Une bataille au début du XVe siècle (2): Le déroulement de la bataille d’Othée (1408)
Outre le contexte historique et les chiffres comptables que nous avons pu passer en revue dans l’article “[…] Retour aux sources de la bataille d’Othée”, les différentes étapes de la bataille nous sont assez familières aujourd’hui. En effet, les auteurs contemporains ont déjà relaté ces faits de manière assez rigoureuse. Toutefois, certaines incohérences dans la description des faits valent la peine d’être soulignées. Nous allons nous pencher sur celles-ci et allons tenter une approche plus matérielle et technique du combat. Toutefois, avant toute chose, il nous faut nous intéresser à l’approche critique des chroniques qui retracent ces événements.
1. Les chroniques de la bataille
Plusieurs chroniqueurs rentrent en ligne de compte dans le cadre de cette étude. Ceux-ci traitent du conflit qui nous occupe et l’abordent selon leur propre point de vue. Il est donc important de les passer en revue pour en exposer les accointances.
Parmi les auteurs qui ont porté leur intérêt sur la bataille d’Othée, l’un d’entre eux semble important à étudier. Jean de Stavelot, chroniqueur liégeois, écrivit deux chroniques, l’une en français et l’autre en latin, couvrant respectivement les périodes de 1400 à 1447 et de 1364 à 1429. La version française constitue la continuation de la chronique de Jean d’Outremeuse. Le manuscrit latin, pour l’époque qui nous occupe, n’est qu’un abrégé de sa forme française. Jean de Stavelot est l’un des chroniqueurs les plus importants pour ce qui concerne le règne de Jean de Bavière, prince-évêque de Liège lors des événements. Pour ce qui porte sur la bataille en elle-même, son récit est peu intéressant. En effet, il apporte beaucoup de détails sans grande importance et passe sous silence certains éléments capitaux tels que la formation exacte adoptée par les belligérants avec la disposition des différentes unités ou la tactique mise en pratique par les princes alliés. Il semble hostile aux révoltés, sans toutefois soutenir le parti de Jean de Bavière et de ses alliés, qu’il considère comme responsables des malheurs du pays de Liège.
Un auteur anonyme écrivit aussi sur le règne de Jean de Bavière. Celui-ci est contemporain des faits. Il aurait suivi le chroniqueur précédent pour son propre récit sans toutefois jamais recopier. Il est possible qu’il se soit référé à une source qu’aurait employée Jean de Stavelot. Il donne davantage de détails concernant la bataille d’Othée en précisant les itinéraires des troupes, les noms des principaux meneurs des armées, en détaillant les lieux où se déroulèrent les faits et en dénombrant les effectifs mis en oeuvre. Cependant, son parti pris affirmé en faveur du prince-évêque lui enlève beaucoup de sa crédibilité. Il faut donc rester méfiant face à ce témoignage.
Corneille de Zanfliet a pendant longtemps été considéré comme employant des sources n’ayant pas encore été utilisées par d’autres et ne nous étant pas parvenues. Toutefois, au regard de son récit, nous pouvons affirmer qu’il n’en est rien. Il semble qu’il ait calqué son œuvre sur le plan du manuscrit de l’anonyme. Toutefois, il y additionne certains éléments qui lui seraient effectivement venus entre les mains par d’autres sources ou par la tradition orale. En outre, pour les parties qui n’étaient pas traitées dans « La chronique du règne de Jean de Bavière », il se fia aux deux versions de celle de Jean de Stavelot. Il alterne entre les reproches envers le prince-évêque pour le massacre de ses sujets et la modération de ses sentiments à l’égard de ce dernier.
Aux côtés de ces chroniques locales, nous trouvons des récits étrangers traitant des mêmes événements. Les chroniques de Flandre sont entièrement en faveur de Jean sans Peur. Elles apportent une description correcte de la bataille en elle-même sans toutefois éviter les erreurs. Des détails sur le cheminement de l’armée bourguignonne et particulièrement les problèmes rencontrés en terre flamande s’ajoutent aux descriptions déjà évoquées. Pour ce qui est des chroniques brabançonnes, Edmond de Dynter et les « Brabantsche Yeesten » ne renseignent que peu d’éléments sur la bataille en elle-même et se montrent hostiles aux Haidroits. Chez les chroniqueurs allemands, le combat n’eut pas grand retentissement. Othée n’est que mentionnée sans grands détails. En outre, par manque d’information, certains exagèrent les chiffres des effectifs. Dans la France, hantée par la querelle entre Armagnacs et Bourguignons, les chroniqueurs se placent vis-à-vis de cette opposition entre les deux grandes dynasties. Certains sont favorables à Jean sans Peur et d’autres lui sont hostiles pour des raisons politiques. Il semblerait que le récit d’Enguerrand de Monstrelet soit le plus complet et le plus crédible. Cependant, celui-ci exagère parfois les faits pour mettre en avant le duc de Bourgogne.
