Quel est ton instant zéro? — No Bodies #2

Yumington
Yumington 2015–2016
5 min readOct 31, 2015

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Précedemment :
Garret Pierce a quitté son groupe de parole pour en fonder un nouveau dans un bar. Alors qu’il s’apprête à quitter celui-ci, un homme lui barre la route.
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-Alors Garett Pierce, toujours mort?
C’est ce qu’il dit.

La chose au fond de moi, ou la voix intérieure ou l’instinct de survie appelle ça comme tu veux, me demande comment ce type peut connaitre mon nom.

Il se marre. Et je me marre aussi sans réellement le vouloir. On appelle ça un rire communicatif. Mais ça n’a rien d’un rire véritable. C’est juste une question de neurones miroirs. De l’imitation réflexe. Juste ça, rien de plus.

-Viens, je t’offre un verre Garret.

Il me prend le bras amicalement et je décide de le suivre. Je me dis que c’est juste pour savoir d’où il tient mon prénom et mon nom. Je me dis que c’est de la curiosité presque professionnelle. De l’investigation. Mais je sais qu’en réalité j’ai envie de prendre ce verre avec lui.

Nous nous installons à la table où j’étais moi-même assis il y a quelques instants. Le type commande une bière à la serveuse qui me fait un clin d’œil comme à chaque fois qu’elle me voit. Je choisis la même chose, une Black Bart.

-Et vous c’est quoi votre nom?

Il ne répond rien. Le type est assis là et me regarde sans rien dire. Tout son être transpire un silence épais comme du sirop et m’en enveloppe. La serveuse, nouveau clin d’œil, nous apporte nos verres quelque chose comme cinq minutes plus tard.

-Sais-tu ce qu’est l’instant zéro, Garret?
Non je ne sais pas. Pas encore. A son regard, je comprends qu’il n’attend d’ailleurs pas de réponse.

-L’instant zéro Garret… Ton instant zéro. Tout le monde à un instant zéro.

Il boit une gorgée de sa bière et grimace un dégueulasse. Puis il finit sa chope d’un trait dans l’instant qui suit et fait signe à la serveuse de lui en apporter une autre.

-L’instant zéro. Le diamant de l’existence.
Encore cette impression de petit éclat rouge groseille acidulé qui n’existe pas dans son regard. La même que celle que j’ai remarqué quand il m’a barré le passage.

La chose au fond de moi, ou la voix intérieure ou les souvenirs appelle ça comme tu veux, me catapulte au centre de l’écran de son cinéma.
Je rentre d’une interview, celle d’un chanteur ringard sur le retour parce que le ringard est très tendance. Photos, questions, réponses, alcool. Il m’a parlé de son enfance, de ses succès, de sa ancienne passion pour la cocaïne, de ses cures à répétition, de sa guérison, de sa rédemption, de la fondation qu’il a créé pour lutter contre la drogue et finalement du disque d’or qu’il vient d’obtenir. Il m’a proposé un rail de coke pour fêter ça. Je l’ai décliné.
Je rentre à pied à l’appartement, le temps de laisser s’évaporer la petite dizaine de shots de tequila que j’ai engloutis. Une heure de marche, sous une bruine piquante et vicieuse.
Je compose le code de la porte d’entrée de l’immeuble et monte les escaliers étroits et huileux de crasse.
Je glisse la clé dans la serrure. Je devine le regard la vieille pie de l’appartement d’en face qui scrute mon dos dans son judas.
J’entre dans une pièce rouge Ripolin Coquelicot. Tout tourne. J’imagine que j’ai laissé la porte grande ouverte car à cet instant la voisine déboule dans la pièce et se met à gueuler. Elle rentre chez elle pour appeler les flics. Elle hurle. Tout tourne autour de moi. La voisine gueule toujours et les voisins s’attroupent devant la porte de mon appart. Une femme enceinte s’évanouit.
Je suis au centre de tout ça et les flics arrivent. Deux flics. Un grand black, le genre gentil mais ferme. Sa coéquipière a une tronche de déterrée, tendance j’ai pas dormi de la nuit et j’ai les yeux vagues. Cette femme a un gosse en bas âge malade, je l’imagine, je le sais. Réflexe professionnel. Je vois les veines qui parcourent le blanc de ses globes oculaires. Rouge Dior Beaume Sweetheart.
Les flics veulent m’embarquer. Mais je suis fasciné par mon tourbillon écarlate. Tout tourne. De plus en plus vite.
J’entends vomir derrière moi.
- Monsieur? Monsieur?
Je ne réponds pas.
- Monsieur? C’est vous qui avez fait ça?
Je ne réponds pas.
La femme mère flic me secoue, elle s’énerve.
- Veuillez nous suivre.
Plus de monsieur. Juste un ordre.
Mon tourbillon, mon maelström, rouge sang.
J’ai juste le temps de voir la femme flic sortir son taser. Je vois les deux points, rouge œil de rat albinos, des aiguilles qui me pénètrent dans la chair et qui libèrent leur 40.000 Volts.

-Un homme a deux naissances, Garret. Il y a celle qui t’amène à l’existence. Et il y a celle qui t’amène à la vie. Il a celle que qui fait de toi, par le hasard d’un coup queue, un organisme biologique viable, un animal qui va s’agiter quelques années avant de sombrer dans la nuit. Et puis il y a ta vraie naissance, celle que tu choisis. Celle que tu créée toi même en puisant dans ton propre chaos. Celle que tu choisis. Celle qui fait de toi un être véritablement conscient, absolu. Celle qui fait de toi un être qui ne se contente pas d’exister mais qui vit, réellement. C’est ça ton instant zéro mec. C’est l’instant de ta véritable naissance. Avant cet instant, tu es pour ainsi dire mort. Alors Garret… Toujours mort?

Je l’entends plus que je ne l’écoute. Je sais que je suis toujours au centre de ce maelström rouge vernis à ongles Chanel Holiday. Depuis trois semaine maintenant.

L’homme est parti après avoir avalé son dernier verre.

Un quart d’heure plus tard, entre deux poubelles, je plaque la serveuse contre le mur de briques noires de l’arrière cour du bar et je la saute comme si cela devait être le dernier acte de ma vie.

La chose au fond de moi, ou la voix intérieure ou une prémonition, appelle ça comme tu veux, me souffle que le tourbillon rouge sang ne peut maintenant que s’accélérer.

A suivre…

Le second épisode de cette histoire appartient à la saison 2015–2016 de l’univers narratif transmedia de Yumington. Plus d’infos ici.

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Yumington
Yumington 2015–2016

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