“Design moi une appli métier” (2/3) Des enjeux qui dépassent la simple ergonomie d’interface

Robin Bauer
The Experience Center Paris
9 min readMar 29, 2019

Fruit de l’expérience acquise au travers des projets menés à l’Experience Center de PwC, “Design moi une appli métier” est une série d’articles consacrée aux applications métiers dans les entreprises. Après avoir étudié en quoi ces applications pouvaient jouer un rôle stratégique dans les entreprises, nous verrons dans ce second article que ce sujet nécessite de penser le design à travers de nombreuses dimensions (l’ergonomie, mais aussi la technologie, l’organisation, …)

Redesigner, ce n’est pas juste optimiser l’ergonomie et changer les couleurs d’une interface

Un autre challenge auquel nous sommes régulièrement confrontés à l’Experience Center de PwC, c’est l’idée reçue selon laquelle pour améliorer l’expérience liée à une application métier, “il suffit de repartir de l’outil actuel et d’améliorer la navigation et le look & feel.” Or, si un tel travail permet d’obtenir une amélioration sur le court-terme, il ne permet pas de transformer l’expérience en profondeur.

En effet, redesigner quelque chose ne se limite pas à optimiser l’existant. En réalité, il s’agit d’abord de s’aligner sur un ensemble de choix stratégiques sur ce que l’on est en train de redesigner (ici, une application métier) : quel est l’objectif ultime de l’application ? que permet-elle de faire (et de ne pas faire) ? qui s’en sert ? dans quel(s) contexte(s) ? etc.

D’abord, redesigner une application métier revient souvent à faire un premier travail de tri: en se basant sur l’observation du travail des collaborateurs, y’a t-il des fonctionnalités, des tâches dont on pourrait se passer et/ou que l’on pourrait faire disparaître ? Ainsi, nous avons repensé un outil d’évaluation à destination de formateurs de manière à leur simplifier la saisie des évaluations. Auparavant, les formateurs, qui évaluaient des techniciens électriques, étaient contraints de prendre des notes sur papiers qu’ils reportaient ensuite dans un fichier Excel: nous avons imaginé ce même formulaire d’évaluation afin de permettre aux évaluateurs de prendre des notes et de soumettre leurs commentaires en direct depuis leur téléphone, leur évitant ainsi une double saisie inutile et chronophage.

A l’inverse, redesigner consiste également à ajouter et enrichir l’application métier par de nouvelles fonctionnalités, car elles constituent un “manque” pour les personnes qui l’utilisent. Ainsi, nous avons totalement enrichi l’expérience d’un outil de centralisation de documents internes d’une grande entreprise. Auparavant, les collaborateurs devaient passer beaucoup de temps à naviguer dans une arborescence complexe (dossiers, sous-dossiers, sous-sous-dossiers, …) pour trouver le document qu’ils cherchaient : nous avons doublé ce mode “navigation” d’un mode “recherche” qui, par un système de mots clés et de filtres, permet aujourd’hui de trouver un document beaucoup plus rapidement.

‘’ Redesigner consiste à faire un travail de tri (…) à enrichir l’application par de nouvelles fonctionnalités (…) mais nécessite aussi de repenser, voire d’inverser le mode de fonctionnement d’une fonctionnalité ou d’un outil dans sa globalité. ‘’

Enfin, effectuer un travail de redesign nécessite aussi de repenser, de réinventer, voire d’inverser le mode de fonctionnement d’une fonctionnalité ou d’un outil dans sa globalité. Ainsi, nous avons repensé pour une plateforme d’investment banking la manière de suivre un portefeuille d’investissements. Auparavant, les clients de cette plateforme étaient contraints d’aller consulter leurs produits un par un afin de garder un oeil sur leur activité: nous avons décidé d’inverser la logique et de créer un système d’alertes proactives permettant aux investisseurs d’être tenus au courant des évènements clés liés à l’activité de leur portefeuille (hausse/baisse d’un asset, atteinte d’un seuil de prix, etc…) et de recevoir ces mêmes alertes directement dans leur boite mail.

Les investisseurs financiers sont quotidiennement submergés de données et d’informations, c’est pourquoi nous avons repensé une plateforme d’investissement en privilégiant la remontée d’information proactive et personnalisée selon les besoins de chaque utilisateur (crédit photo)

Du design d’interface au design d’organisation

De même, les applications métier ont pour caractéristique d’être utilisées dans un contexte plus large: celui de l’organisation et des process internes. Notre expérience nous montre ainsi que pour réussir la conception et l’intégration d’une nouvelle application métier, il faut aussi redesigner l’organisation qui va avec en se demandant: quels métiers seront amenés à utiliser cet outil ? pour quoi faire, à quel moment ? comment les différentes personnes seront-elles amenées à interagir ?