Enfin, nous possédons un témoignage de premier ordre. Celui d’un des protagonistes de la bataille qui rapporte les faits avec beaucoup de détails. Il s’agit de Jean sans Peur, le duc de Bourgogne en personne qui écrit à son frère Antoine de Brabant. Évidemment, ce récit est fortement axé en faveur de celui-ci. Il ne peut en être autrement. Nous décelons ce parti pris notamment dans les estimations quantitatives des contingents en présence. Il fait s’élever le nombre de Liégeois à « au plus » 32.000 combattants et établit les pertes de ses ennemis de 24 à 26.000 morts ce qui est tout à fait exagéré. En outre, il mentionne le fait que les pertes adverses étaient « tous ou la plus grant partie armez » ce qui ne concorde pas toujours avec les autres récits. Notamment, celui de Monstrelet qui écrit que les « assemblées de communes » étaient « petitement armez ». Comme nous pouvions nous y attendre, il exagère les chiffres afin de magnifier sa victoire. Toutefois, pour ce qui est du déroulement des faits, il apporte de nombreux détails intéressants, particulièrement en ce qui concerne les mouvements de troupes et la tactique pratiquée par sa propre armée.
2. En formation de combat
Le comte de Hainaut et le duc de Bourgogne dressèrent leur campement au Sud de Tongres. Le premier avec le comte de Namur plaça son cantonnement dans la région de Russon et d’Herstappe et le second du côté de Oreye et Lens-sur-Geer. Le soir du 22 septembre, les coalisés apprirent que le siège de Maastricht avait été levé. Tandis que, durant la nuit, nous est-il rapporté, les Liégeois décidèrent de prendre l’initiative en surprenant le campement de Guillaume de Hainaut, voulant ainsi le couper de l’appui de son allié et lui empêcher toute défense efficace. Toutefois, tous n’étaient pas de cet avis. Le mambour Henri de Perwez était intimement persuadé que cette tactique n’était pas appropriée pour mettre en déroute un ennemi parfaitement aguerri et mieux équipé que ses hommes. Pour lui, il était préférable d’entamer une guerre d’usure face aux Burgondo-Hainuyers, employant pour cela les places fortes du pays de Liège comme autant de pierres d’achoppement qui auraient dissuadé finalement l’armée alliée de continuer plus avant sa conquête. Mais personne ne voulut l’écouter. La masse des Haidroits était sûre de sa supériorité militaire et voulut en découdre sans attendre la venue de ses alliés. Cependant, le mambour se plia à la volonté de ses hommes et, à regret, conduisit le contingent liégeois hors des murs.
Le matin du dimanche 23 septembre, vers les 5 heures, le rassemblement général fut décrété et la milice se mit en route. Elle emporta avec elle, nous disent les sources, une artillerie de campagne, ribaudequins et couleuvrines, et une « grant multitude de chars et de charètes ». Ceci semble assez étrange dans la mesure où cette expédition était sensée surprendre l’adversaire. Pourquoi alors emporter une lourde cargaison qui ralentit la progression de la troupe et qui rajoute du bruit au fracas que génère déjà un mouvement de pareille ampleur ? Surtout que, en ce début de XVe siècle, les bouches à feu n’avaient pas une grande efficacité, a fortiori en campagne contre des cibles mouvantes, ce qui rendait ce transport plus encombrant qu’il n’était utile. De plus, le transport et la mobilité de ces lourds engins nécessitaient l’existence d’une voirie en bon état. Peut-être les Haidroits avaient-ils finalement décidé d’affronter leurs ennemis en morne plaine, ce qui ne correspond pas à la décision prise initialement.
