Le Moyen Âge, entre mythes et réalités : une vision manichéenne de l’Histoire

HistOuRien
6 min readSep 30, 2016

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L’époque médiévale possède une force évocatrice omniprésente dans notre univers culturel. En effet, rien qu’à sa mention cette période véhicule un ensemble d’idées préconçues tant positives que négatives. Le Moyen Âge demeure une époque nimbée de mystères, de mythes et de légendes qui ont la peau dure. Mais, d’où nous vient cette vision fantasmée qui se retrouve dans nos romans, nos films et nos jeux vidéos? Concernant les idées préconçues dans ces derniers, je renvois mon article qui présentait 5 jeux ayant le Moyen Âge pour toile de fond.

En réalité, il existe deux origines distinctes de notre vision actuelle de l’époque médiévale. Mais avant tout, la démarche même de déterminer une période historique est quelque chose qui impacte grandement la manière de percevoir l’Histoire. Cette division en périodes permet une simplification intellectuelle et une répartition du travail pour les chercheurs qui se spécialisent, à ce moment-là, dans une période précise. Toutefois, cette démarche résulte d’un choix arbitraire de la part des historiens, de dates qui sont désignées comme étant celles d’événements qui auraient marqué une rupture politique, culturelle ou économique (en général) entre deux moments de l’Histoire. Cependant, cette division a des effets “pervers”. En effet, généralement, nous avons dans l’idée que le passage d’une période à une autre est quelque chose de soudain et de révolutionnaire. Dans la réalité, les bouleversements ne s’opèrent jamais en un clin d’œil et il est fort probable qu’il ait fallu du temps avant qu’un petit fermier du fin fond de la Gaule se soit rendu compte d’un changement de régime, en 476 ap. J.C.. Qui plus est, le cadre administratif de Rome avait été conservé et cela n’engendra donc que peu de modifications pour la vie du peuple à proprement parler. Quoi qu’il en soit, on remarque, dans ces moments de mutation, une inertie des pouvoirs locaux qui, finalement, restent dans la continuité de ce qui a précédé. Il faut donc souligner que seuls les puissants proches du pouvoir central furent impactés rapidement et significativement. Les modes de vie ne changeant pas du tout au tout entre deux époques, le peuple n’a donc probablement pas conscience d’une modification majeure et certainement pas de rentrer dans une nouvelle Ère : les empires s’effondrent mais les peuples demeurent. La périodisation de l’Histoire est donc totalement artificielle et, en outre, il faut noter qu’elle est européocentrée n’étant pas applicable à d’autres régions du monde.

La première origine de notre vision d’un Moyen Âge fantasmé découle justement de cette périodisation de l’Histoire. En effet, les bornes temporelles du Moyen Âge ont été définies comme telles : a posteriori, de manière arbitraire et par des érudits. A ceci près que le nom de la période va être posé par ceux-là même qui estiment succéder à celle-ci. En effet, les penseurs de la renaissance vont plutôt colporter une image négative de l’époque médiévale (alors que, selon nos critères actuels, certains de ceux-là faisaient encore partie du Moyen Âge). Ils visaient, de cette façon, à forger l’identité et la supériorité de leur culture en la plaçant en contre-pied avec celle qui, pour eux, l’avait précédée et donc en dénigrant cette dernière. Pour ce faire, il vont désigner la période qui sépare leur époque de l’époque romaine comme étant un “Âge Moyen”, un “Âge sombre” durant lequel il ne s’est passé rien de bon et qui n’a, en fait, été qu’une éclipse entre l’époque florissante intellectuellement et culturellement flamboyante que fut l’Antiquité et son renouveau, la Renaissance qui vient de faire son apparition en s’inspirant du modèle Antique. C’est à cet état d’esprit que l’on doit aussi le nom d’art Gothique, donc, dans la tête de ces mêmes penseurs, d’art barbare pour désigner l’art représentatif de la seconde partie du Moyen Âge.

C’est, en premier lieu, cette vision négative de l’époque médiévale colportée par les penseurs de la Renaissance qui va nous influencer durablement et qui nous fait employer des termes comme “moyenâgeux” pour désigner quelque chose d’archaïque. Voilà d’où nous vient l’image catastrophique du Moyen Âge qui nous poursuit encore de nos jours. Elle met en avant une période sombre, froide, violente et barbare en proie aux injustices, aux famines, à l’ignorance et à l’obscurantisme. Pour en savoir plus sur cette image négative du Moyen Âge, Nota Bene dans sa vidéo “Le mensonge du Moyen Âge” donne un bon résumé des stéréotypes totalement faux qui polluent notre perception de l’époque.

Dans un second temps, c’est dans différents pays d’Europe, au XIXe siècle, que le Moyen Âge va acquérir ses “lettres de noblesse” et va être réhabilité dans les esprits. Cette dynamique fut initiée par le courant romantique et par l’essor des nationalismes dans les différents Etats d’Europe. Le trait est alors toujours grossi mais dans le sens positif, cette fois. L’on met en avant les valeurs de l’héroïsme chevaleresque, de l’amour courtois, de la proximité avec la nature et, particulièrement dans une optique d’Etat nation, les valeurs guerrières idéalisées. De plus, les hommes du XIXe siècle croyaient au mythe considérant que l’Etat nation était apparu au Moyen Âge avec les grandes figures héroïques de l’époque. Encore une fois l’Histoire avait été détournée pour créer une identité en rassemblant les peuples autour du “roman national”. Ce dernier va faire la part belle aux clichés positifs, idéalisant grandement les figures héroïques nationales.

Aujourd’hui, le Moyen Âge revêt donc deux visages distincts. D’une part, celui qui lui avait été dessiné à la Renaissance : une époque sombre, obscurantiste, froide, brutale, en proie aux famines, aux épidémies et à la guerre. Et d’autre part, celui qui lui a été forgé au XIXe siècle : une période idéalisée, héroïque, courtoise et mystérieuse. Bien évidemment, rien n’est jamais aussi simple quand il s’agit d’Histoire. Il faut souligner que l’époque médiévale a duré plus de mille ans (476–1492). Il y a eu énormément de variations et de changements durant cette longue période. Il n’est donc, tout simplement, pas permis de résumer cette époque aussi simplement. Comme je l’avais souligné dans mes articles “Comment rendre l’Histoire attractive” et “Ces jeux qui parlent d’Histoire”, nous pouvons employer la caricature et l’imaginaire médiéval moderne pour amorcer la démarche historique mais en aucun cas cela ne doit être présenté comme la réalité historique. Le Moyen Âge est plus complexe que ce que nous voulons bien penser et il est important pour éviter que l’Histoire soit encore instrumentalisée d’aborder cette époque dans sa pluralité.

Je reviendrai sur cette question dans un prochain article qui s’intéressera plus particulièrement à ces clichés sur le Moyen Âge, qui sont le plus représentés dans les différents médias.

Comme d’habitude, faites-moi part de vos commentaires sur l’article et essayez de trouver des lieux communs erronés qui circulent sur l’époque médiévale.

(image : reproduction de l’oeuvre d’Edmund Blair Leighton, “Lys & Love” par Miriam Peters Rouyer)

Si, comme moi, vous êtes passionnés d’Histoire militaire médiévale, vous pouvez aussi aller voir cette bibliographie non-exhaustive d’Histoire militaire médiévale.

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