Des brevets visionnaires

Les travaux pionniers des Français dans la course atomique

Bertrand Pelloux
Une brève histoire de l’atome
14 min readJan 21, 2022

--

📅 1er mai 1939

Ce jour-là, les physiciens français Frédéric Joliot-Curie, Hans Halban, Lew Kowarski et Francis Perrin déposent un brevet d’invention auprès du service de la propriété intellectuelle du ministère de l’Industrie et du Commerce. Le premier d’une série de cinq brevets qui explore les applications civiles et militaires de l’énergie nucléaire. Retour sur les travaux pionniers de Joliot-Curie et son équipe dans le domaine de l’énergie nucléaire.

🫣 Le revers de la médaille

Après la découverte de la fission nucléaire par Otto Hahn, Fritz Strassmann et Lise Meitner en décembre 1938 (👉 Une nouvelle ère), Frédéric Joliot-Curie, alors titulaire de la chaire de chimie nucléaire au Collège de France, confirme expérimentalement ce phénomène à la fin du mois de janvier 1939. Ses résultats sont présentés par Jean Perrin lors de la séance hebdomadaire de l’Académie des sciences du 30 janvier 1939 et consignés dans un compte rendu à la conclusion sans équivoque :

En définitive l’ensemble de ces résultats montre que les radioéléments formés dans l’U [Uranium] et Th [Thorium], que les chimistes sont obligés d’identifier avec des atomes comme ceux de Ba [Baryum] ou des terres rares, proviennent de ruptures très exoénergétiques des noyaux d’U et Th sous l’action des neutrons.

Au-delà de cette confirmation expérimentale, Joliot fait l’hypothèse que, en plus de créer des produits de fission et de libérer de l’énergie, la fission pourrait s’accompagner de l’émission de plusieurs neutrons… Si tel était le cas, ce ne serait pas seulement une découverte scientifique majeure, mais un extraordinaire changement de paradigme, ce dont Joliot est parfaitement conscient. Mais il n’est pas le seul !

Le 2 février 1939, Joliot reçoit une lettre du brillant physicien hongrois Leo Szilard. De confession juive, ce dernier avait fui l’Allemagne en 1933 pour rejoindre l’Angleterre après l’arrivée de Hitler au pouvoir puis émigré aux États-Unis en 1938. Dans son courrier, Szilard enjoint Joliot à cesser ses publications sur la fission de l’uranium. D’une insolente lucidité, il écrit :

De toute évidence, si plus d’un neutron était libéré [lors d’une fission], une sorte de réaction en chaîne serait possible. Dans certaines circonstances, cela pourrait conduire à la construction de bombes, ce qui serait extrêmement dangereux.

Lettre de Szilard à Joliot datée du 2 février 1939 (page 1/2) ©source

Bien avant la découverte de la fission, Szilard avait imaginé dès 1933 les principes d’une réaction en chaîne mettant en œuvre des neutrons et déposé en secret un brevet d’invention auprès du Patent Office à Londres. Bien que ce brevet présente de nombreuses erreurs ou incohérences, il revêt un caractère novateur dans les idées. C’est d’ailleurs grâce à ses réflexions en avance de phase que Szilard est en mesure d’appréhender immédiatement les enjeux liés à la découverte de la fission et de prévenir dans plusieurs courriers ses homologues français, anglais et américains sur les dangers de publier leurs travaux en cours. Il ne faudrait en aucun cas faciliter l’obtention d’un nouveau type de bombe au régime nazi, sachant qu’il dispose déjà de scientifiques de renom comme Otto Hahn, Carl Friedrich von Weizsäcker ou encore Werner Heisenberg. Toutefois, la demande de Szilard reste lettre morte et les publications continuent. La science avant tout, encore quelques mois du moins…

🕵 À la recherche des neutrons perdus

Depuis janvier 1939, Frédéric Joliot-Curie et ses deux collaborateurs, Hans Halban (physicien autrichien naturalisé français en avril 1939) et Lew Kowarski (physicien russe naturalisé français en novembre 1939), qu’il a débauchés pour leurs compétences en physique nucléaire, travaillent activement sur la compréhension des mécanismes de la fission. En particulier, ils s’attachent à démontrer expérimentalement l’hypothèse de Joliot selon laquelle quelques neutrons sont expulsés lors de la fission d’un noyau d’uranium compte tenu du très grand nombre de neutrons à répartir entre les deux noyaux légers issus de la fission. Et inutile de dire que cette équipe ne manque pas d’idées.

