Marie du Pain et des Roses

#acteursduchangement #28

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Tido Media
8 min readMar 28, 2019

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“Je pense qu’il faut arrêter de considérer les personnes qui traversent des périodes difficiles uniquement à travers le prisme du besoin.”

Rachel (R) : “Comment aimes-tu qu’on te présente ?”

Marie (M) : “Je m’appelle Marie Reverchon, j’ai 26 ans et j’ai fait des études de littérature et d’histoire. Je me suis d’abord intéressée aux personnes réfugiées et aux questions de migration en cours. C’était des sujets d’actualité que l’on étudiait. J’ai également travaillé pendant plusieurs mois pour Human Rights Watch. On réalisait des vidéos-témoignages de femmes réfugiées en France ou dans d’autres pays d’Europe au cours desquelles on revenait sur leurs parcours. Je me suis aperçue que les recherches universitaires et les médias présentaient une image un peu déformée de ce sujet, avec un angle négatif. J’ai donc voulu participer à un projet plus concret, ce qui m’a amené à être bénévole pendant un an en Angleterre pour Bread & Roses. C’est une entreprise sociale qui propose à des femmes récemment arrivées de participer à des ateliers de fleuriste. C’est une manière de leur faire découvrir le monde du travail anglais à travers une activité créative, originale et professionnalisante. Car ce métier regroupe de nombreuses compétences : la création de bouquets bien sûr mais aussi de la vente, de la logistique ou encore de la communication. Donc en fonction des métiers qu’elles avaient pu exercer avant ou de ce qu’elles aspiraient à faire, elles pouvaient véritablement revaloriser leurs compétences et en acquérir de nouvelles. C’est un tremplin dans la vie professionnelle. Mais c’est aussi une façon de se rencontrer : au départ on est concentré sur la création ce qui amène de la discussion et cela permet de connaître les gens d’une façon différente et de se débarrasser des clichés. À mon retour en France, j’ai voulu exporter le modèle : j’ai d’ailleurs bénéficié de l’accompagnement de Singa en 2017. J’ai réalisé que le système juridique français était différent et que les personnes en demande d’asile n’ont ni le droit de travailler ni celui de suivre une formation diplômante pendant les neuf premiers mois. Ensuite, pour pouvoir le faire, il faut décrocher une autorisation de travail très difficile à obtenir. C’est un frein puisque le travail est ce qui permet de s’intégrer, de se lever le matin donc empêcher à une personne d’y accéder revient à compliquer son insertion dans le pays d’accueil. À défaut d’une formation professionnelle, je propose des ateliers qui s’adressent à des femmes ayant effectué une demande d’asile. C’est une manière de combler cette période d’attente pendant laquelle elles ne peuvent pas occuper un emploi. Il existe peu de projets similaires parce que cette situation est supposée être provisoire. Cependant, j’ai constaté qu’il y avait des participantes aux ateliers qui attendaient une réponse depuis parfois deux ou trois ans. C’est donc une réelle nécessité que de proposer ce type d’activité.”

“J’aimerais que l’on rétablisse le droit de travail pour tout le monde quelque soit son statut ou sa date d’arrivée. En réalité, c’est une loi assez récente : en 1990, les personnes en demande d’asile avaient le droit de travailler.”

R : “Pourrais-tu nous présenter ton projet en quelques mots…”

M : “Ces ateliers sont des moments de découverte. C’est une formation qui permet d’apprendre les bases du métier mais aussi de créer du lien, de se détendre et de faire la part belle à sa créativité. Les participantes reprennent confiance en elle. Au cours de la période de demande d’asile, elles sont en permanence confrontées à leur passé lors des rendez-vous avec l’administration et les médecins. Ici, c’est un espace où l’on parle du présent et du futur. Il y a huit à dix places et nous faisons des cycles d’ateliers qui durent sept semaines à raison d’un atelier par semaine. On en organise toute l’année depuis mars 2017.”

R : “Tu nous as dit que tu avais lancé le projet mais pourrais-tu nous présenter le reste de l’équipe et les personnes avec lesquelles tu travailles ? Et toi quel est ton rôle ?”

M : “Au départ c’était surtout avec des partenaires extérieurs : France Terre d’Asile et le réseau Cocagne. Puis Nicolas m’a rejoint en septembre. C’est un ami de longue date qui est juriste et qui était chargé d’insertion avant de rejoindre le projet. Depuis une semaine on a doublé nos effectifs avec Macarena qui effectue un stage en développement commercial et Gaëlle en service civique en appui sur la mesure d’impact. Depuis juin 2017 on a commencé à construire une branche commerciale. On est principalement financé par des fondations mais c’est important pour nous d’être indépendant et de trouver notre propre modèle économique. L’entreprise sociale est quelque chose qui me parle beaucoup et on cherche une manière de s’autofinancer pour compenser la gratuité des ateliers. On propose de l’événementiel aux entreprises en travaillant avec des traiteurs et des agences de communication. On privilégie des partenaires qui partagent notre vision comme Les Cuistots migrateurs et La Koncepterie, une agence qui collabore uniquement avec des acteurs solidaires. On essaie de rester dans cet écosystème d’économie sociale et circulaire. Quant à moi, je suis fleuriste. Je me suis reconvertie suite à mon expérience en Angleterre. J’ai suivi une formation à l’école des fleuristes de Paris où j’ai passé mon CAP de fleuriste. J’anime les ateliers : je fais découvrir mon métier comme je l’ai découvert il y a 2 ans. Après, on est une petite équipe donc on touche à tout (rires).”

