Un an après le Bataclan

Je n’ai plus écrit sur le Bataclan depuis février, et ça ne m’avait pas manqué.

Ecce Homo
5 min readNov 13, 2016

C’est terrible comme on accorde tous une importance démesurée aux dates. 13 novembre ou pas, il ne passe pas une heure sans que je pense au Bataclan et aux victimes à l’heure actuelle. Juste après les attentats, c’était 30 secondes. Puis 5 minutes… Si ça vous parait beaucoup, imaginez que pour d’autres c’est peu. C’est assez fatigant. Physiquement et mentalement, j’ai l’impression d’avoir pris 10 ans depuis un an. Rien de bien grave je vous l’accorde, j’ai les problèmes d‘une personne qui a la chance incroyable de pouvoir vieillir.

En apparence, on a l’impression que rien n’a changé. Mais pour moi, tout a changé. J’ai l’impression que la France est devenue un de ces pays où la menace d’attentat est permanente, mais où tout le monde s’y est habitué. C’est d’une tristesse indicible.

Avec le recul, ce dont je suis peut-être le plus fier le 13 novembre, et ça peut sembler surprenant, c’est que presque personne ne savait ce qui se passait quand les tirs ont commencé au Bataclan. Car ça veut dire une chose essentielle : que les 1500 personnes présentes ne connaissaient pas la guerre, le bruit des armes à feu et les tueries de masse dans leur quotidien. Bref, qu’elles étaient innocentes et insouciantes. Et n’en déplaise à Donald Trump ou à Jesse Hughes, je considère que c’est une force et non une faiblesse. Cette époque pas si lointaine me manque tellement. Aujourd’hui, on connait très bien ce bruit malheureusement, c’est celui d’un ballon qui éclate. Celui de la mort qui arrive. Celui qui indique que vous devez fuir ou vous terrer comme un animal chassé pour espérer survivre.

Cette menace est présente partout, je ne vois même pas comment il est possible de s’en extraire pour un simple citoyen, alors imaginez pour une victime d’attentat. Les attentats sont devenus le sujet numéro un des médias depuis un an. Et pourtant un an après, on a déjà l’impression que dans l’esprit de la plupart des gens, il ne reste que le Bataclan, parce qu‘il parait que c’est un symbole. Vous comprenez, il y a eu plus de victimes. C’est important le compteur des victimes. Les terrasses, le Stade de France et Saint-Denis ? Oubliés ! Des centaines de familles avec enfants se font rouler dessus par un camion le soir du 14 juillet ? Un couple de flics poignardés chez eux avec leur gamin séquestré ? Un prêtre égorgé dans son Église ? Personne ne devrait s’habituer à cette merde, c’est abject.

Mais personne ne sait comment se comporter avec une “victime d’attentat.” Il y a en général deux façons de faire, et je n’arrive toujours pas à savoir laquelle est la pire :

  • Faire comme si de rien n’était. C’est vrai que ce n’est pas si important après tout. Mais si on pouvait juste montrer un peu d’affect plutôt que de suivre tête baissée le cours de nos vies insignifiantes, ce serait pas mal.
  • En faire trop. Vraiment beaucoup trop. Être dans l’excès d’empathie, celui qui met bien mal à l’aise.

Je vous l’accorde, il n’est pas facile de trouver le bon équilibre. Personne ou presque n’y arrive.

Que vous le vouliez ou non, en étant victime de ces attentats, vous vous retrouvez aussi contre votre gré comme faisant partie de l’Histoire de France avec un grand H. À partir de là, plus rien n’est normal dans votre vie. Même si les apparences vous persuadent du contraire, c’est faux. Se retrouver harcelé par des journalistes, être invité à des cérémonies entre Hollande et Valls, être l’objet de l’attention la plus malsaine… Il n’y a absolument rien de normal là-dedans, mais c’est le quotidien d’une victime d’attentat. Et ce n’est pas enviable. C’est pas mal d’être normal, mais c’était avant.

Personne n’a envie d’être connu pour ça. Le 13 novembre 2016, on ne parle que de vous pour de simples raisons de calendrier médiatique. Le 14, vous aurez disparu des radars. Vous êtes un objet à qui sa propre histoire échappe. Vous ne maitrisez plus rien. Vous êtes la victime de service. On se sert de vous comme caution pour vendre des livres, pour soutenir les idées politiques les plus dégueulasses, ou pour gagner quelques points aux prochaines présidentielles. C’est ça l’instrumentalisation. L’exploitation des drames les plus atroces à des fins purement personnelles et cyniques.

Mais parlons un peu de musique, plutôt que de tous les concerts auxquels je ne suis pas allé à cause du 13 novembre. Depuis le Bataclan et le retour d’Eagles of Death Metal à l’Olympia en février, j’ai péniblement assisté à quelques concerts. Je pourrais vous dire que je ne pense pas aux attentats quand je suis à un concert. Ce serait complètement faux, j’y pense tout le temps. Mais il y a eu quelques moments de grâce. J’en ai fait un petite liste personnelle sans aucun intérêt, même si personne n’osera me le dire.

  • Quand Ty Segall a repris L.A. Woman des Doors au Cabaret Sauvage, une salle avec une déco proche du Bataclan. Mais j’ai dansé pour la première fois depuis le Bataclan.
  • Quand Air a joué Kelly Watch the Stars au Bois de Vincennes pour We Love Green. Je crois que j’ai pleuré. Mais c’est mon morceau préféré.
  • Quand Sonic Boom a joué Big City de Spacemen 3 à un festival psychédélique à Angers. Je crois que j’ai plané pour la première fois depuis le 13 novembre.
  • Quand j’ai vu les Warlocks deux fois en huit jours à Paris. Je crois que j’ai pleuré aussi devant Bleed Without You Babe.
  • Quand les Kills ont joué Monkey 23 à l’Olympia et que j’ai encore pleuré au balcon en repensant à leur dernier concert dans la même salle en 2011, quand je pogotais dans la fosse.

Depuis le 13 novembre, je ne peux plus faire plein de choses, mais je peux continuer à écouter Elvis et même rejouer à des jeux violents parce que ça ne ressemble pas du tout à le réalité. Je regarde les parisiens se bousculer pour se tasser dans un métro bondé. C’est l’avantage qu’il y a avoir vu la mort en face : on sait que rien de tout ça n’a de sens et que tout peut s’arrêter d’une seconde à l’autre parce qu’un type en a décidé ainsi. Je sais que tout ça est insensé et ne tient qu’à un fil. J’ai arrêté de chercher des réponses à des questions qui n’en ont pas. J’ai de la chance.

Mais par pitié, arrêtez avec vos injonctions à vivre à tout prix. Jouissez pour vous, mais foutez-nous la paix avec vos symboles. Jouissez tant que vous pouvez, parce qu’avec Donald Trump aux commandes, ça risque de ne pas durer. Si on m’avait dit il y a un an que je survivrais à un attentat pour voir l’élection de ce trou du cul et des people en carton se presser au Bataclan pour voir Sting en concert, je crois que j’aurais bien ri. Aujourd’hui j’ai juste envie de gerber.

Alors oui, tout le monde se souvient de ce qu’il faisait le 13 novembre au soir. Mais non, on ne tourne pas la page, on ne passe pas à autre chose, et non, on n’oublie pas. Vivement demain.

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