Nina de Guiti News

#acteursduchangement #30

Tido — tell it differently !
Tido Media
8 min readApr 29, 2020

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Rachel (R) : Comment aimes-tu qu’on te présente ?

Nina (N) : Comme quelqu’un d’engagé qui a envie de mener les choses à bien. Je crois que le journalisme me le permet. J’ai fait une Licence de Lettres Modernes et un Master de Journalisme à Paris. J’ai eu différentes expériences dans la presse nationale, spécialisée et en agence jusqu’en novembre dernier lorsque le projet Guiti a pris de l’ampleur. J’ai alors progressivement abandonné mon activité auprès d’un grand groupe pour m’y consacrer.

Je trouvais aussi qu’il manquait une réflexion critique sur les médias et sur la réception de l’information.

R : Pourquoi le journalisme ?

N : J’en ai toujours eu envie. Petite, lorsque je revenais d’une séance de cinéma, j’écrivais une critique. Mon premier stage était auprès d’un journal local. Cette envie m’est passée avec la découverte de la littérature. Il y a avait des choses qui me dérangeaient en tant que consommatrice d’informations. A l’adolescence, j’avais l’impression que le discours était uniformisé tant sur le fond que sur la forme. J’avais la sensation que les présentateurs parlaient de la même manière, que les sujets étaient abordés de façon identique. Par exemple, une faible part de l’information était dédiée à l’actualité internationale, elle était européocentrée, et encore, que sur quelques pays d’Europe. Je trouvais aussi qu’il manquait une réflexion critique sur les médias et sur la réception de l’information. D’ailleurs, ce sont des choses que j’ai pu éprouver alors que je travaillais pour des grands groupes. On est assigné à des tâches et on a parfois l’impression d’être des producteurs d’information, de perdre tout ce qui nous a poussé à aimer ce métier au départ. L’aliénation vient vite…

C’est pour cette raison que j’ai entamée des études de Lettres et que je me suis posée la question de l’enseignement. Pour moi, le journalisme est un métier humain, de rencontre, qui permet de mettre en valeur des réalités que l’on ne soupçonne pas. Je pense que c’est ce qui motive beaucoup de journalistes : tendre le micro à des personnes que l’on n’entend pas, dévoiler des choses. Si j’ai quitté mon précédent emploi, c’est parce que j’avais l’impression d’avoir déjà tiré un trait sur ce qui m’avait animé dès le départ. En à peine 4 ans, je ne voulais pas déjà être lasse de ce métier.

Guiti, qui signifie « le monde et l’univers » en persan.

R : Pourrais-tu me parler de Guiti News ?

N : L’idée initiale ne vient pas de moi mais de Mortaza Behboudi. Guiti c’est l’histoire de rencontres plurielles. L’été dernier, j’avais déjà envie de faire autre chose lorsque j’ai rencontré Mortaza, un journaliste afghan vivant à Paris. Il m’a parlé de son idée et j’ai été complètement enthousiasmée. On est 5 cofondateurs : l’idée, dès le départ, a été de faire travailler ensemble, en binôme, des journalistes français et des confrères réfugiés qui viennent du Tchad, du Pakistan, d’Afghanistan, de Syrie, entre autres, pour qu’ils portent un double regard sur l’actualité française et internationale. On retrouve cette idée dans notre nom, Guiti, qui signifie « le monde et l’univers » en persan. Mortaza l’a suggéré car il a passé une partie de sa vie en Iran et maîtrise cette langue. Puis on a été dans un processus d’incubation : on a initié les premiers sujets, on a défini l’identité et le nom du site, on a écrit un manifeste, on a déterminé une identité visuelle, on a construit le site. A côté de ça, on a effectué beaucoup de démarches administratives. On a lancé le site en janvier 2019 et en parallèle, on a organisé une soirée de lancement où plusieurs médias nationaux sont venus ce qui nous a permis d’avoir une petite couverture médiatique. On a des journalistes parrains comme Pierre Haski. On a aussi participé à des événements et conférences comme Viva Tech, We love Green… On est présent sur les réseaux et l’écueil principal est qu’ils créent un effet de bulle. Or, notre but était également de dénoncer cette endogamie qui fait qu’on ne suit que les personnes qui partagent déjà nos idées. Nous voulons aller vers des personnes plus réfractaires pour leur expliquer notre projet posément. C’est ce que permettent ces événements.

R : Dès le départ, c’était exclusivement un projet de site Internet ?

N : L’idée du site web est venue très vite. Si on a rapidement éliminé l’idée du papier c’est parce que le numérique permet de proposer des programmes innovants et des supports multiples : podcast, images animées,… ce que nous ne pourrions pas avoir en presse écrite.

R : Quel est ton rôle ?

N : Je suis rédactrice en chef. J’assure la coordination des 14 journalistes et des binômes, le suivi de la construction du projet, je réponds à leurs attentes. Guiti a réussi à avoir un certain écho ce dont on est fiers. Notre challenge est de jongler entre l’éditorial, notre métier, et le reste : marketing, recherche de financements, communication… On a beaucoup appris en le faisant. J’étais réfractaire à cet aspect financier mais j’en suis ravie car j’ai acquis de nouvelles compétences. En école de journalisme, je ne pensais pas participer au développement d’un projet. C’est venu grâce à ces rencontres et avec Guiti. C’est à la fois enthousiasmant et très prenant. J’y pense en permanence.