R : “Qu’est-ce que tu veux changer dans la société ?”

M : “Du pain et des roses vient d’un poème d’Oppenheim qui dit que dans la vie on a non seulement besoin de pain donc de se nourrir mais aussi de roses c’est-à-dire de créativité, de beauté, de choses qui ont du sens. Je pense qu’il faudrait arrêter de considérer les personnes qui traversent des périodes difficiles uniquement à travers le prisme du besoin. Elles ont besoin de faire des choses qui les épanouissent. Et ce n’est pas parce qu’un bouquet est inutile qu’il n’a aucune valeur. Ce serait un message à adresser au plus grand nombre afin que l’on arrête de plaquer une image misérabiliste sur les personnes réfugiées.”

“Plus largement, j’aimerais qu’on arrête de plaquer le terme de réfugiés comme étant une identité. Il s’agit d’un passage et non de quelque chose de durable : mon grand-père était réfugié (…) lorsqu’on en parle, on dit qu’il s’est réfugié en France et non pas qu’il est réfugié : c’est un verbe, c’est une action entreprise mais ce n’est pas lui.”

R : “Qu’est-ce que cela t’apporte ?”

M : “Pas une journée ne se ressemble, je fais des rencontres, je crée de la beauté dans un cadre inhabituel et j’en parle.”

R : “Comment ces femmes ont connaissance de ces ateliers ?”

M : “À travers notre réseau : on travaille avec des centres d’accueil, des centres d’hébergement, avec France Terre d’Asile, avec des CHRS de la mairie de Paris et très bientôt avec Aurore puisque nous sommes sur le même site de la caserne Exelmans. Ces centres vont proposer aux femmes isolées et qui ont moins accès à d’autres activités nos ateliers.”

R : “Pourrais-tu nous donner un aspect génial de l’avenir souhaitable ?”

M : “Que l’on rétablisse le droit de travail pour tout le monde quelque soit son statut ou sa date d’arrivée. En réalité, c’est une loi assez récente : en 1990, les personnes en demande d’asile avaient le droit de travailler. Plus largement, qu’on arrête de plaquer le terme de réfugiés comme étant une identité. Il s’agit d’un passage et non de quelque chose de durable : mon grand-père était réfugié et je ne l’ai appris que très tard puisqu’à l’époque ce n’était pas un sujet. Lorsqu’on en parle, on dit qu’il s’est réfugié en France et non pas qu’il est réfugié : c’est un verbe, c’est une action entreprise mais ce n’est pas lui.”

R : “Quelles sont les prochaines étapes pour Du pain et des roses pour les prochains mois et les prochaines années ?”

M : “J’aimerais que cela continue de marcher et que l’on se développe. Pour le moment, nous avons pu embaucher une bénéficiaire de nos ateliers. Elle travaille sur l’organisation de nos événements en tant que fleuriste. Nous aimerions à terme pouvoir l’embaucher à temps plein et permettre à d’autres participantes de rejoindre notre équipe. Je voudrais aussi l’étendre à d’autres publics. Cela pourrait apporter de la valeur à des femmes en réinsertion professionnelle pour d’autres raisons que la demande d’asile. Et je souhaiterais que l’on devienne indépendant financièrement : il est important de valoriser le travail fourni afin que ce ne soit plus un frein à l’embauche. Lorsque j’ai travaillé pour des associations, j’ai remarqué qu’il y avait un écart conséquent entre la quantité de travail fourni et le salaire. Il y a plein de gens qui sont intéressés par l’économie sociale et solidaire mais qui sont rebutés par ce cadre. Cela nous amène à valoriser des entreprises qui ont moins d’impact social parce qu’elles proposent des salaires et un cadre de travail plus confortables. Je pense que l’entreprise sociale devrait être plus mise en avant, qu’elle devienne la norme et qu’elle ait une vraie part dans l’économie.”

R : “Selon toi, qui devrait être le sujet de notre prochain portrait ?”

M : “La Koncepterie, c’est une agence événementielle. Elle donne sa chance à plein d’autres acteurs à impact social dans des milieux où ce n’est pas courant. On a travaillé avec eux à plusieurs reprises et nous rencontrons d’autres entreprises sociales qui soutiennent des personnes en réinsertion ou qui utilisent des produits issus de petits producteurs. Elles dégotent des pépites !”

Signé : Rachel Priest

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