[🤯 La physique nucléaire peut se résumer en quelques grands principes et beaucoup d’additions. Le noyau d’un atome est caractérisé par son nombre de protons (Z), de neutrons (N) et de nucléons (A), ces derniers étant simplement la somme des protons et des neutrons (A=Z+N). Afin de respecter le principe de conservation des charges électriques, la fission d’un noyau d’uranium (Z=92 ; 92 protons ; 92 charges positives) conduit par exemple à la création de baryum (Z=56) et de krypton (Z=36). 56+36=92, le compte est bon. Par ailleurs, afin de respecter le principe de conservation du nombre de nucléons (A), le nombre de neutrons avant et après une fission doit rester identique. Mais comme les noyaux légers ont (environ) le même nombre de neutrons que de protons (N≃ Z), alors que les noyaux lourds ont beaucoup plus de neutrons que de protons (N>Z), la répartition des neutrons de l’uranium devrait entraîner un excès de neutrons considérable pour le baryum et le krypton par rapport à leurs isotopes stables. C’est pourquoi Joliot suppose, à juste titre, que l’émission directe de quelques neutrons lors d’une fission permettrait d’éliminer cet excès. 🤯]

Représentation de la “vallée de stabilité” de tous les isotopes ©source

Ils réalisent alors une expérience brillante consistant à disposer une même source de neutrons dans une solution de nitrate d’uranyle (un sel d’uranium), puis dans une solution témoin de nitrate d’ammonium, et mesurent dans chaque cas les neutrons émis. En comparant les résultats, ils constatent qu’un plus grand nombre de neutrons est émis avec le nitrate d’uranyle. Ils viennent de démontrer que la fission de l’uranium libère des neutrons.

Sans tarder, Kowarski se rend à l’aéroport du Bourget avec la précieuse publication afin qu’elle s’envole pour Londres et paraisse le plus rapidement dans la prestigieuse revue scientifique britannique Nature (le charme de la vie sans internet). Daté du 8 mars, leur papier est publié le 18 mars 1939. L’équipe du Collège de France fait la course en tête, mais son avance est toute relative. En effet, les équipes Szilard/Zinn et Anderson/Fermi/Hanstein (n’est pas Albert qui veut) basées aux États-Unis publient des conclusions équivalentes (et concertées) dans deux papiers datés du 16 mars et publiés dans Physical Review le 15 avril 1939. Les recherches sur la fission nucléaire battent leur plein.

🔗 La réaction tant espérée

En mars 1939, l’état des connaissances est le suivant : la fission nucléaire est un phénomène au cours duquel un noyau lourd, à la suite de l’absorption d’un neutron, se scinde en deux noyaux plus légers ; ce phénomène s’accompagne d’un dégagement d’une grande quantité d’énergie et de l’émission de neutrons “secondaires” dont le nombre n’est pas encore connu. Joliot sait que, si suffisamment de neutrons secondaires sont émis lors d’une fission, ils pourront induire de nouvelles fissions, qui émettront alors d’autres neutrons engendrant encore de nouvelles fissions, et ainsi de suite. Cet effet boule de neige, appelé “réaction en chaîne”, permettrait ainsi de dégager une quantité considérable d’énergie. Dans sa publication du 18 mars, Joliot indique que :

L’intérêt du phénomène observé comme étape vers la production de chaînes de transmutation exo-énergétique est évident. Cependant, pour établir une telle chaîne, il faut que plus d’un neutron soit produit pour chaque neutron absorbé. Cela semble être le cas […].

Vue d’artiste d’une réaction en chaîne

La prochaine étape pour Joliot (et non des moindres) est de déterminer le nombre de neutrons émis lors d’une fission d’un noyau d’uranium afin de statuer sur la possibilité ou non d’obtenir une réaction en chaîne. Et c’est à peine un mois plus tard, dans un papier daté du 7 avril 1939 et publié dans Nature le 22 avril, que l’équipe Joliot propose une formule empirique et estime ce nombre à 3,5 ± 0,7. En première approche, on pourrait penser qu’un seul neutron émis serait suffisant pour provoquer une nouvelle fission et maintenir ainsi une réaction en chaîne. Mais en pratique, tous les neutrons émis lors d’une fission n’engendrent pas nécessairement de nouvelles fissions. C’est pourquoi ce résultat, nettement supérieur à un, vient conforter la possibilité d’obtenir une réaction en chaîne. Un résultat détonnant. En réalité, le nombre moyen de neutrons émis lors d’une fission d’un noyau d’uranium (isotope 235) par un neutron thermique est d’environ 2,4 et non 3,5. Malgré cet écart relativement important, provenant d’une erreur d’interprétation des mesures de l’équipe Joliot, la conclusion de leurs travaux demeure valable.

