Un bon ‘Directeur Artistique’ est il un bon ‘UX Designer’ ?

Mickaël David
Think digital
Published in
5 min readMay 3, 2017

La réponse à cette question est plutôt “non”.
Pourquoi ? Bonne lecture !

Il suffit de regarder les courbes de recherche dans Google Trends pour se rendre compte que le phénomène lié aux nouveaux métiers du design digital n’en est qu’à ses débuts :

Qui dit tendance, dit recrutement. Seulement voilà, les formations dans le Design d’Expérience n’ont vraiment vu le jour que ces 5 dernières années, ce qui laisse un vide à combler, celui de la demande des nombreuses entreprises en recherche de profils de type UX Designer, surtout pour les plus seniors.

J’ai eu l’occasion de recruter de nombreux profils dernièrement, de type UX ou UI, et je constate un phénomène qui s’accélère, à savoir l’apparition soudaine d’un grand nombre de “Designers d’Expérience” qui se déclaraient jusque-là en tant que “Directeur artistique” : sur un profil Linked In par exemple, le ou la candidat(e) change soudainement d’expertise entre deux postes, en le justifiant par une première création d’une expérience digitale.

“ Sur un profil Linked In par exemple, le ou la candidat(e) change soudainement d’expertise entre deux postes, en le justifiant par une première création d’une expérience digitale. ”

Malheureusement, tout n’est pas aussi simple, et ce n’est pas parce que l’on a participé à la conception d’une application mobile, que l’on a changé de logiciel en passant de Photoshop à Sketch, ou que l’on a suivi une formation en ligne, que l’on peut s’autoproclamer Designer d’Expérience. Car au-delà des connaissances théoriques et de la maîtrise des outils, c’est tout un mode de pensée qui doit évoluer.

Du story telling au story playing*

Historiquement, le Directeur Artistique a longtemps travaillé sur le message, le story telling, et au final, l’émotionnel. Un beau visuel, simple, souvent épuré, pour vanter les mérites d’un produit, exprimer les valeurs d’une marque, que l’on voit à la télévision, au cinéma, dans les pages de magazine. Bref, du contenu que l’on apprécie via les médias dit 1.0, sans interaction.

Le Designer d’Expérience est justement un spécialiste de cette interaction : il prend en compte dans son travail de conception l’aspect rationnel de l’utilisateur, celui qui lui permet de se repérer dans l’espace, naviguer de page en page, de décider, de faire une action. Le story telling se mue alors en story playing, car le cognitif émotionnel se marie avec le cognitif rationnel dans une expérience d’utilisation, et l’un ne peut aller sans l’autre, ne peut se concevoir sans l’autre.

“ Le story telling se mue alors en story playing, car le cognitif émotionnel se marie avec le cognitif rationnel dans une expérience d’utilisation, […] ”

Le vrai challenge est que l’utilisation répond à des règles à la fois très précises et très subtiles, et il est impossible de vouloir l’imposer à un utilisateur, même avec une démarche esthétique réussie : s’il ne comprend pas, il n’utilise pas. Et s’il n’utilise pas, l’interaction ne se fait pas entre lui et la marque. Il faut donc observer (User research), valider (User test) et itérer pour être sûr de la pertinence d’une création d’expérience.

Être amoureux VS Être catalyseur

Autre point très important, la plupart des profils de type Directeur Artistique sont, comme son nom l’indique, des artistes. C’est-à-dire qu’ils s’expriment aux travers leurs projets, en y mettant tout un ensemble de choses, de l’inspiration, des éléments de l’air du temps et… beaucoup d’eux-mêmes. Ils sont donc souvent amoureux de leurs projets, et vont défendre becs et ongles leurs créations devant la critique, afin d’asseoir leurs positions d’artiste, pour garder ainsi intact leur travail.

Dans un autre style, le Designer d’Expérience va plutôt considérer qu’il est le catalyseur d’une idée, dont les différents piliers sont les besoins utilisateurs d’un côté, les contraintes de la marque (business, image) et les contraintes techniques de l’autre. Il va donc chercher le juste équilibre entre ces différents éléments pour aboutir à une solution Utile, Simple et Efficace (U.S.E.), afin de répondre à un besoin précis. Et si l’on critique son travail, il va plutôt considérer que c’est le moyen d’améliorer la version actuelle du projet, afin de passer à l’itération suivante.

Le test utilisateur, ou la véritable école de Design d’Expérience

Enfin, après ces quelques années d’expérience, je me suis rendu compte que la seule vraie école de Design d’Expérience n’était ni les Moocs, ni les tutos, ni la maîtrise des outils ou des méthodes, ni la création de dizaines et de dizaines de projets. C’est effectivement le plus souvent derrière une vitre sans teint, à observer la réaction des -vraies- personnes lors de tests utilisateurs que l’on se prend les uppercuts les plus violents face à un projet sur lequel on travaille depuis des semaines. Un simple bouton non vu, un libellé mal compris dès la première page, et c’est toute l’expérience qui s’écroule. Il est alors impossible de décréter que l’utilisateur est bête ou qu’il ne comprend rien, ce qui est malheureusement souvent le réflexe de défense de nombreux Directeurs Artistiques. C’est bien au Designer de revoir sa copie pour rendre le site ou l’application plus immédiate, ou moins confuse.

“ C’est effectivement le plus souvent derrière une vitre sans teint, à observer la réaction des -vraies- personnes lors de tests utilisateurs que l’on se prend les uppercuts les plus violents face à un projet sur lequel on travaille depuis des semaines. ”

C’est donc la question que je pose le plus souvent lors d’un entretien pour la recherche d’un profil de type UX designer, surtout s’il a un background très “graphic design” : a-t-il organisé ou même vécu un test utilisateur ? Dans tous les cas je privilégierais les réponses positives, accompagnées d’un exemple d’amélioration d’une expérience digitale suite à un tel test.

Directeur d’expérience ou Designer artistique ?

Actuellement, lorsque je reçois des CVs, une grande partie du temps passé consiste à trier et à mettre de côté les profils de Directeurs Artistiques qui ont récemment et subitement changé d’étiquette. Je ne considère donc pas qu‘ils feraient de bons Designers d’Expérience par défaut, pour les différentes raisons énumérées ci-dessus.

Ceci-dit, il est évident qu’un grand nombre de Directeurs Artistiques se dirigent vers cette discipline, et beaucoup possèdent de nombreux atouts pour y parvenir. Mais le chemin est long avant de devenir un Designer d’Expérience chevronné, car c’est avant tout un véritable changement d’état d’esprit face à la création, entraînant un impact sur toute la chaine de conception, de production, d’argumentation, et jusque dans la façon de manager les équipes.

Pour aller plus loin :

*Le terme “story playing” est directement emprunté à Maud Serpin, co-founder du cabinet Curiouser, suite à la lecture d’un billet de son blog, il y a de cela déjà sept ans.

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Mickaël David
Think digital

French Designer // Planet Activist // Anticipation Writer // Video games & Music lover.