !

De plus, nous avons appris que les ateliers étaient perçus par les usagers comme étant : créatifs, amusants puis éducatifs. Ceci est venu confirmer notre vision : nous avons conçus les ateliers en souhaitant que l’apprentissage des technologies soit amusant et créatif plutôt que technique et passif. Ces résultats renforcent également notre postulat selon lequel la technologie (en l’occurrence ici l’impression 3D) est un déclencheur de créativité et pas uniquement un outil de production.

Il est important de rappeler que les ateliers ont été conçus pour satisfaire un public débutant. Étant donné la durée relativement courte des ateliers (entre 2h30 et 3h), le côté introduction reste la meilleure option car les ateliers ne s’inscrivent pas dans une série de cours. Dans la plupart des cas, un ou deux ateliers ont été donnés dans la bibliothèque, en étant indépendants l’un de l’autre. Le thème de l’atelier et le public ciblé changeaient (adultes, enfants ou adolescents). Il est arrivé que les participants expriment leur souhait d’aller plus loin dans le cours (ex. le logiciel). On a entendu une fois un enfant expliquer que son frère ne voulait pas venir à l’atelier car le niveau était trop débutant : “je connais déjà TinkerCAD, c’est trop facile”. Il est intéressant de constater que chez les jeunes, certains sont déjà sensibilisés à cette technologie et ont déjà des notions. Il est donc important de garder en tête la possibilité d’offrir des ateliers plus poussés pour certains publics demandeurs. Cependant, les bibliothèques ont pour objectif de toucher le plus grand nombre, d’où leur volonté d’offrir des ateliers d’introduction, pour le moment.

Un point important nous avons ressenti lors des ateliers, concerne la frustration des usagers face à la vitesse d’impression des objets. Il est vrai que la technologie d’impression 3D est relativement lente. Ainsi, dans un groupe de dix personnes, il était parfois difficile de pouvoir imprimer un objet pour chacun dans le temps imparti (3h). Ce problème pourrait être minimisé si les bibliothèques avaient leur propre imprimante 3D sur place. Ainsi, les bibliothécaires pourraient accompagner les usagers dans l’impression de leurs objets à d’autres moments de la semaine (la bibliothèque deviendrait ainsi autosuffisante) ou un technicien pourrait lancer l’impression durant un temps mort. Dans un monde idéal, cela pourrait même servir de prétexte pour inclure des bénévoles de la communauté, et ainsi les inviter à contribuer !

Certains logiciels que nous avions identifié comme “faciles” ne se sont pas avérés si évidents d’utilisation pour le public. Ainsi, certains logiciels comme Sketchup étaient plus intéressants à utiliser avec un public avancé et trop difficiles pour un atelier d’introduction. Pour s’en rendre compte, nous avons essayé plusieurs fois le même atelier mais avec des logiciels différents afin d’évaluer leur complexité. En général, en utilisant un logiciel plus simple, l’apprentissage devient plus amusant et les participants arrivent facilement à une bonne compréhension de l’impression 3D. Ils peuvent passer au-dessus de la la “barrière techno” (logiciel/machine) plus rapidement. Les participants âgés de 6 à 40 ans ont généralement affirmé se sentir capables de continuer à apprendre par eux-mêmes après l’atelier. Par contre, les participants plus âgés ont répondu se sentir plus ou moins capable de continuer à apprendre par eux-mêmes.

Certains usagers sont parfois arrivés rapidement aux limites du logiciel, et ont souhaité apprendre des fonctions plus poussées pour des applications plus complexes (en utilisant par exemple des applications réelles : réparer un bouton de four). Y-a-t-il de la place ou un pont à faire pour ceux qui veulent un service d’impression 3D plus poussé en bibliothèque ? Faire venir des animateurs “experts” pourrait peut-être permettre d’aller dans ce sens-là ?

Quelles opportunités pour aller plus loin ?

À ce jour, certaines questions restent en suspens. L’usage et les responsabilités induits par la possession d’une ou plusieurs imprimantes 3D en bibliothèque sont des points d’interrogation pour les institutions. Qui s’en occupe ? Qui les anime ? Avec quel budget ? Nous entrons dans une phase test où trois bibliothèques du réseaux de la ville de Montréal viennent tout juste de s’équiper d’imprimantes 3D, à la suite des activités d’ABC3D. Il s’agit des bibliothèques : Marc-Favreau (Rosemont Petite-Patrie), Père-Ambroise (Ville-Marie) et Rivière des-Prairies. Nous sommes très fiers de leur initiative.

A ce titre, l’interaction avec les bibliothécaires a été primordiale pour mener à bien le projet ABC3D. Nous retenons leurs grandes disponibilité et souplesse face aux détails techniques que peut apporter l’implantation d’un tel projet. Nous restons à l’écoute et disponibles pour accompagner les bibliothécaires dans la phase d’apprentissage de l’imprimante 3D. Il reste du chemin à parcourir pour que les bibliothécaires soient autonomes dans la gestion et l’animation d’ateliers technologiques. En même temps, il y a de vrais “superstars” sur lesquelles le réseau des bibliothèques peut s’appuyer : celles-ci inspirent leurs collègues et apportent du changement à leur manière.

Par ailleurs, pour donner l’autonomie nécessaire aux bibliothécaires, il faut leur offrir des formations plus poussées autour de l’utilisation de l’imprimante 3D et des logiciels, de l’animation d’ateliers, etc. Ces formations pourraient constituer une piste d’évolution du projet ABC3D en volet professionnel. En attendant, la plateforme web ABC3D est un bon début pour inciter les bibliothécaires à se former par eux-mêmes, avec les ressources et outils mis à disposition.

Selon nous, un premier pas a été fait ! On sent l’envie de la part du public, des bibliothécaires, de plusieurs gestionnaires de bibliothèques, et d’autres personnes dans le réseau. Il suffit de continuer dans cette voie. Nous sommes également très enthousiastes à l’idée d’explorer le potentiel d’autres technologies émergentes ayant pour but d’attirer un nouveau public dans les institutions. Tout comme ABC3D a introduit les imprimantes 3D, nous pensons qu’il est possible de diversifier la gamme d’activités (ex. approches au design, au prototypage et à la connection avec son environnement). Ces idées seraient une suite logique à ABC3D et un excellent point de départ pour faire connaître et propager les pratiques culturelles de demain.

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P.P.S. : Voici le prochain article de cette série sur ABC3D.

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Ariel Harlap
Techno Culture Club

Community organizer, maker, technology educator, & internaut