[🤯 Trois possibilités s’offrent aux neutrons qui sont émis lors d’une fission : être absorbés par un noyau fissile et engendrer une nouvelle fission ; être absorbés par un noyau présent dans le “système” sans provoquer de fission ; s’échapper à l’extérieur du “système”. La grandeur caractéristique de l’état neutronique d’un “système” est le facteur de multiplication effectif des neutrons (noté keff). Il peut s’exprimer comme le rapport du nombre de neutrons produits par fission sur le nombre de neutrons perdus par absorption et par fuite keff = production / (absorption + fuite).

  • Si keff = 1, le système est dit “critique”, la réaction en chaîne s’auto-entretient. C’est l’état recherché dans les réacteurs nucléaires (hors démarrage ou variation de puissance) ;
  • Si keff < 1, le système est dit “sous-critique”, la réaction en chaîne s’étouffe. C’est l’état recherché dans les installations du cycle du combustible ou les transports de substances radioactives ;
  • Si keff > 1, le système est dit “surcritique”, la réaction en chaîne s’emballe. C’est le cas lors d’un accident de criticité ou l’état recherché dans une bombe nucléaire. 🤯]

🐓 Des brevets pour marquer l’histoire

Frédéric Joliot-Curie, Hans Halban, Lew Kowarski et Francis Perrin venu renforcer l’équipe ont bien compris que ces quelques neutrons secondaires ouvrent d’immenses perspectives. Au début du mois de mai 1939, ils ne déposent pas moins de trois brevets d’invention en quatre jours au nom de la Caisse Nationale de la Recherche Scientifique (l’un des ancêtres de l’actuel CNRS) à laquelle ils ont cédé leurs droits. Les premiers paragraphes de ces brevets (cf. extraits ci-après) illustrent la clairvoyance de cette équipe sur les applications possibles de la réaction en chaîne : contrôlée à des fins de production d’énergie ou non contrôlée à des fins explosives.

Frédéric Joliot-Curie, Hans Halban et Lew Kowarski jouant leur propre rôle lors du tournage du film “La bataille de l’eau lourde” (1947) ©source

Premier brevet — Dispositif de production d’énergie

Le premier brevet, intitulé Dispositif de production d’énergie, est déposé le 1er mai 1939. Il présente un “dispositif” permettant d’initier et de contrôler une réaction en chaîne afin d’en récupérer l’énergie produite, autrement dit un “réacteur nucléaire”. Ce brevet décrit les principes de fonctionnement du dispositif qui sont encore d’actualité sur les réacteurs d’aujourd’hui, par exemple :

  • la quantité d’uranium nécessaire dans le dispositif pour maintenir une réaction en chaîne : la masse critique ;
  • le ralentissement des neutrons avec des éléments légers comme l’hydrogène, le deutérium ou encore le carbone : le modérateur ;
  • l’extraction de l’énergie produite par convection via une circulation d’eau ou de gaz à travers le dispositif : le caloporteur ;
  • l’utilisation d’un caloporteur assurant également le rôle de modérateur : les filières de réacteurs à eau légère ou à eau lourde ;
  • l’utilisation d’un caloporteur permettant l’injection d’éléments absorbants : les poisons neutroniques ;
  • l’absorption des neutrons via l’insertion d’éléments métalliques comme le cadmium : les grappes de contrôle ;
  • l’amorçage de la réaction en chaîne à l’aide d’une source de neutrons composée de radium et glucinium (ancien nom du béryllium) : les sources de démarrage “α-béryllium”.

La profondeur des concepts évoqués et la pertinence d’un grand nombre des propositions qui sont présentées en font un brevet visionnaire à bien des égards.

Premier brevet déposé par l’équipe Joliot le 1er mai 1939 (page 1/5) ©source

Deuxième brevet — Procédé de stabilisation d’un dispositif producteur d’énergie

Le deuxième brevet, intitulé Procédé de stabilisation d’un dispositif producteur d’énergie, est déposé le 2 mai 1939. Il décrit différentes méthodes pour contrôler la réaction en chaîne que l’on ne détaillera pas ici car d’un intérêt plus limité.