Le mambour dirigea les opérations. Il fut accompagné par son fils et par Henri de Salm portant l’étendard de Saint-Lambert, symbole de la ville. Ce dernier, par cette allégeance aux Haidroits, s’opposa ouvertement à son père qui était dans le camp ennemi. L’armée d’insurgés avança probablement en colonne. Ouvrant la marche, les gens de traits, plus légers et rapides, ceux-ci pouvaient intervenir contre un éclaireur ou cribler de flèches une troupe approchant, permettant de cette manière au reste du contingent de se replier ou de se déployer en ordre de défense. Ils étaient suivis des cavaliers, unité de choc capable d’agir promptement en cas d’embuscade. Venait ensuite l’infanterie, en l’occurrence le gros de la troupe qui restait extrêmement vulnérable tant qu’elle n’avait pas adopté une formation de combat. Et, en fin de colonne, suivait le charroi qui constituait souvent un frein pour l’armée en marche.
Avertis la veille de la levée du siège, le matin du 23, les princes avaient envoyé leurs « coureurs » pour sillonner le pays et surveiller les mouvements de troupes. Et effectivement, trois heures après son départ de Liège, la milice urbaine arriva à proximité du village d’Othée et fut rapidement repérée par ces éclaireurs burgondo-hainuyers. Les princes coalisés furent alors prévenus de la proximité de l’ennemi et rallièrent leurs hommes pour adopter une position défensive. Des sources administratives nous renseignent que le contingent du duc de Bourgogne comptait dans ses rangs 2.097 hommes d’armes et de 1.078 gens de traits, arbalétriers et archers montés ou piétons. Nous pouvons y ajouter les 80 mercenaires d’Alexandre Stuart. L’effectif du comte de Hainaut, quant à lui, était resté plus vague. Il n’a certainement pas dépassé le nombre de celui de Jean sans Peur. Y. Charlier et Cl. Gaier l’évaluèrent à approximativement 1.000 hommes d’armes, comprenant les gens de Hainaut, de Hollande, de Brabant, ceux du comte de Namur et de Salm, et de nobles liégeois en exil. S’y ajoutaient les membres des milices communales et les fantassins qui étaient estimés à 1.000 combattants supplémentaires, faisant monter le contingent hainuyer à environ 2.000 hommes et celui de l’armée coalisée à plus ou moins 5.000 hommes, 6.000 nous dit Y. Charlier, dont la plus grosse partie était composée de cavaliers.
Le nombre d’effectifs hainuyers semble être en grosse partie revu à la hausse par l’estimation que nous en avons fait, à travers l’analyse du document comptable. En effet, lors de notre analyse de la comptabilité, nous étions arrivés à un total de plus de 2.056 combattants à pied et à cheval étant au service du comte de Hainaut, sans compter les hommes du comte de Namur. Si nous comprenons les effectifs de ce dernier, il est probable que le contingent sous les ordres de Guillaume de Hainaut ait plutôt avoisiné les 3.000 soldats. L’armée rassemblant les troupes du Hainaut et de Namur devait donc présenter un effectif assez proche de celle du duc de Bourgogne. Cela avoisine davantage l’estimation d’une armée totale de 6.000 soldats, proposée par Y. Charlier.
Les troupes des princes se placèrent en position défensive, sur un point élevé, afin de dominer le champ de bataille et de compliquer la progression des Liégeois. D’autre part, les hommes d’armes mirent pied à terre pour se dresser en première ligne de la formation. Cette tactique de la cavalerie démontée découle de l’enseignement tiré des défaites de la cavalerie française durant la guerre de Cent ans. Elle repose sur le fait que les cavaliers ne pouvaient se lancer dans un assaut frontal contre une infanterie hérissée de lances sous peine de s’y retrouver empalés sans grand dommage pour l’ennemi. La formation était regroupée en un seul bloc. Le charroi et les chevaux étaient disposés à l’arrière en un parc. Le comte de Hainaut prit place dans l’aile gauche et le duc de Bourgogne dans celle de droite. Les flancs furent défendus par des hommes de traits.
Il est probable que la troupe des Haidroits ait été composée, quant à elle, de 5 à 10.000 miliciens, nombre qui résulte d’une estimation reposant sur le potentiel militaire de la principauté à l’époque et non pas sur les récits chroniqueurs qui exagèrent grandement la taille de cette armée, la faisant varier de 15 à 50.000. Y sont compris les membres des compagnies de gens de traits. En outre, 5 à 600 cavaliers et une centaine de mercenaires anglais à arc long les accompagnèrent dans l’expédition.
