Bonne fête Maman!
Peut-on continuer à célébrer les mères, sans complexe?
Dans mon pays d’origine (la Belgique) comme dans mon pays d’adoption (l’Italie), le jour de la fête des mères est le premier dimanche du mois de Mai. C’est en faisant part à Laila Ducher d’un fait divers ayant secoué la chronique belge que nous avons démarré ensemble l’écriture de cet article. Il vient à point nommé à quelques jours de la fête des mères en France.
L’histoire est simple, c’est celle d’un directeur d’école qui décide de supprimer le petit cadeau que font les enfants pour la traditionnelle fête des mères et des pères. Il explique sa décision en disant que les familles ont changé, (voir mon précédent article sur les nouvelles familles).
Il poursuit en affirmant que les familles actuelles ne sont plus celles d’hier et que ce petit présent risque de heurter la sensibilité de certains enfants. Entre ceux qui n’ont pas de père, ceux qui ont deux mères, et ceux qui ne voient plus un parent à cause d’un divorce, de maltraitance parentale ou à cause d’un décès, les cas sont nombreux dans les classes. Ce malheureux directeur a reçu des lettres d’insultes, des menaces d’incendie et même des menaces de mort.
Ce qui nous interroge tout particulièrement, ce sont ces réactions excessives et violentes face à la suppression de l’éternel collier de nouilles ou du petit poème récité amoureusement par nos chérubins.
Pourquoi fêter les mères dans les établissements scolaires pose-t-il problème aujourd’hui?
I. Génèse de la fête des mères:
La Fête des mères est une fête universelle, on la trouve partout dans le monde. elle remonte à l’Antiquité où l’on célébrait la Mère des divinités Rhéa.
Aux quatre coins du monde, on fête les mamans à des dates et avec des traditions différentes. Toutes ces fêtes ont le même but : honorer et remercier les mères pour leur abnégation et dévouement à leur famille.
- En France
Grâce à l’article de loi du 24 mai 1950, en France nous célébrons les mères le dernier dimanche de mai. Pourtant, nous constatons que cette fête remonte en réalité au XIXème Siècle. Les mouvements natalistes et familialistes en sont les auteurs. Cette journée d’honneur que l’on consacre aux mères a pris encore plus d’ampleur dans l’entre-deux-guerres, un temps particulièrement meurtrier de notre l’histoire. Le besoin de repeupler le territoire a été tel que seulement les mères de familles nombreuses étaient récompensées pour leurs bons et loyaux services à la Nation.
A l’époque, avec la pression des natalistes, l’Etat condamnait fermement toute vente de produits contraceptifs et mettait en place des mesures financières pour inciter les couples à faire des enfants: allocations et primes d’allaitement.
“Travail, Famille, Patrie” ce slogan nous rappelle les pires pages de notre histoire, la France de Vichy conduite par le Maréchal Pétain. On constate donc qu’il n’est aucunement à l’origine de cette fête, mais le régime de Vichy s’est approprié les thèses des plus fervents natalistes de l’entre-deux-guerres et il va systématiser la célébration de toutes les mères de toutes les communes de France.
Cette fête des mères au cours des années 60 est devenue une occasion d’encourager à la consommation. Nous constatons d’ailleurs que même les mouvements féministes n’ont jamais contesté une telle célébration, bien après que le Régime de Vichy soit tombé. Pourtant, on ne célèbre que les femmes utiles, celles qui enfantent, ce n’est donc pas une fête purement féministe mais infiniment machiste.
La fête des mères est donc bien ancrée dans notre culture parce que dans nos écoles les enfants de maternelle et de primaire confectionnent, ou devrait-on dire confectionnaient de petits cadeaux avec la complicité de leurs professeurs.
2. En Belgique
En Belgique, on célèbre les mères le second dimanche du mois de mai. Il semblerait que, bien que la Belgique soit un pays frontalier à la France, elle ait emprunté cette fête depuis les Etats-Unis d’Amérique et a repris tous leurs codes. (Petit déjeuner au lit, profusion de cadeaux etc.) Pourtant, selon les régions, la fête des mères se déroule le 15 août, fête de Marie (région d’Anvers).
3. En Italie
La fête des mères chez nos amis italiens a lieu aussi le second dimanche de mai depuis le début des années 60. L’Italie est un pays très catholique, comme chacun le sait, c’est d’ailleurs l’occasion de célébrer en même temps la Vierge Marie, reine des mères. A l’école, les enseignants mobilisent leurs élèves autour de la fabrication de petits objets à offrir à leur maman mais aussi de jolis poèmes à leur réciter. La “mamma” est sacrée en Italie, alors quand on la célèbre, on ne lésine pas!
