Être Ensemble et se réaliser grâce au numérique?

Partie 3/3 Les réseaux sociaux génèrent-ils de bonnes relations?

Laila Ducher
Weeprep
12 min readSep 19, 2017

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By Erwan Sellin/ Weeprep Copyright® 2017, All rights reserved

Dans les volets 1 et 2 d’Être ensemble et se réaliser grâce au numérique nous avons tenté de comprendre les déterminants d’une bonne relation ainsi que les raisons de notre profonde solitude.

Les réseaux sociaux, bien que plébiscités, sont bien souvent critiqués car considérés comme un frein aux relations interpersonnelles.

Croyons-nous réellement en leur pouvoir de rassembler des personnes durablement?

Dans cet ultime volet, nous allons ici tenter de comprendre ces outils, les critiquer et donner quelques clés afin que chacun d’entre vous puisse en tirer un maximum de bénéfices dans son rapport à autrui, mais aussi à soi.

1. La vision pessimiste des réseaux sociaux freine les gens à aller à la rencontre d’autrui de façon peu “conventionnelle”

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à chaque fois que nous évoquons les réseaux sociaux c’est souvent sous un angle négatif, pessimiste. En effet, on considère souvent que les technologies de communication conduisent nécessairement à la désinformation des personnes. Ceci est peut-être la plus grande croyance irrationnelle de notre temps, en tout cas je le pense très fortement.

La révolution technologique que nous vivons est perçue comme étant antihumaniste. Cette vision pessimiste insiste aussi sur le fait que les réseaux sociaux ne sont en rien générateurs de liens sociaux, bien au contraire, nous sommes passés de rencontres physiques avec nos interlocuteurs à des rencontres virtuelles. Les êtres sont hyper connectés, communiquent mais sont séparés les uns des autres.

Comme je l’ai expliqué dans le volet 1, pour bâtir des relations interpersonnelles de qualité et durables avec des gens, il faut les rencontrer à plusieurs reprises et apprendre à les connaître.

Cette vision pessimiste met aussi l’emphase sur un point important: la manipulation identitaire. Les individus peuvent désormais superposer une identité virtuelle à leur réelle identité, ce qui n’est pas sans danger pour les personnes fragiles.

Il y a aussi des théories qui affirment que si les individus ont de plus en plus recours aux réseaux sociaux c’est parce que beaucoup d’entre eux se sentent seuls.

A travers les réseaux sociaux, l’être ensemble est substitué par l’interactivité, ce qui contribue à des relations très nerveuses, rapides et peu engageantes.

Alors, sur les réseaux sociaux on s’improvise politologue, sociologue, bref toute profession qui finit en ogue ou iste face à certaines informations que l’on a glanées ici et là, on agit de façon réactionnelle en cliquant sur la bonne émotion, on donne son avis, sans avoir forcément de recul.

On n’éprouve plus de gêne, plus de honte, on y va, la parole est débloquée, le monde est à nous, pourquoi s’en priver, après tout à quoi cela nous engage, nous n’avons rien à perdre, tout à y gagner.

Et, ces réactions peuvent effectivement créer l’illusion que l’on communique avec autrui

D’autre part, il réside une immense peur de ces technologies, et du développement de l’intelligence artificielle. En effet, l’idée que les Hommes seront bientôt remplacés par des machines dont l’intelligence les dépasse largement reste assez répandue dans l’opinion commune.

Ces réseaux sociaux sont de gigantesques hubs d’informations sur les individus. La peur, sans doute justifiée d’être fiché, catégorisé et d’être réduit à un simple statut de consommateur, ou être considéré comme un potentiel criminel est présente chez la plupart des utilisateurs ou non-utilisateurs. La crainte de ne plus maîtriser ses données personnelles est ce qui freine les personnes à s’inscrire sur les réseaux sociaux.

Nous sommes enclins aussi à associer Internet et les réseaux sociaux aux valeurs du libéralisme: ouverture sur le monde, échanges commerciaux, ouverture à de nouveaux marchés etc.

On a tendance à un peu détester ses concurrents quand on avait l’habitude d’avoir une vie d’entrepreneur pépère, on travaillait avec les mêmes fournisseurs, nos clients nous étaient fidèles, nos méthodes de travail variaient très peu, on n’avait pas trop besoin de se remettre en question. Avec l’Internet, le monde des affaires est bousculé, car désormais, le monde est plus grand.

2. La vision Optimiste des réseaux sociaux accélère les rencontres avec autrui

En ce qui concerne la vision optimiste, l’idée qu’Internet est incontournable, et que grâce à lui le monde sera meilleur car il améliore la qualité de vie des Hommes reste assez persistante.