La force du binôme et de leur donner la parole et d’entendre des choses différentes.

On savait que Guiti serait assez clivant : on a soit des personnes qui nous soutiennent, soit des personnes qui y sont opposées. On le voit en commentaire ou lorsqu’on a l’occasion de participer à des conférences. L’immigration reste un sujet clivant en France, on en parle en permanence mais assez mal car finalement la majorité des personnes se sentent mal informées. On assiste à un paradoxe. C’est un sujet qui fait appel aux fantasmes, aux idéologies et qui est complètement irrationnel. On essaie à la fois de remettre un peu de raison dans ce sujet traversé par des passions, et de parler d’humanité et de trajectoire parce que c’est également ce qui nous a frappé en tant que journalistes. On voyait que les médias participaient à « invisibiliser » ces personnes migrantes, parfois même à les déshumaniser. La force du binôme et de leur donner la parole et d’entendre des choses différentes. C’est important qu’ils aient leur mot à dire.

R : Qu’est-ce que tu aimerais changer dans la société ?

N : Je parlais de l’endogamie sur les réseaux sociaux et je crois que cela s’applique également aux médias, avec toujours les mêmes personnes aux commandes. Il y a de nombreuses initiatives mais le chemin reste long. J’aurais envie que les rédactions soient plus mixtes sur de nombreux plans. La neutralité en journalisme n’existe pas. Lorsqu’on choisit un sujet, on choisit un angle et ce dernier peut être déterminé par plein de choses. Or, c’est une richesse que d’avoir plein de façons de penser au sein d’une rédaction. A partir du moment où on ouvrira ces rédactions, on gagnera en richesse.

Ça m‘a réconcilié avec mon métier.

R : Qu’est-ce que cela t’apporte ?

N : Ça m‘a réconcilié avec mon métier. Mes expériences passées dans des grands groupes m’avaient questionné. Je me sentais inutile, comme si je passais à côté de mon métier. Je me suis engagée en journalisme parce que je voulais changer les choses à mon échelle. En un an de création de projet, j’ai fait des rencontres incroyables.

R : J’aimerais que l’on parle du travail de Doudou, pourrais-tu nous le présenter ?

Gaspard dessine entièrement à l’aquarelle.

N : Dans l’équipe on a Gaspard Njock, surnommé Doudou. Mortaza l’a rencontré à Tunis. C’est un dessinateur professionnel camerounais. Il a déjà publié pas mal de choses, en particulier sur l’exil. Dès le début, on voulait qu’il y ait du dessin sur le site. Gaspard dessine entièrement à l’aquarelle. Il travaille de deux manières sur le site : en proposant un dessin hebdomadaire en réaction à une actualité française ou internationale. Dans ce cas il n’y a pas de texte. Et il peut aussi venir en appui d’un article écrit par un binôme pour apporter une illustration. D’autres dessinateurs contribuent plus occasionnellement comme Al Mata. C’est quelque chose qu’on aimerait développer. Gaspard a un talent fou, ces dessins marquent beaucoup et on nous en parle souvent.

R : Comment Mortaza a fait pour embarquer autant de personnes sur ce projet ?

N : Il a beaucoup voyagé, ce qui lui a permis de rencontrer Gaspard à Tunis ou Alix à Athènes. Quand il est arrivé à Paris, il a intégré la maison des journalistes, une organisation qui accueille des journalistes réfugiés, les loge et leur apprend le français. Cela lui a permis de rencontrer d’autres journalistes. Après, individuellement, nous avons ramené une autre personne qui avait la même envie de parler autrement de ce sujet, de changer les choses. Les barrières culturelles, de langue disparaissent assez vite parce qu’on est d’accord sur l’essentiel.

R : Guiti dans 5 ans, ça ressemblera à quoi ?

On a envie que Guiti participe à l’insertion professionnelle de journalistes réfugiés

N : On a envie que Guiti participe à l’insertion professionnelle de journalistes réfugiés et donc qu’on puisse participer à la formation de personnes qui ne sont pas des professionnels mais qui ont envie de s’y s’intéresser. On aimerait les accompagner. Et dans un second temps, on voudrait créer un réseau européen avec d’autres médias associatifs qui partagent notre engagement, parce que c’est important de partager du contenu avec les autres. Nous avons déjà commencé à le faire avec un magasine allemand qui a été monté par un réfugié syrien. L’idée est d’étendre ça à différent pays en Europe, pour qu’il y ait différents contenus et compétences et donc pour créer un conglomérat. Pour l’instant, le site est en français, ce qui n’est pas rien car c’est la cinquième langue la plus parlée au monde. Mais on a envie de le traduire en anglais. Dans la réalité, dans nos conférences de rédaction, on oscille entre le français et l’anglais donc ça aurait aussi du sens pour nos journalistes anglophones. On pense aussi à l’arabe mais cela nécessite encore plus de personnes et de moyens.

R : Qui, selon toi, devrais être l’objet de notre prochain portrait ?

N : Le Refettorio.

Signé : Rachel Priest
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