II. Célébrer les mères: entre injonction de la société de consommation et obligation morale
- La fête des mères, le plan diabolique qui fait du bien aux mères mais aussi à notre économie
Le jour de la fête des mères, c’est le jour de dépenser un peu, beaucoup d’argent. Si vous prenez la peine de vous balader entre les rayons des magasins à l’approche de la fête, vous verrez que tout est prêt pour faire plaisir à madame: parfumerie, lingerie, bijouterie, librairie, fleuriste, électroménager. Bref, les idées de cadeaux clé en main ne manquent pas. Les papas, comme les enfants s’en donneront à coeur joie!
Selon un article sur Challenge:
81% des Français pensent à célébrer cette fête chaque année, et 59% offrent systématiquement un cadeau à leur maman à cette occasion.
Selon un sondage européen de Groupon , le prix moyen est de 60 euros en moyenne pour la France -les Français seraient donc moins généreux que les Belges (70 euros) mais plus que les Espagnols (52 euros), et que les Néerlandais (45 euros). Si l’on exclut les enfants âgés de 0 à 15 ans, qui trouvent sans doute plus économe d’offrir colliers de nouilles quasi gratuits et cendriers en pâte à papier “faits maison” à coût zéro, un prix moyen de 60 euros représente un chiffre d’affaires de 1,9 milliard d’euros pour une seule journée de fête.
Le corps de la femme est un symbole de la consommation, il fait vendre tellement de choses…
2. La fête des mères: Le jour où l’on doit leur dire merci par devoir ou par amour?
Mais derrière cet aspect purement économique, il y a aussi le devoir moral de reconnaître leur travail. Ce n’est pas la femme qui est fêtée ici, c’est la mère qui enfante, celle qui élève les enfants, celle qui est utile à la société.
Derrière la fête des mères, il y a l’idée de la sacralisation de la femme dans sa nature et sa fonction: sa capacité à enfanter (fertilité) mais aussi à éduquer et aimer sa progéniture et à organiser sa famille. Cette célébration relève bien plus du rite qu’autre chose, considérant que dans toutes les mythologies, il y a une déesse de la fécondité et de l’amour.
Nous sommes les héritiers de ces rites ou traditions, et les religions monothéistes ont repris à leur compte ces célébrations.
Cette fête est donc guidée par le devoir moral. D’ailleurs, pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir (eu) une mère aimante, bien-traitante, chaleureuse, présente, cette fête des mères pourrait être vécue comme un cauchemar. Les enfants maltraités, ont-ils vraiment envie de célébrer leurs mères?
Fêter les mères est loin d’être un acte désintéressé
On fête les mères car lorsque le taux de fécondité est au plus bas, les Etats mettent le paquet pour inciter les femmes à faire des enfants. Voyez-vous, si la société meurt, on devra avoir recours à l’immigration pour payer les retraites de nos vieux, et puis une bonne natalité, ça fait grimper la consommation.
III. Quelle popularité a aujourd’hui cette fête des mères?
1. Dans les familles “traditionnelles”
Dans un groupe que nous administrons sur Facebook “Des parents et des Idées”, nous avons posé la question suivante à nos très chers membres :
“Recevoir un collier de nouilles fabriqué par les petites mains encore potelées de vos enfants est une grande marque d’amour et de reconnaissance"
Ok, la question semble manipulatoire, nous l’avouons, mais nous souhaitions connaître le degré d’attachement des mères à cette fête.
Sur 21 répondants, un seul d’entre eux exprime un désaccord assez franc avec notre proposition.
Neuf répondants se sont prononcés ni en faveur ni en défaveur de la proposition, et un commentaire a été fait pour justifier cette position du ni/ni:
Je préfère avoir des surprises les jours où je ne m’y attends pas. Au moins ce sont des cadeaux persos et pas guidés par la maîtresse. J’en ai quasiment toutes les semaines et ceux là sont sincères, une vraie marque d’amour…
Nous remercions chaleureusement Alexandra Ha Duong pour la pertinence de son commentaire.
Les autres répondants (les 11 restants), ont clairement exprimé leur accord avec la proposition, soit un peu plus de 50% des répondants.
Donc, clairement, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il existe un attachement particulier à ce cadeau que nos enfants nous confectionnent de leurs petites mains avec amour.
2. Qu’en disent les nouvelles familles?
2.1 Focus sur les familles homoparentales
Les familles homoparentales sont composées de parents homosexuels. Les enfants ont soit deux mamans ou deux papas. Pour la loi, il n’y a qu’un des deux parents qui est le parent “légal”, l’autre est appelé parent “social”. Ce dernier n’a pas de rôle … Même si dans la pratique, le parent social conduit les enfants à l’école, paie la cantine, aide aux devoirs, fait à manger etc.