L’arrivée de l’Internet a fortement réduit les déplacements liés aux accomplissement de tâches et a donc modifié notre rapport au temps. Cela a augmenté les libertés des uns et des autres. Nous pouvons aujourd’hui jouir de plus de temps, et nous en profitons pour augmenter nos loisirs. En théorie…

Mais en même temps, on court toujours après le temps… ;-)

D’autre part, pléthore d’applications sont mises à disposition des personnes pour les aider à faire de nouvelles rencontres et à tisser de nouveaux liens, mais aussi à les aider à garder le contact avec leurs proches (amis, familles) qu’ils n’arrivent pas à voir régulièrement pour de nombreuses raisons: manque de temps, éloignement géographique etc.

Ces réseaux sociaux permettent en outre d’unir les populations du monde , et de regrouper les nations, des communautés de façon virtuelle et à la fois réelle.

Ce qui caractérise ces réseaux sociaux c’est la convivialité et l’accès au savoir, ceci contribuerait à rapprocher les personnes entre elles.

Plus les communications sont facilitées et plus les gens parviennent à aller au contact des uns et des autres. C’est en cela que les réseaux sont puissants.

Les gens sont mobilisés ensemble et peuvent provoquer des changements profonds: la réflexion collective (crowdsourcing) a permis d’innover dans différents secteurs. Le crowdfunding permet de collecter des fonds rapidement pour différents projets d’entreprise ou d’intérêt général: financer des soins médicaux pour les plus démunis, collecter des fonds pour des actions humanitaires, des causes telles que les violences faites aux plus fragilisés, créer des projets écologiques; faire avancer la recherche autour de maladies orphelines, les exemples ne manquent pas.

D’autre part, nous pouvons supputer que ces rencontres (l’union fait la force) ont redistribué les pouvoirs au sein des sociétés. Les politiciens ne peuvent plus faire leurs affaires loin du regard du citoyen, car aujourd’hui tout se sait, et tout se communique à la vitesse de la lumière, les exécutifs nous doivent désormais des comptes.

3. L’intérêt à lui seul peut-il permettre de rassembler des personnes et favoriser de bonnes relations?

Qu’ai-je à gagner si je vais à ta rencontre?

Les réseaux sociaux ont-ils vraiment changé les comportements des personnes vis-à-vis d’autrui? Ont-ils simplement déplacé voire même renforcé le problème dans un espace virtuel?

La Silicone Valley, le berceau de l’industrie des technologies de pointe basé en Californie, là où Google, Facebook, Twitter et bien d’autres ont vu le jour, a plutôt décidé que l’intérêt unissait les gens.

En effet, tous les réseaux sociaux, les plateformes numériques collaboratives, participatives, de partage, de rencontres sont dédiées au marketing, d’un produit, ou de soi.

La plupart des relations qui s’y construisent sont des relations “d’affaires”.

Chaque réseau social a ses propres codes de conduite et condition de mise en relation. L’internaute est conditionné par tout un univers pour adopter de nouveaux comportements face à autrui, dans le but de favoriser des interactions, des rencontres.

Vous allez devoir pourtant donner de votre personne pour que les autres finissent par s’intéresser à vous, comme dans la vraie vie…

Les réseaux sociaux ne sont pas aussi simples à maîtriser pour bâtir des relations avec les autres. Il faut prendre le temps de les appréhender en observant ce qui s’y joue pour vous.

Ce n’est pas l’outil finalement qui compte, c’est l’usage que vous allez en faire!

Alors, il faut liker, twitter, partager, commenter les contenus de vos interlocuteurs si ces derniers vous paraissent pertinents. Plus vous adoptez ces nouvelles modalités de la relation et plus vous vous faites remarquer. Vous devenez un acteur assidu des réseaux sociaux et donc on a envie de devenir votre ami. Le terme ami ici ne revêt absolument pas son sens originel. Ami signifie chez Facebook ou ailleurs, devenir membre d’une communauté. Ne vous fiez pas aux apparences!

Liker c’est reconnaître, partager c’est être généreux, commenter c’est montrer son intérêt, ses émotions. Sauf que dans nos relations à autrui, nous ne faisons pas ces choses aussi directement, à moins d’être complètement cinglé, nous évaluons nos interlocuteurs (dans notre for intérieur ou après coup auprès nos meilleurs amis!).

La transaction est ce qui fait vivre la relation à autrui dans les réseaux sociaux.

Je te donne, alors tu me donnes

Ajoutons aussi que l’Homme est un animal politique, il aime influencer, c’est sa nature.

Les influenceurs, sont des leaders d’opinion, et ont donc tendance à créer et délivrer des contenus à leurs followers, leurs contenus deviennent ensuite un prétexte aux interactions.