‘’ Le travail de process/organization design intervient AVANT la phase de conception de l’interface, puisque le processus peut avoir un impact fort sur la manière de structurer et de concevoir l’application. “

Dans cette perspective, nous menons généralement un travail de design d’expérience afin d’aligner l’ensemble des parties prenantes sur la manière dont l’outil sera intégré à l’organisation en termes de répartition des rôles et de process. Pour cela, nous réalisons des storyboards présentant, pour un ou plusieurs cas d’usages, la manière dont une tâche sera réalisée étape par étape, en intégrant les actions liées à l’application mais aussi et surtout le contexte plus général d’utilisation (où, qui, quand, comment, via quelle fonctionnalité, …). Nous testons toujours ces storyboards auprès des utilisateurs concernés afin de nous assurer que le processus est simple, fluide, qu’il ne comporte pas de “trous d’expérience”, et le modifions de manière itérative jusqu’à ce qu’il qu’il remplisse les exigences métiers tout en restant simple et naturel pour ses utilisateurs. Surtout, ce travail de process/organization design intervient AVANT la phase de conception de l’interface, puisque le processus peut avoir un impact fort sur la manière de structurer et de concevoir l’application.

Ainsi, nous avons été amenés à re-designer l’ensemble du processus de rédaction et de publication de contenus pour un grand journal français. L’objectif initial du projet était de de designer un nouvel outil de gestion de contenus (Content Management System), afin d’harmoniser la création de contenus entre 2 équipes, chargées respectivement des contenus “papier” et “web”. Rapidement, nous nous sommes rendus compte que l’enjeu dépassait largement le simple outil et visait à fluidifier la “chaîne de production” du journal, de l’écriture initiale de l’article à sa validation en comité de rédaction, en passant par les différentes phases de relecture, de ré-écriture et d’enrichissement du contenu par de l’iconographie ou des graphiques. Avant de designer le moindre écran, nous avons ainsi storyboardé le processus de création d’un article, en illustrant les contributions des différents membres de l’équipe (journalistes, secrétaires de rédaction, iconographes, rédacteurs en chef, …) à chaque étape du process, le but étant de faciliter la collaboration et de réduire au maximum le temps de production moyen d’un contenu. Une fois le process défini, notre travail a consisté à traduire ce process en un ensemble d’interfaces cohérentes et fonctionnelles… Mais ce travail de design d’interface n’était que la partie immergée de l’iceberg.

Du simple outil de gestion de contenus, nos designers ont été amenés à repenser la chaîne de production d’articles pour un grand quotidien national: le design s’applique aussi aux organisations (Crédit photo)

La technologie, vecteur d’opportunités plutôt que de contraintes

Enfin, il convient d’aborder un aspect majeur des applications métiers: la technologie. En effet ce sont les considérations techniques qui ont historiquement cristallisé la majeure partie de la réflexion liée aux outils métiers. Toutefois, cette réflexion était tournée uniquement sous l’angle des contraintes techniques (complexité de développement et budget associé, compatibilité technique avec les architectures pré-existantes, …), sans se préoccuper suffisamment des besoins métiers. Notre conviction aujourd’hui, c’est qu’il faut reconsidérer la technologie non pas seulement comme un ensemble de contraintes, mais comme un immense territoire d’opportunités permettant de servir les besoins métiers et donc l’expérience collaborateur/client. Oui, la technologie a un rôle positif à jouer au sein des organisations, et ce de plusieurs manières.

Ainsi, passer d’une architecture technique fermée à une architecture ouverte peut considérablement changer la donne. En effet, en passant sur un mode ouvert, on facilite les échanges techniques entre différents outils ou différentes bases de données… Laquelle se traduit par une amélioration des échanges dans la vie réelle ! C’est par exemple ce type d’ergonomie technique qui permet de dupliquer une information d’un outil à l’autre afin de fluidifier les process et réduire les saisies inutiles. De même, une architecture ouverte permet de centraliser un ensemble d’informations et/ou d’actions au sein d’un même outil. Ainsi, l’application de messagerie Slack a multiplié le développement d’intégrations avec des outils tiers (Jira, Trello, Google Suite, …) afin de permettre à ses utilisateurs de suivre ce qui se passe à un seul et même endroit, sans avoir besoin de se connecter sur chacun des outils pour vérifier les dernières notifications. A l’inverse, la mise en place d’une architecture ouverte permet également de décentraliser certaines informations et actions vers des outils tiers. Ainsi, dans le cadre d’un projet de conception d’outil pour une banque d’investissement, nous nous sommes trouvés confronté au challenge suivant: de nombreux conseillers financiers ne se rendaient pas sur l’outil proposé par notre client car ces derniers devaient déjà jongler entre de nombreuses applications. Plutôt que de forcer l’utilisateur à se connecter à un énième outil, nous avons ainsi réfléchi à la manière d’amener l’outil là où l’utilisateur se trouvait déjà, et ce en exportant certaines fonctionnalités vers des plateformes tierces (ex: portfolio management systems).