On pourrait supposer que ce n’est pas spécialement simple du côté parental non plus… Si l’on parle de deux mamans: Qui est la reine du jour? Comment partager la fête en deux? Qui est l’heureuse élue pour recevoir les petites attentions?
2.2 Focus sur les familles monoparentales
On appelle “monoparentale” une famille dans laquelle l’enfant est élevé par un seul parent (père ou mère) et ce, à la suite d’une séparation, d’une absence de reconnaissance du père ou encore d’un décès. Il y a également des personnes seules qui décident d’adopter un enfant. Selon l’INSEE, les mères représentent 85% des familles monoparentales. Dans nos lectures, de nombreux témoignages de mamans solo disent être favorables au petit cadeau fait en classe puisqu’elles ne peuvent pas compter sur le papa pour y penser. A l’occasion de la fête des mères, diverses associations se mobilisent en France pour porter secours aux mères isolées.
2.3 Focus sur les enfants qui ont perdu leur mères
De tous temps, il y a eu des orphelins. Avant, on ne faisait pas trop de sentiment, la différence entre hier et aujourd’hui c’est que l’enfant actuel est une petite personne. Il est important que les adultes soient à l’écoute de ses besoins et de sa sensibilité.
3. Et les enseignants dans tout ça?
Là encore, les réactions sont très diverses… Dans l’Education Nationale, rien ne les oblige à faire quelque chose (poème et/ou cadeau) pour la fête des mères. Chacun a la liberté de le faire ou pas dans sa propre classe. Il y a ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, ceux qui s’adaptent en fonction des années et des situations… Ils ne sont tenus par aucune obligation légale de faire faire des colliers de nouilles à leurs élèves. Les choses sont donc bien claires.
En ce qui concerne les nouvelles familles, certains enseignants disent s’accommoder à la situation et dialoguent avec l’enfant si celui-ci en ressent le besoin. En revanche, gérer la tristesse des élèves orphelins à l’école ne semble pas aller de soi chez quelques enseignants, en effet, quelle posture adopter face à un enfant qui n’est pas tout-à-fait comme les autres, qui ne vit pas nos moments de joie de la même manière? Les enseignants semblent faiblement armés et peuvent parfois être désemparés face aux drames que vivent ces enfants. Ils peuvent faire preuve parfois de maladresse… Tous les enseignants ont été potentiellement confrontés à des orphelins au cours de leurs carrières:
Selon une étude publiée sur le site de France Inter:
“72% des professeurs ont eu un ou plusieurs orphelins dans leur classe au cours de leur carrière.”
Conclusion
Au sujet du petit cadeau dans les écoles, les opinions divergent. Certains sont d’avis de ne pas le faire pour ne pas blesser les enfants. D’autres, en revanche, ne comprennent pas pourquoi, pour préserver la sensibilité de quelques exceptions, il faudrait priver tous les autres enfants de la joie de concocter un petit cadeau pour leur maman.
Rien ne laisse présager, cependant, qu’on retrouve la même hargne chez les parents homosexuels, ou chez les parents solo que celle des parents traditionalistes qui voulaient mettre le feu à l’école pour punir le “méchant” directeur. Dans la littérature consacrée au sujet, il n’est nulle part question d’une quelconque pression exercée par les parents homo et solo pour annuler la fête des mères à l’école.
Il semblerait toutefois que les décisions se prennent au cas par cas, selon les écoles, selon les classes et qu’au final, ce soient les enseignants qui décident de faire ou de ne pas faire le fameux cadeau. Aucun programme de l’Education Nationale ne stipule l’obligation d’en faire un.
Alors des parades ont été trouvées ici et là: il y a des écoles dans lesquelles “la fête des parents” a été instaurée ou encore “la fête de ceux qu’on aime”. Les enfants peuvent alors choisir à qui ils vont offrir leur présent et dire le petit poème qui l’accompagne.
C’est sans doute là que se trouve le point clé… Le poème, le petit cadeau, ça n’a pas de prix. C’est un acte d’amour gratuit, une démonstration de reconnaissance. Ceci dit, ce n’est pas une obligation que de célébrer les mères à l’école et les comportements extrémistes des parents qui exigent de recevoir leur petit cadeau sont nuls et non avenus.
Et comme l’a très justement souligné le directeur qui a inspiré notre propos” “j’ai supprimé le cadeau, pas la fête!” Donc, papas, mamans de France, courez acheter des pâtes, il est encore temps de réaliser un magnifique collier de nouilles à votre dulcinée, si le coeur vous en dit!
Anne Depasse
Article co-écrit avec Laila Ducher