Les histoires d’un étudiant sans histoires

Partie 8

Alma Mater
5 min readJan 29, 2018

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Julien était couvert de honte : avant sa libération, ses amis n’avaient pu s’empêcher de se moquer de lui. Outre la mise en scène qu’ils avaient mis en place à l’aide des affaires d’Anaïs, il avait eu le droit à plusieurs remarques sur sa tendance à draguer n’importe qui, à entrer dans le jeu de n’importe quelle fille un tant soit peu séduisante, ou tout simplement à se fourrer dans des situations pas possibles.

Ce fut donc après avoir enfilé quelques vêtements que Julien rejoignit ses camarades dans le salon. Raphaël et Clément se trouvaient assis sur le sol à se moquer encore de lui, alors que sur le canapé se trouvait encore la demoiselle assommée : tel Harry Potter avec sa cicatrice, la douleur de son poignet due à la friction avec les menottes se réveilla face à Voldemort.

En se frottant discrètement celui-ci, il entama la conversation :

« Alors comme ça, Raph, tu as oublié la soirée d’hier ?

-Apparemment, répondit-il sans sourciller. Cela fait quelques heures qu’on est dessus avec Clément à essayer de retracer tout ça, tu sais, comme dans…

-Oui, oui, comme dans Very Bad Trip, tu me l’as déjà dit, s’enquit-il. Mais ce qui m’intéresse est de savoir ce que cela fait de perdre la mémoire comme ça. Dis-moi tout ! »

Raph se gratta le menton marquant ainsi un silence, puis prit parole d’un ton solennel :

« Quand j’y pense, c’est assez troublant. C’est comme si tu traversais une épreuve sans savoir laquelle, comment ou par quel exploit, et que tout le monde en parlait, parce que tu t’es démarqué. En réalité, c’est plutôt flippant… Surtout quand tu ne te démarques pas de la bonne façon.

-Intéressant, lâcha Julien en oubliant presque sa Némésis. Je suppose que tu meurs d’envie de savoir le fin fond de l’affaire… Mais combien es-tu prêt à payer pour avoir les informations que je détiens ?

-Non, non, il y a méprise, j’étais venu faire un plan un trois avec toi et la dingue de derrière, fanfaronna-t-il en la pointant du pouce par-dessus son épaule. C’est dommage, d’ailleurs, j’avais amené des cordes pour te saucissonner. Et si on prend en compte ce qu’elle avait ramené, on se serait sûrement beaucoup amusé… »

Alors que Clément commençait à rire au sarcasme de son collègue, l’ancien détenu commença son récit :

« Très bien, très bien… Mais aucun mot à personne à propos de cette histoire ! » Il prit une bonne inspiration et se lança : « Après que la jeune femme avec qui tu batifolais m’a appelé avec ton téléphone, je suis venu aussitôt pour te chercher. Vous vous étiez assis sur un banc sur les quais près de Jussieu. Juste après que je me suis présenté comme ton ami, elle ne chercha pas plus loin, elle s’en alla en t’insultant. Si cela peut te faire plaisir, elle dégageait une odeur assez… repoussante. »

Cette information fit sourire d’abord Clément, puis Raphaël, non pas par dépit, mais parce qu’à force d’écouter la même histoire, il semblait de moins en moins trouver cela vraisemblable. À force de crier au vomi, on a de plus en plus du mal à y croire…

« Ensuite, j’ai voulu te ramener chez toi, mais tu n’en avais aucune envie. Tu voulais absolument trouver une meuf avec qui tu pourrais t’amuser. » Il fit des guillemets avec ses deux mains. « Mais tu voulais aussi aller danser, alors tu m’as fait tout un cirque pour aller dans une boîte gratuite qui passait de la techno à Montreuil. L’idée ne me déplaisait pas, cependant, j’ai réussi à te convaincre de te changer avant toute chose, alors on est passé par chez toi. Tu as pris une douche, qui était nécessaire selon moi, et tu as pris de nouveaux vêtements. Ensuite, on a pris le Noctilien jusqu’à la boîte. »

Julien sentait son public captivé par sa narration, ce qui lui plaisait énormément.

« Il devait être une heure du matin, lorsque l’on est entré. Après avoir posé nos affaires dans le vestiaire, on est resté une demi-heure ensemble, puis on s’est perdu dans la foule. Ce n’est qu’une demi-heure encore après que je t’ai retrouvé : tu t’étais fait un groupe d’amis sur place. Des rastas à l’évidence ! Oh mais… ! »

Les deux étudiants étaient pendus aux lèvres de leur camarade.

« Tu m’as demandé de te prendre en photo avec eux avec ton téléphone ! Regarde ! »

Après un léger moment de réflexion, Raph attrapa son téléphone qui était dans la poche arrière de son pantalon, et ouvrit l’album. Il découvrit en effet qu’il s’en était servi hier, mais non pas pour prendre une photo, mais bel et bien plusieurs tout au long de cette soirée techno.

Dans un silence religieux, il entreprit de regarder les photos les plus vieilles au plus récentes : sur les premières, ils trouvèrent les fameuses photos de groupe. Raph trônait au milieu d’un groupe d’hommes et de femmes qui portaient, pour la majorité, des dreadlocks, des vêtements amples et des piercings en bois. Ils semblaient tous s’amuser énormément. Sur les photos suivantes, on les voyait danser au rythme de la musique. Après avoir fait défiler quelques photos du bout de son pouce, le téléphone sonna entre ses mains.

La peur lui remonta aux tripes, quand il vit qu’il s’agissait du même numéro que l’appel de cet après-midi. Il n’espérait pas tomber sur le petit copain énervé du dernier appel, mais en même temps, il se devait de lui expliquer sa situation.

Toute personne possède un minimum de compassion, se dit-il dans l’espoir de trouver du réconfort.

Ainsi, réunissant les dernières formes de courage qu’il lui restait au fond de lui, il décrocha avant que Clément le fasse à sa place, puis prit une voix qui lui semblait assurée et forte :

« Allô ? » Un silence. « Bon… Pour commencer sachez que je n’y suis pour rien ! Il se trouve que j’ai perdu la mémoire en ce qui concerne la nuit dernière. Vous pensez peut-être que c’est une excuse facile, mais il se trouve que c’est la réalité. Je la retrace au fur et à mesure, et de ce que j’ai appris, j’ai certes fait des choses pas très, très jolies. Enfin… je n’ai violé personne, ou fait de mal à personne, et je n’ai surtout pas embrassé votre copine ! Quand je dis : Pas très, très jolies, c’est juste que j’ai vomi sur une fille. Enfin, voilà quoi. Bref, sachez que je suis navré et que j’ai juste envie de m’expliquer avec vous ! »

Soudain, un rire sonore et féminin brisa le silence à l’autre bout du combiné :

« Oh oui, s’exprima la femme en riant de bon cœur, je connais cette histoire de vomi, tu me l’as raconté hier soir, Raph ! »

Guillaume Girier

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