Comment éliminer la dette organisationnelle ?

La dette qui paralyse votre entreprise ne figure pas dans votre bilan. Il existe pourtant des solutions pour y remédier.

Benoit Hurel
The Ready
Published in
7 min readMar 30, 2022

--

Auteur: Aaron Dignan

Article original en anglais “How To Eliminate Organizational Debt” (30.06.2016)

L’endettement existe depuis des milliers d’années.Vous empruntez de l’argent. Le/la prêteur/se perçoit des intérêts jusqu’à ce que vous remboursiez l’argent. C’est plutôt simple. Plus récemment, la communauté des développeurs/ses de logiciels a inventé un terme pour désigner un autre type de dette : la dette technique. La notion de dette technique signifie que le fait de prendre des raccourcis lors de l’écriture du code (ou d’apporter des modifications répétées au code) a des conséquences par la suite.

“ Livrer un code de base, c’est comme s’endetter. Une petite dette accélère le développement tant qu’elle est récupérée rapidement par une réécriture… Le danger survient lorsque la dette n’est pas remboursée. Chaque minute passée sur un code imparfait compte comme un intérêt sur cette dette. Des organisations entières d’ingénierie peuvent être paralysées sous la charge de la dette d’une mise en œuvre non consolidée…”

— Ward Cunningham

Les dettes financière et technique sont désormais des concepts largement connus, et elles jouent un rôle extrêmement important dans les organisations. Mais il existe un troisième type de dette — potentiellement plus pernicieuse que l’une ou l’autre de ses cousines — et quiconque espère construire une organisation durable au XXIe siècle doit la comprendre.

L’année dernière, le Gourou des startups Steve Blank a publié un article intitulé “Organizational Debt is like Technical Debt but worse” (Ndtr: “La Dette Organisationnelle est comme la Dette Technique, mais en pire.”). Il y présentait le concept de dette organisationnelle. Il la définit comme “l’ensemble des compromis humains/culturels réalisés pour “tout faire” dans les premières phases d’une startup”. L’article a été partagé des milliers de fois et a suscité de nombreuses conversations dans la communauté des startups. Il semblerait que le concept ait touché une corde sensible.

En dépit de ce succès, l’article était trop limité dans son champ d’application. La dette organisationnelle est tellement plus importante qu’un simple phénomène de startup. En fait, je pense que le concept de dette organisationnelle sera l’un des concepts les plus importants de demain dans le monde du travail. Dans cette optique, voici une définition élargie pour remuer un peu le couteau dans la plaie.

Dette organisationnelle : Les intérêts que les entreprises paient lorsque leur structure et leurs politiques restent fixes et/ou s’accumulent alors que le monde change.

Examinons cela de plus près. Au fil du temps, les entreprises créent des rôles, des structures, des règles, des politiques et d’autres normes qui deviennent fixes et souvent difficiles à modifier. C’est à dessein. Par exemple, le budget voyages d’une entreprise peut gonfler une année, puis être limité par une politique de voyages l’année suivante — un contrôle bien intentionné destiné à réduire les dépenses. Si cette politique commence à coûter plus qu’elle ne permet d’économiser (par exemple, en réduisant le succès commercial en raison d’un manque de temps de parole, en frustrant les meilleurs talents, etc.), elle devient une dette non reconnue. “L’intérêt” se présente sous la forme d’une réduction de la réactivité, de la capacité, de l’engagement, de la flexibilité et de l’innovation qui, en fin de compte, compromet les macro-objectifs de l’entreprise : assurer sa survie, prospérer et atteindre son objectif.

Notre expérience en matière d’accompagnement des organisations vers des pratiques plus adaptatives et d’auto-organisation nous a permis de constater que la dette organisationnelle tend à se manifester de deux manières : par des problèmes d’obsolescence et d’accumulation.

La dette fondée sur l’obsolescence survient lorsque des structures ou des politiques deviennent inadaptées aux nouvelles conditions du marché.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde VUCA. Tout, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’organisation, change plus vite que l’organisation elle-même. Par conséquent, nos rôles, structures, règles et politiques deviennent sans cesse obsolètes. Ce manque d’adaptation à l’environnement représente les intérêts de la dette, qui s’accumulent au fil du temps. Si vous êtes Kodak et que votre processus d’allocation de capital favorise massivement la pellicule (ou toute autre technologie en place), c’est une dette. Si vous exigez de vos clients qu’ils vous envoient par fax ou par courrier des instructions écrites pour apporter des modifications à leur compte en 2016, c’est une dette. Si vous ne pouvez pas donner à un client sérieux ce qu’il veut parce que “notre politique le dit”, c’est une dette. Ces politiques peuvent avoir eu les meilleures intentions, mais les circonstances ont changé. Le coût réel de ne pas disposer de la structure et de la gouvernance requises pour le contexte dans lequel vous évoluez peut être difficile à quantifier, mais il est réel, et il ne cesse de croître.