Comme dans l’exemple que j’ai présenté dans le volet numéro 2 l’effet de contagion, si vous êtes un bon influenceur, vos contenus, vos commentaires feront l’unanimité très rapidement et seront partagés au plus grand nombre, ce qui renforcera votre réputation, la fameuse “bonne réputation” que l’on attribuait aux personnes de confiance dans les villages.

Vous avez bâti une communauté, peut-être même plus, un empire, qui servira votre intérêt parce que désormais vos idées, vos valeurs sont sienne.

Et, tant qu’il y aura des influenceurs, il y aura des suiveurs…

Les membres de cette communauté composée de parfaits inconnus vont pouvoir se rencontrer dans la vraie vie, et aller plus loin ensemble dans un cadre strictement professionnel ou bien amical.

Cela arrive… Cela m’est arrivé, mais quel parcours, et quelle charge de travail cela m’a demandé! Mais je ne regrette pas une seconde.

Comme à l’école, comme au travail, nous devons toujours prouver à nos évaluateurs que nous sommes compétents. Les réseaux sociaux n’ont donc pas éliminé cet aspect compétitif et évaluatif qu’exigent parfois les relations humaines, bien au contraire, ils l’ont même renforcé…

Là où nous pouvons critiquer cette forme de relation à autrui c’est sur son aspect séduction. La séduction est partout justement parce que les contenus sont sans arrêts évalués, ce qui signifie que les internautes passent leurs temps à juger les gens à travers leurs contenus et leurs réactions.

D’autre part, réaction n’est pas réflexion… les réseaux sociaux peuvent être des lieux de règlements de compte, de jugements arbitraires, d’insultes d’une extrême violence. Parce que le “Moi, je sais mieux que toi” est très présent.

C’est assez éreintant à la longue…

Séduction… narcissisme… quand tu nous tiens…

Nous nous mettons en scène, et nous nous rendons parfois bien ridicules. Vous me direz, le ridicule ne tue pas… On n’a plus rien à perdre puisque de toute façon tout le monde le fait… Encore ce maudit effet de contagion…

On met même en scène son café du matin, son repas que l’on a fait soi -même, ou issu tout droit d’un restaurant qu’on aime parce qu’il est étoilé… “Food porn” ça s’appelle…

By Erwan Sellin/ Weeprep Copyright® 2017, All rights reserved

On se met en scène, on aime dire à la planète entière:

hé oh j’existe, je suis là, regarde moi comme je suis si heureux, si épanoui…

Tout cela au demeurant s’apparente à une forme de…racolage.

Tant et si bien que si on ne se montre pas, on a le sentiment d’avoir une vie insipide, sans valeur, inintéressante, insignifiante. Effet de contagion quand tu nous tiens…

Je ne sais pas si cela se passe ainsi dans la vie réelle. En situation de relation interpersonnelle, les gens sont davantage réservés, et bienveillants…Tout autant d’éléments qui permettent de construire des relations plus apaisées, plus vraies, moins fondées sur:

Je suis meilleur que toi, et regarde comment je vais te rendre jaloux, ou susciter ton envie, ton intérêt, ton attention…

Sur les réseaux sociaux les interactions sont forcées par des stimuli incessants.

Il faut pourtant croire que c’est une recette qui fonctionne très bien, parce que les êtres humains sont un peu voyeurs et fainéants sur les bords, et ça, tout le monde le sait.

Vous pouvez attirer des millions de followers rien qu’avec une vidéo ridicule d’un chat ou d’un singe en train de faire des bizarreries car elle va susciter des émotions chez autrui, le divertir, le détendre.

Peut-être parce que nos vies sont ennuyantes, monotones et nous avons besoin de décompresser, cela mange pas de pain, cela ne nous engage pas de “liker” et partager ce type de contenu.

Quand je pense que je m’embête à écrire des articles longs sur Medium pour que les gens me lisent et communiquent avec moi… Je me donne bien du mal pour créer du lien ;-)!

Ces réseaux sociaux offrent des services aux gens, et les gens s’en saisissent comme ils se saisiraient de n’importe quel outil pour “améliorer leur quotidien”.

En leur âme et conscience.

Alors gardons-nous de nous positionner en donneurs de leçons.

4. Conclusion

Il semblerait que les réseaux sociaux favorisent davantage le narcissisme secondaire des utilisateurs. Les comportements vis-à-vis d’autrui sont souvent intéressés, ce qui peut biaiser les relations dès le départ.

Ce n’est pas tant l’outil qui est en cause, mais l’usage que nous en faisons par notre méconnaissance des déterminants des bonnes relations. Les intérêts de chacun d’entre nous ne sont pas les mêmes.

