Et si l’intelligence artificielle ne détruisait pas nos emplois ?

L’intelligence artificielle : nouvelle technologie pour améliorer la productivité ou destructeur de 50% de nos emplois ? On fait le point.

Sébastien Louradour
Yellow Vision
5 min readMay 29, 2017

--

Il est bien difficile d’anticiper l’impact de l’intelligence artificielle sur nos emplois. C’est pour faire simple la conclusion de plusieurs nouveaux rapports à propos du débat enflammé qui règne depuis plusieurs mois sur les conséquences des progrès récents de l’intelligence artificielle.

Nos emplois ont peu évolué ces 10 dernières années

L’Information Technology & Innovation Foundation (ITIF) vient enfin de publier un rapport qui va rassurer les gouvernements du monde entier. Après avoir observé l’évolution du marché de l’emploi depuis 1850 aux Etats-Unis, l’ITIF est formelle, la transformation des emplois n’a jamais été aussi faible. Pour eux, la “destruction créatrice”, théorisée par Schumpeter pour qualifier le processus d’innovation, est loin d’être une réalité malgré les multiples voix, notamment en provenance de la Silicon Valley, qui annoncent la fin des emplois dans un futur proche. Pour appuyer ce raisonnement, l’ITIF a étudié la part de destruction d’emplois vs la part de création d’emploi au cours des 16 dernières décennies pour conclure que ces dix dernières années ont été particulièrement plates en termes d’emplois remplacés par des emplois liés aux technologies.

Le rapport conclut en affirmant que le rythme d’innovation actuel des entreprises n’est objectivement pas suffisant, ce qui freine les gains de productivité des entreprises, seul réel moyen d’augmenter la richesses générale d’une économie et de créer des emplois.

50% des emplois détruits ?

Dire que le rapport de l’ITIF va à contre-sens de l’engouement et des craintes suscitées par l’arrivée de l’intelligence de l’intelligence artificielle est un euphémisme.

La liste des études récentes anticipant un impact majeur de l’intelligence artificielle est longue et leurs auteurs font autorité. Et autant dire qu’ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère :

  • En 2013, une étude de l’université d’Oxford prédisait que 47% de 700 métiers analysés aux US pourraient être remplacés par l’automatisation.
  • Le cabinet de conseil Mckinsey annonce dans un rapport publié en janvier 2017 que près de 50% des emplois à travers le monde pourraient être automatisés grâce aux technologies actuelles. Le rapport émet néanmoins une nuance de taille en précisant que 5% des emplois pourraient être totalement automatisés.
  • Le cabinet d’audit PwC annonce de son côté que près d’un tiers des emplois est menacé aux Etats-Unis, en Allemagne et en Grande Bretagne alors que 20% le serait au Japon.

Ne pas sous-estimer la vague de l’intelligence artificielle

Si les annonces de l’ITIF peuvent sembler rassurantes, il est important de rappeler quelques éléments occultés par le rapport. Les progrès technologiques actuels dans le domaine du machine learning notamment sont spectaculaires. Il y a bien sûr la recherche dans le domaine, notamment celle autour d’Alpha go, capable de battre le champion du monde de go mais également les applications concrètes pour Monsieur tout le monde.

Google à lui seul, cumule les progrès dans le domaine de la traduction avec Google Translate, des véhicules autonomes avec Google Car, de la recommandation et la reconnaissance de langage naturel avec Google Assistant… Les progrès en matière de médecine sont colossaux notamment grâce à IBM Watson, l’adaptive learning commence à arriver dans les classes, les calls centers sont équipés de chatbots, les cabinets d’audit et d’avocats peuvent déjà automatiser de nombreuses activités…

Ces progrès technologiques sont-ils comparables à l’arrivée du tracteur dans l’agriculture ? En somme, peut-on comparer les effets de la mécanisation de la précédente révolution industrielle avec les effets à prévoir de l’intelligence artificielle ? C’est en quelque sorte la théorie suggérée par l’ITIF, mais peut-on vraiment mettre sur le même plan mécanisation et automatisation des tâches et capacité sur un champ donné à dépasser l’humain (radiologie, etc.), difficile à ce stade d’y répondre.

Qui croire ?

Entre les partisans du solutionnisme technologique, théorie selon laquelle tout problème peut être résolu par une technologie, et les gouvernements tétanisés à l’idée de devoir affronter la plus grande révolution industrielle de tous les temps dans les 10 prochaines années, il y a peut-être un chemin. Ce chemin est certainement celui de la transformation actuelle des entreprises et des administrations pour intégrer les progrès technologiques actuels. Un chemin certainement plus discret que La France pourrait devenir une colonie des gafales annonces tonitruantes d’un Laurent Alexandre expliquant au sénateurs français que l’Europe va devenir une colonie des GAFA si elle ne fait rien dans les prochaines années.

Ces entreprises qui intègrent les nouvelles technologies

La Fabrique de l’industrie, Think tank présidé par Louis Gallois, a récemment publié un rapport intitulé “Numérique et Emploi, quel bilan ?”. Ce rapport revient sur les termes du débat évoqué plus haut et affirme un principe qu’il ne faut pas occulter :

“Les technologies ne sont pas nécessairement substituables à l’homme au travail, elles sont parfois complémentaires. Elles permettent dans bien des cas aux travailleurs d’accomplir des tâches plus sophistiquées ou plus efficacement”.

Chez Cuisine Schmidt : de 7 à 1 jour pour construire une cuisine

Le rapport cite par exemple l’entreprise Cuisines Schmidt. Grâce à un investissement massif en numérisation et automatisation, l’usine est capable de produire une cuisine en une journée contre 7 avant la transformation de son activité. Le rapport admet que des emplois peuvent être perdus au départ, mais par la suite, cet investissement a permis à l’entreprise de gagner de nouvelles parts de marché, puis un recours à de nouveaux emplois malgré la robotisation de l’activité.

Chez Redex, des salariés responsabilisés et moins épuisés

Le magazine de la CFDT est également aller enquêter auprès des entreprises pour connaître leur perception sur l’arrivée de l’automatisation. Interrogé par le magazine, Bruno Grandjean, Président de la fédération des industries mécaniques et de l’entreprise Redex apporte un regard positif sur l’impact de la robotisation. Selon lui, la robotisation a surtout fait évoluer les métiers. Les compétences attendues des ingénieurs relèvent désormais davantage du management et de l’animation de projets alors que le savoir des techniciens a énormément progressé. Par ailleurs la robotisation a permis de réduire fortement la pénibilité du travail : selon le patron de Redex, il y a 50 ans, l’entreprise ressemblait plus à une salle de musculation tant les tâches étaient physiquement épuisantes.

Conclusion : ne pas se moderniser est le pire danger pour l’emploi

Finalement, la conclusion émise par l’ITIF et la Fabrique de l’Industrie se rejoint : plutôt que de se préoccuper de l’impact en termes d’emplois de l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA), les entreprises devraient plutôt se concentrer sur la modernisation et la digitalisation de leur outil de production pour faire face à la concurrence internationale. La perte d’emploi dans les prochaines années a plus de chances de se jouer autour des entreprises tétanisées par les conséquences possibles de l’IA que de celles qui vont faire le choix de saisir du sujet à bras le corps.

--

--

Sébastien Louradour
Yellow Vision

#French Government Fellow #AI team @WorldEconomicForum #TechPolicy #C4IR