Troisième brevet — Perfectionnement aux charges explosives

Le troisième brevet, intitulé Perfectionnement aux charges explosives, est déposé le 4 mai 1939. Il décrit les principes permettant la mise au point de “charges explosives” via une réaction en chaîne non contrôlée pour des travaux de mines, des travaux publics ou des engins de guerre, autrement dit des “bombes nucléaires”. Ce brevet revient largement sur la notion de “masse critique” et propose des solutions pour atteindre et dépasser les conditions critiques nécessaires à une explosion nucléaire, par exemple :

Au moment où l’on désirera faire fonctionner la charge explosive […], on réalisera les conditions constitutives de la masse explosive, c’est-à-dire par exemple que :
a. si la masse est en plusieurs parties distinctes (en deux hémisphères distincts notamment) on rapprochera l’un de l’autre ces deux hémisphères,
b. si la substance constituant la masse est rassemblée sous une faible densité, on augmentera cette densité, par compression notamment, […].

Les techniques dites de l’insertion (proposition a) et de l’implosion (proposition b) évoquées dans ce brevet seront utilisées respectivement dans la conception des bombes nucléaires à base d’uranium (e.g. Hiroshima) et à base de plutonium (e.g. Nagasaki). Ce brevet mentionne également la possibilité d’utiliser des explosifs conventionnels pour “rapprocher” ou “comprimer” rapidement les masses afin d’amorcer l’explosion nucléaire, technique qui sera également mise en œuvre.

Ainsi, ce brevet décrit le principe des bombes nucléaires et propose des solutions techniques qui seront adoptées dès la conception des premières bombes nucléaires (mais développées indépendamment des travaux français restés secrets). Cependant, ce brevet n’est pas viable en l’état dans la mesure où il retient comme “masse explosive” de l’uranium naturel. Or, il n’est pas possible d’obtenir les conditions d’une explosion nucléaire avec de l’uranium naturel, ce que l’équipe Joliot ignore à ce moment-là.

Si l’apport des travaux français dans l’obtention d’une réaction en chaîne contrôlée (cf. premier brevet) est considérable, il l’est moins pour la réaction en chaîne explosive (cf. troisième brevet). La publication qui fera date dans ce domaine est le Mémorandum de Frisch-Peierls, rédigé en mars 1940 par Otto Frisch (neveu de Lise Meitner) et Rudolf Peierls, deux physiciens de confession juive réfugiés en Angleterre. Ce mémorandum secret démontre la possibilité de réaliser une bombe nucléaire avec de l’uranium 235 (et non de l’uranium naturel).

Troisième brevet déposé par l’équipe Joliot le 4 mai 1939 (page 1/4) ©source

Après les trois brevets de mai 1939, Halban, Joliot et Kowarski déposent un an plus tard (cette fois en leurs noms) deux nouveaux brevets.

Quatrième brevet — Perfectionnement aux dispositifs producteurs d’énergie

Le quatrième brevet, intitulé Perfectionnement aux dispositifs producteurs d’énergie, est déposé le 30 avril 1940. Il indique que l’utilisation d’uranium “enrichi” en son isotope 235 favorise les conditions pour obtenir une réaction en chaîne. Ce brevet se fonde sur une affirmation du brillant Niels Bohr, mentionnée dans sa publication majeure du 1er septembre 1939 sur les mécanismes de la fission, qui stipule qu’une grande partie des phénomènes de fission est raisonnablement attribuable à l’isotope rare de l’uranium : l’uranium 235. Dans ce brevet, Joliot précise que le principe de l’enrichissement pourrait être appliqué aux deux premiers brevets relatifs au dispositif de production d’énergie, posant ainsi les bases des réacteurs à eau légère (technologie majoritairement utilisée aujourd’hui). Il est à noter qu’aucune mention aux charges explosives n’y est faite.

Cinquième brevet — Perfectionnements apportés aux dispositifs de production d’énergie

Le cinquième brevet, intitulé Perfectionnements apportés aux dispositifs de production d’énergie, est déposé le 1er mai 1940. Il présente des principes géométriques pour la conception des cœurs de réacteur nucléaire.

🛑 Des préparatifs au coup d’arrêt

Les progrès de l’équipe Joliot sont tels que la réaction en chaîne est probablement à leur portée. L’expérience tant attendue consistera à réaliser une réaction en chaîne contrôlée au sein d’un dispositif utilisant l’eau lourde comme modérateur et l’uranium naturel comme combustible. Mais l’équipe du Collège de France ne dispose ni d’eau lourde ni d’uranium. Le hic.