Il est évident qu’être ensemble rend les gens plus heureux. Pourtant, les relations durables sont complexes à bâtir en l’absence d’intérêt commun autant dans le monde virtuel que dans la vie réelle.

Accéder à autrui par les réseaux sociaux est n’est pas aussi simple. Les communicants ne me contrediront pas, conquérir un coeur suppose de faire des efforts, travailler sur soi, se connaître, rester authentique, aligné, se remettre en question.

Les réseaux sociaux, bien que critiquables à bien des égards, parviennent à palier ce problème de l’isolement des personnes, en facilitant la communication entre les personnes. Il existe une variété de liens sociaux dans ces réseaux: forts, faibles, instrumentaux et émotifs. Leur maintien dépend d’une coordination d’interactions qui ont lieu dans le monde virtuel ou réel.

Un rapport assez ancien sur Internet de l’UCLA (2000), révélait que 12,4% des utilisateurs disaient avoir rencontré les personnes qu’ils ont d’abord connues sur Internet et que 26,2% n’ont jamais rencontré leur interlocuteur en ligne. ces chiffres ont certainement beaucoup évolué, compte tenu du nombre d’utilisateurs des ces outils qui ne cesse chaque année de croître.

Pour ma part, cette année, je peux vous dire que parce que je suis entrepreneuse et blogueuse, j’ai rencontré une bonne centaine de personnes sur les réseaux sociaux, entre mes lecteurs, mes collègues bloggers, mes concurrents, des communicants etc. J’ai gardé contact, et j’échange régulièrement avec eux, bon nombre d’entre eux m’ont éclairée sur mon projet, m’ont encouragée. Je peux aussi dire que j’y ai bâti quelques amitiés.

Grâce aux réseaux sociaux, on se sent moins seul, c’est certain, et à la fois, pour les utilisateurs aguerris, ce que nous cherchons d’abord c’est d’être en lien avec des communautés, de partager du savoir, tester des idées, demander de l’aide, poser des questions, chercher du savoir, s’exprimer sur les contenus des uns et autres. Toutes ces actions, mènent à la rencontre d’autrui tôt ou tard. On ne peux évidemment pas être ami avec tout le monde, c’est impossible. Bâtir des relations durables est un processus long et complexe et prend du temps, car cela ne dépend pas simplement de nous.

Ces réseaux sociaux sont des outils de communication, chaque fois que nous les utilisons nous devons donc en faire bon usage. En effet, dans ces espaces d’échange où presque tout est permis, il n’est pas aussi simple de gérer sa liberté et de définir ses propres enjeux. Combien d’entre nous ont mis en ligne des contenus personnels compromettants et combien d’entre nous les ont effacés (lorsque c’était encore possible)?

Pour quelle raison j’utilise les réseaux sociaux? Parce que je me sens seul? Cette raison n’est pas suffisamment valable et ne débouchera certainement pas sur des relations durables.

J’utilise les réseaux sociaux, car j’ai besoin d’autrui pour être plus fort, plus efficace, plus intelligent, et pour gagner du temps pour réaliser mes projets, de la même façon qu’autrui a besoin de moi (même s’il ne le sait pas encore ;-)).

Je suis persuadée que les utilisateurs doivent avoir un projet précis qu’il soit personnel, ou professionnel pour délimiter leurs objectifs et leurs propres règles de conduite à l’intérieur de ces espaces intéractionnels.

Si nous utilisons ces réseau sociaux pour des mauvaises raisons alors, nous pourrions tout-à-fait être pris dans un piège infernal.

Il s’avère donc que les réseaux sociaux sont des outils complexes à comprendre, il semblerait davantage pertinent de s’y intéresser à l’école pour que les plus jeunes soient plus armés face au rouleau compresseur. Il ne faut donc pas attendre que les réseaux sociaux changent en profondeur, mais plutôt adopter le bon comportement.

Il y a un élément que nous n’avons pas évoqué dans cet article mais ô combien important, être seul peut aussi être source de bonheur, sans cette solitude, on ne parvient jamais à se connaître, se rencontrer avec son moi intérieur. Cela facilitera notre écoute à l’égard d’autrui et donc notre rencontre avec lui. Il n’y a donc point de rencontre avec autrui si nous ne lui montrons rien de nous, et si nous ne nous intéressons pas à lui.

Pour finir je vous recommande un article écrit par Laetitia Vitaud pour poursuivre cette réflexion sur les réseaux sociaux et je vous conseille par la même occasion de vous abonner à ses publications sur la transformation numérique des grands secteurs de l’économie, vous verrez, c’est très enrichissant et rafraîchissant!

Et puis grâce à Facebook, j’ai pu prendre l’apéro avec elle récemment, c’est magique et c’était une très belle rencontre!

A très bientôt,

Laila Ducher

https://weeprep.org/

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