L’armée alliée avait pris place sur une position élevée et la troupe des révoltés avançait vers elle. Mais arrivés à plus ou moins 700 mètres (trois traits d’arc) de la formation ennemie, les Haidroits bifurquèrent vers leur droite et vinrent se positionner sur une éminence à l’Est, Sud-Est de la situation des Burgondo-Hainuyers. Les combattants liégeois prennent ainsi l’avantage du terrain en se plaçant dos au soleil, forçant l’ennemi à combattre avec la lumière dans les yeux. Cependant, ce stratagème n’eut aucun effet sur le cours des événements car le ciel était nuageux ce jour-là. Les révoltés vinrent se placer entre le tumulus d’Othée et une petite dénivellation nommée « Roua dèl tombe », dans laquelle devaient s’accumuler les eaux de pluies et qui vraisemblablement constituait une entrave naturelle à l’avancée des troupes ennemies. De plus, cette position se situait à proximité de la voie conduisant à la ville de Tongres d’où devaient venir des renforts pour l’armée liégeoise.
Cet espoir liégeois de voir intervenir des renforts sur le site même de la bataille, qui rappelons-le ne devait pas initialement se dérouler à cet endroit, tend à prouver que les Tongriens furent prévenus de ce changement de stratégie soudain et nécessaire de la part du mambour Henri de Perwez. Il semble que l’hypothèse d’une modification du plan initial semble se confirmer. En outre, comme nous l’avons déjà mentionné, le transport de bouches à feu, inopportun dans un contexte de surprise, compliquait considérablement les manœuvres durant le combat et nécessitait une infrastructure routière adaptée. Pourtant, dans cette situation de bataille rangée, les bouches à feu montrèrent leur potentiel et forcèrent l’adversaire à prendre l’initiative et à passer à l’attaque. À côté de cela, il serait intéressant de savoir comment les révoltés ont pu emporter leur artillerie et leur charroi jusqu’au sommet de la colline qu’ils occupaient.
Les révoltés durent adopter un plan de bataille assez proche de celui de leurs ennemis. Ils se rassemblèrent, à leur tour, en une seule masse rectangulaire dont la ligne frontale s’articula en trois côtés à la manière d’un trapèze. Le mambour et son fils, « en manière de bons meneurs » d’hommes, vinrent prendre place en première ligne avec les cavaliers démontés et, de toute évidence, aux côtés des bouches à feu. Les compagnies de traits se placèrent au centre avec les miliciens et les flancs furent tenus par les archers anglais. Les chariots furent disposés sur l’arrière et les ailes afin de constituer une palissade de fortune. Depuis leur situation stratégique, les Haidroits durent donner l’artillerie sur leurs ennemis, les forçant, de cette manière, à changer leur stratégie et à passer à l’offensive. Auparavant, le duc de Bourgogne et le comte de Hainaut envoyèrent un émissaire proposer leur reddition aux révoltés. Ceux-ci refusèrent catégoriquement l’offre. La bataille fut à présent inévitable. Après avoir tenu un « brief conseil » avec leurs chevaliers, les deux princes constituèrent une équipée de 400 cavaliers et 1.000 valets ayant pour mission de contourner la position ennemie et de venir surprendre les Haidroits sur leurs arrières. La manœuvre n’échappa pas à l’attention des révoltés. Toutefois, la masse des miliciens pensa à la fuite de ces cavaliers et non à un stratagème de l’ennemi. Le mambour, quant à lui, induit par son expérience, interpréta bien la situation mais n’arriva pas à persuader ses hommes d’opérer une contre-manœuvre en envoyant une troupe de cavaliers pour intercepter le détachement adverse. Cette réaction de la milice témoigne d’un état d’esprit particulier de l’infanterie. En effet, aux yeux des piétons, le cheval ne constituait pas forcément un moyen d’attaque efficace mais semblait surtout représenter un moyen de fuir plus rapidement.
3. Dans la mêlée
Aux alentours de 13 heures, l’armée burgondo-hainuyère commença sa progression vers le sommet du dénivelé. Il semble que la progression des troupes ait été lente. Messieurs Gaier et Charlier trouvent à cela une explication dans le poids des armures des cavaliers démontés. Cl. Gaier renchérit en dépeignant les soldats contraints de reprendre haleine avant de continuer d’avancer. Cela semble un jugement quelque peu hâtif sur ces combattants aguerris qu’étaient les hommes d’armes. En effet, ceux-ci devaient être habitués au port de leur armement, ils y étaient entraînés. En outre le poids des protections de corps n’était pas celui que l’on imagine aujourd’hui si considérable que le cavalier n’aurait su se relever quand il avait été désarçonné. Le poids d’une armure variait entre 23 et 40 kilos. Celui-ci, bien réparti sur l’entièreté du corps, ne constituait certes pas une telle entrave à la progression de la troupe surtout si nous imaginons une discipline « sportive » de la Grèce antique telle que la course hoplitique, qui voulait que l’athlète coure en armure, qui rappelons-le était de bronze, métal plus lourd que le fer des harnois médiévaux. Plus proche de nous, le paquetage de nos militaires doit s’approcher des 25 à 30 kilos et, pourtant, ceux-ci doivent être capables d’effectuer toute une série de prouesses physiques avec celui-ci. Il est donc peu probable que les combattants entraînés, qu’étaient les hommes d’armes, se laissent ralentir si fortement par leur armement défensif.