La dette basée sur l’accumulation se produit lorsque des structures ou des politiques sont ajoutées de manière répétée mais ne sont jamais supprimées.

Chaque fois que quelque chose ne va pas ou que nous découvrons quelque chose, notre instinct nous pousse à codifier ces connaissances et à prévenir les erreurs futures en instituant un nouveau rôle, une nouvelle structure, une nouvelle règle ou une nouvelle politique. Malheureusement, la création de nouvelles façons d’éliminer les écarts est trop courante, mais nous les éliminons très rarement. Ainsi, un processus en une étape devient un processus en vingt étapes au cours d’une décennie. Ou pire, dix processus différents se croisent au fil du temps. Dix rôles différents sont nécessaires pour prendre une décision. Et la liste n’en finit pas de s’allonger. Cette augmentation de la complexité crée un risque, et nous créons des rôles et des règles dérivées pour gérer ce risque (on les appelle des PMO). Comme nous changeons de poste de plus en plus souvent, personne ne sait pourquoi nous faisons les choses comme nous le faisons. C’est la machine bureaucratique comme décrite par la barrière de Chesterton. Nous devrions comprendre les origines et l’intention de nos politiques. Et, si elles ne s’appliquent plus ou créent des conséquences involontaires, elles devraient être supprimées.

La dette organisationnelle est tellement omniprésente et insaisissable que nous pouvons ressentir une sorte de paralysie à son égard. Elle est trop importante pour être traitée par un décret ou un groupe de travail. Pourtant, si nous acceptons qu’elle est créée par l’obsolescence et l’accumulation, nous pouvons la prévenir, voire la réduire (le “Réusinage”, comme dirait un/une ingénieur/e). Voici trois façons de reprendre en main votre entreprise :

1. Lancez un un programme de primes.

Dans le monde du développement de logiciels, certaines entreprises offrent une “prime de bug” — une petite prime en espèces — à quiconque peut trouver une erreur dans leur code. L’un de nos clients chez GE a récemment lancé un programme connexe appelé Process Bounty. Avec Process Bounty, tout employé/e qui rencontre une politique ou un processus qui entrave sa capacité à fournir de la valeur au client/e peut soumettre la politique/le processus (et une recommandation) sur le site Web du programme. L’équipe du programme Process Bounty est alors habilitée à explorer l’intention de la politique/du processus par le biais d’un processus de sollicitation d’avis avec les parties concernées, puis à la réviser ou à l’éliminer.

2. Pratiquer une gouvernance participative continue.

Vous pouvez offrir à votre ou vos équipes un processus continu de mise à jour de l’organisation elle-même. Si les individus ont le pouvoir de recommander des changements à leurs propres rôles et règles, et que les équipes disposent d’un processus pour examiner et façonner ces propositions, il se passe quelque chose d’extraordinaire : l’entreprise devient plus intelligente chaque jour. La variante la plus populaire est le processus de gouvernance issu de l’Holacracy, mais il existe de nombreuses façons de le faire (comme nous l’avons décrit cet article), y compris certaines options logicielles émergentes.

3. Ne vous précipitez pas sur une politique et des procédures pour tout et n’importe quoi.

Comme nous l’avons vu, notre instinct naturel nous pousse à créer un rôle et une règle pour tout et n’importe quoi, surtout après un dysfonctionnement. Mais la vérité est que nous pouvons nous en sortir avec beaucoup moins de structure si nous engageons des personnes intelligentes et les laissons se débrouiller. Un incident n’est que cela… un incident. Ne réagissez pas de manière excessive. Laissez la culture apprendre. Jason Fried, de Basecamp, a écrit à ce sujet dans un article récent — en parlant des politiques de réflexe comme d’un tissu cicatriciel. Il peut y avoir un coût d’efficacité à garder les choses ouvertes, mais dans un monde qui change rapidement, cela en vaut souvent la peine.

Faites-nous part de votre expérience concernant la dette organisationnelle et des faiblesses de ces premières suggestions. Nous avons l’intention de continuer à écrire sur ce sujet dans les semaines et les mois à venir, dans le cadre de notre engagement à vous donner ce dont vous avez besoin pour changer la façon dont le monde travail.

Saviez-vous que j’ai récemment terminé un nouveau livre sur la façon dont les organisations peuvent changer leur mode de fonctionnement ? Si vous vous intéressez au mouvement pour l’avenir du travail, au travail que nous faisons chez The Ready, ou simplement à la manière d’améliorer votre propre organisation, vous devez absolument commander votre exemplaire de Brave New Work dès aujourd’hui.

Suivez Aaron sur Twitter | Suivez The Ready sur Twitter | TheReady.com

--

--

Benoit Hurel
The Ready

Partner @ The Ready — Designer de Transformations d’Organisations