‘’ L’IA, les technologies vocales ou conversationnelles peuvent jouer un rôle d’assistance pour le collaborateur afin d’améliorer, de simplifier, voire d’augmenter son expérience quotidienne. ‘’

De même, l’émergence de nouvelles technologies autour de l’intelligence artificielle peut contribuer à rendre nos outils plus simples, plus proactifs, plus smart. Les applications de cette technologie sont multiples et peuvent prendre des formes diverses. Tout d’abord, l’IA peut jouer un rôle d’assistance pour le collaborateur afin d’améliorer, voire d’augmenter son expérience quotidienne. Par exemple, le Crédit Mutuel s’est associé avec Watson (l’intelligence artificielle développée par IBM) afin d’augmenter l’expérience collaborateur de ses conseillers bancaires de la façon suivante: Watson a pour charge de lire l’ensemble des mails reçus par le conseiller, d’analyser les demandes des clients formulées dans ces mails, puis de les prioriser suivant l’importance, la complexité ou l’urgence de la demande. L’IA, couplée à des technologie conversationnelles, peuvent également faciliter la recherche d’information. Ainsi, frustrés de passer beaucoup (trop) de temps à naviguer sur notre intranet, nous avons décidé de créer un chatbot qui saurait répondre aux questions que nous nous posons fréquemment en tant que collaborateur PwC (ex: combien de congés me reste t-il ? comment contacter le service reprographie ? etc.). Enfin, l’IA et les technologies conversationnelles peuvent contribuer à l’automatisation de certaines tâches. On peut ainsi évoquer AirFrance, qui a récemment développé Louis, un chatbot disponible sur Messenger chargé de répondre aux questions des voyageurs relatives aux bagages (informations sur les formats et tarifs, aide lorsqu’un bagage est perdu, etc.).

Afin d’aider les conseillers dans leur gestion des tâches, le Crédit Mutuel s’est associé à IBM. L’idée ? Utiliser l’intelligence artificielle de Watson pour scanner le contenu des emails et les trier par ordre de priorité…! (Crédit photo)

Et nous n’avons pas encore tout vu ! On assiste aujourd’hui à un boom des assistants vocaux qui pourrait totalement changer la donne. Et si demain, les technologies vocales jouaient un rôle dans notre travail au quotidien ? C’est notamment le pari d’Amazon, qui a déjà déployé son offre “Alexa for Business” dans certaines entreprises comme Fender ou General Electrics. L’idée, c’est de fournir un assistant vocal à même de simplifier les tâches d’un employé au quotidien, que ce soit lorsqu’il travaille seul ou lorsqu’il est en réunion avec ses collègues.

En 2 mots.

Les enjeux liés aux applications métiers sont multiples. Il est évident que cela passe d’abord par l’amélioration de l’expérience utilisateur (UX) de ces outils, mais pas seulement au sens ergonomique du terme car redesigner, c’est aussi choisir d’ajouter, d’enrichir, de supprimer, de simplifier telles ou telles fonctionnalités. Toutefois, le design de l’outil ne peut être pérenne s’il ne prend pas en compte ce qui va autour: l’organisation de l’entreprise d’une part, l’écosystème technologique d’autre part.

Ok, mais alors comment faire pour repenser ces applications ? Nous verrons lors du prochain (et dernier) article que le co-design offre une approche holistique, créative et fédératrice pour résoudre les enjeux que nous venons d’évoquer.

A la semaine prochaine !

Merci à Antoine NASSER et Valentin SAINT-FRISON pour leur relecture attentive et leur challenge bienveillant.

Pour en savoir plus, n’hésitez pas à nous contacter sur Medium, Linkedin ou par mail / téléphone (antoine.nasser@pwc.com / +33.6.16.33.33.57). Nous serons ravis d’échanger avec vous ! :)

--

--