Par contre, les conditions climatiques, la nature du terrain et, probablement, le pilonnage effectué par l’archerie et l’artillerie ennemies doivent pouvoir expliquer cette lenteur de progression de l’armée alliée. En effet, le poids de l’armure était certainement sérieusement handicapant, non pas en lui-même, mais dans le sol gras et humide de la base de la pente appelée « Roua dèl tombe », là où coulait probablement un fin cours d’eau qui aurait rendu boueux les abords. Si les chevaliers ne s’en étaient pas départis, les gambes d’armure devaient être particulièrement encombrantes pour leur mobilité. D’ailleurs, Monstrelet ne parle pas du poids de l’adoubement mais nous dit que les hommes avançaient « par pauses et reposemens pour le fès de leurs armeures », ce qui pourrait aussi bien suggérer les difficultés que nous venons d’évoquer. La pente a aussi dû compliquer le parcours des combattants. De plus, durant l’avancée bourguignonne, il faut imaginer un véritable affrontement entre les armes à distance. Comme nous l’avons évoqué précédemment, celles-ci sont particulièrement utiles pour réduire le nombre d’ennemis avant le contact entre les deux armées. Archers et arbalétriers liégeois couplés aux bouches à feu et aux mercenaires anglais ont dû pilonner la masse ennemie jusqu’au moment du corps à corps quand ceux-ci n’ont plus eu la marge de manœuvre nécessaire à leur action, a fortiori quand il s’agit de l’artillerie, en première ligne. En contrebas, les unités à distance de Guillaume de Hainaut et de Jean sans Peur ont dû répliquer à ce harcèlement de traits. Cette véritable pluie de projectiles a vraisemblablement ralenti leur progression. La même tactique fut mise en œuvre par les Anglais à Azincourt avec les résultats que nous connaissons. Toutefois, ici, contrairement à cette victoire anglaise, les gens de traits des révoltés ne furent pas assez nombreux ni assez efficaces pour faire la différence. L’issue de la bataille dut donc se décider par les armes de choc.
Arrivée à portée, l’infanterie burgondo-hainuyère engagea l’adversaire à l’avant. D’un point de vue pratique, les fantassins étant au sein d’une formation serrée, le combat au corps à corps, qui advenait lors du contact entre les deux premières lignes, devait consister en une juxtaposition de duels. Le combattant affrontait l’homme en face de lui et, à la rigueur, ceux de part et d’autre de ce dernier. Il est probable que les premières lignes étaient composées de soldats employant des armes courtes (épées, haches, masses d’armes, …) afin de tenir la position en étant soutenus à l’arrière par les porteurs d’armes d’hast. Les armes longues perdaient leur efficacité après le premier heurt. Si elles n’étaient pas brisées, elles avaient une trop longue portée pour atteindre significativement la première ligne ennemie. En effet, lors du combat, il était plus aisé de rentrer dans la garde d’une arme longue puisque seule l’extrémité présentait un danger pour l’adversaire. Ceci laissait le défenseur vulnérable alors que si la première ligne était tenue par des hommes à armes courtes, le véritable mur de piques que devait constituer une troupe en phalange pouvait infliger des dégâts à courte comme à longue distance et devenait presque impénétrable.
En outre, ceci est conforté par le fait que le front était certainement tenu par les hommes les mieux armés de la troupe, en matériel défensif comme offensif, afin de tenir la position le plus longtemps possible. Ces premiers combattants étaient donc des hommes d’armes démontés qui servaient en quelque sorte de boucliers vivants au reste de la formation. Il est évident qu’une mêlée ne ressemblait pas à la rencontre chaotique des deux armées. Nous sommes loin de la représentation cinématographique des batailles médiévales. En effet, se retrouver isolé au-delà de la ligne de combat, après la charge, signifiait certainement la mort ou, au mieux, la capture pour l’inconscient qui aurait tenté d’opérer seul une percée dans les rangs ennemis.