Le 4 mai 1939 (date de dépôt du troisième brevet), Joliot contacte l’Union Minière du Haut-Katanga (UMHK) pour acquérir de l’uranium. Il s’en procure cinq tonnes dès le mois de mai 1939 puis trois tonnes supplémentaires en mars 1940 qui feront l’objet d’une rocambolesque exfiltration (👉 Des bagages radioactifs #1). En ce qui concerne l’eau lourde, c’est auprès de la Norsk Hydro que Joliot en obtient environ 185 kg en mars 1940 à la suite d’une mission en Norvège de très haute volée (👉 Des bagages radioactifs #2). Si l’équipe Joliot semble prête, le destin va en décider autrement…

En effet, l’invasion de la France par l’armée allemande à partir du mois de mai 1940 met un tragique coup d’arrêt aux recherches menées au Collège de France. Néanmoins, quelques scientifiques français vont poursuivre ces travaux à l’étranger durant toute la guerre afin de maintenir une présence française dans ce domaine aussi stratégique qu’est le nucléaire (mais ceci est une autre histoire).

🚀 Épilogue

Dès la découverte de la fission nucléaire, Frédéric Joliot-Curie et son équipe furent à la pointe des recherches dans ce domaine. Les travaux pionniers qu’ils menèrent dans la quête effrénée de la réaction en chaîne, qu’elle soit contrôlée ou non, firent l’objet de plusieurs articles de référence publiés dans la célèbre revue britannique Nature et d’une remarquable série de brevets d’invention déposés en mai 1939. Mais si les Français menaient la course atomique jusqu’au printemps 1940, l’invasion de la France allait totalement rebattre les cartes.

Risquons-nous à dire (avec une pincée de chauvinisme) que sans ce tragique aléa, le premier réacteur nucléaire de l’histoire aurait probablement été français. L’histoire retiendra la pile CP-1 construite aux États-Unis en 1942 par l’équipe d’Enrico Fermi. Le premier réacteur français ne vit le jour qu’après-guerre avec la divergence de la pile Zoé en 1948.

Les avancées majeures de Fermi, Szilard et consorts réalisées pendant la Seconde Guerre mondiale dans le cadre du projet Manhattan n’enlèvent rien aux travaux pionniers de l’équipe Joliot, dont les brevets en sont une trace indélébile. Si le caractère visionnaire de ces brevets ne fait aucun doute, le tournant de l’histoire s’est indubitablement joué outre-Atlantique.

Ce jour-là, des atomes ont écrit l’histoire.

💡 Sources (Redde Caesari quae sunt Caesaris)
Leo Szilard, Improvements in or relating to the Transmutation of Chemical Elements, Patent GB630.726, Application Date 1934.
Frédéric Joliot, Preuve expérimentale de la rupture explosive des
noyaux d’uranium et de thorium sous l’action des neutrons, Compte rendu de l’Académie des Sciences, Séance du 30 janvier 1939.
Hans Halban, Frédéric Joliot, Lew Kowarski, Liberation of Neutrons in the Nuclear Explosion of Uranium, Nature, Volume 143, 1939.
Leo Szilard, Walter H. Zinn, Instantaneous Emission of Fast Neutrons in the Interaction of Slow Neutrons with Uranium, Physical Review, Volume 55, 1939.
Herbert L. Anderson, Enrico Fermi, Henry B. Hanstein, Production of Neutrons in Uranium Bombarded by Neutrons, Physical Review, Volume 55, 1939.
Hans Halban, Frédéric Joliot, Lew Kowarski, Number of Neutrons liberated in the Nuclear Fission of Uranium, Nature, Volume 143, 1939.
Hans Halban, Frédéric Joliot, Lew Kowarski, Energy of Neutrons liberated in the Nuclear Fission of Uranium induced by Thermal Neutrons, Nature, Volume 143, 1939.
Niels Bohr, John A. Wheeler, The Mechanism of Nuclear Fission, Physical Review, Volume 56, 1939.
Bertrand Goldschmidt, L’aventure atomique, Fayard, 1962.
Bertrand Goldschmidt, Pionniers de l’atome, Stock, 1987.
Bernard Fernandez, De l’atome au noyau : Une approche historique de la physique atomique et de la physique nucléaire, Ellipses, 2006.
Paul Reuss, L’épopée de l’énergie nucléaire — Une histoire scientifique et industrielle, Collection Génie Atomique, EDP Sciences, 2007.
Paramètres influençant le bilan neutronique, Site internet irsn.fr, 2012.

Dans L’épopée de l’énergie nucléaire, Paul Reuss, physicien et neutronicien émérite, revient sur l’histoire scientifique et industrielle de l’énergie nucléaire. Un ouvrage très pédagogique et d’une grande clarté.

--

--

Bertrand Pelloux
Une brève histoire de l’atome

Passionné d’histoire, de géopolitique et de physique nucléaire, je vous propose un voyage ludique au cœur de l’incroyable épopée de l’énergie nucléaire.