Les deux lignes de front s’engagèrent dans l’affrontement. Pratiquement au même moment, l’avant-garde bourguignonne, constituée de cavaliers, avait contourné la position ennemie et tombait sur les arrières de la milice. Les sources nous disent que ces cavaliers ont opéré une percée dans la palissade de fortune, composée de chariots, et auraient assailli les combattants à l’arrière de la formation. Or, la dynamique d’une charge de cavalerie semble sérieusement compromise par cet obstacle improvisé par les Haidroits. Je vois mal comment les cavaliers ont pu forcer le barrage sans que certains mettent pied à terre pour ôter quelques chariots du passage, peut-être en attachant ceux-ci aux chevaux ? La manœuvre n’a sûrement pu échapper à la dernière ligne de la phalange, a fortiori, si l’on se fie aux représentations iconographiques de cette même tactique de la palissade de chariots ou « wagenburg » employée par les Hussites. Elles sont certes plus tardives mais doivent apporter une bonne idée sur la manière d’agencer ces fortifications de fortune. Nous y voyons que les roues des charrettes sont attachées ensemble par des cordes ou des chaînes et sont tenues par les défenseurs tel un véritable bastion. Dans ce cas, pourquoi les archers et miliciens liégeois n’ont-ils pas mieux défendu leur position en tuant les hommes d’armes qui tentaient de frayer un accès à la cavalerie ? Peut-être cela est-il dû aux défaillances de l’armement des dernières lignes ?
Toujours est-il que le charroi fut forcé, laissant passer la cavalerie. Toutefois, celle-ci ne put certainement pas disposer de tout son potentiel de choc dans la charge. En effet, dans la rapidité du moment, l’obstacle ne put vraisemblablement pas être totalement retiré, ce qui laissait une entrave pour la charge de cavalerie. Les hommes et leurs chevaux durent certainement s’engouffrer dans un goulot d’étranglement ou dans différentes failles qui les conduisaient à l’arrière des troupes ennemies. Selon la distance entre la palissade de chariots et la formation des révoltés, les cavaliers avaient plus ou moins de place pour manœuvrer mais ne purent vraisemblablement reconstituer une ligne ou lancer leurs chevaux au galop, éléments nécessaires à une charge de cavalerie. Pourtant, leur action eut un impact important sur la stabilité de la phalange ennemie. Elle mit la débandade dans les lignes arrières.
Pour la charge, le cavalier, adoubé de pied en cap, stabilisait son corps en poussant sur ses étriers pour venir bloquer ses hanches dans le dossier de la selle haute. La troupe équestre se plaçait en une ligne continue, peu profonde, appelée « bataille » et le commandant lançait l’ordre de charger. Les cavaliers mettaient alors leurs chevaux au galop et plaçaient leur lance sous l’aisselle, mettant la hampe à l’horizontale. La ligne s’ébranlait certainement en un seul bloc visant à heurter le front adverse en un seul tenant. Toutefois, les chevaux étant de force et de rapidité différentes et l’armement de poids variable, selon le prix que l’on y mettait, la ligne devait assurément revêtir une forme irrégulière lors de la mise en marche. Durant la course, le commandant perdait certainement toute possibilité de donner ses ordres. À l’instant du choc, les lances se brisaient ou devenaient inutiles parce qu’à trop grande portée pour un combat rapproché. Dans le cas qui nous occupe ici, ce mode d’affrontement ne put assurément pas être appliqué pour les raisons précédemment mentionnées. La troupe de cavaliers dut certainement passer immédiatement au combat au corps à corps sans effectuer de charge. Les lances durent être, tout de même, employées comme éléments d’estoc tenus au-dessus de la tête et servant à asséner les coups de haut en bas. Mais il est probable que les épées et armes courtes, plus maniables dans ce genre de situation, furent rapidement sorties pour le combat.
Il serait maintenant intéressant de se poser quelques questions sur le déroulement d’un affrontement de proximité entre cavalerie et infanterie. En effet, lors de la charge, le cheval apportait au cavalier un avantage de rapidité et de force de frappe incomparables à celles du piéton, faisant de celui-ci un véritable projectile vivant. Toutefois, durant le combat rapproché, le maniement des armes devient assez ardu, qui plus est à l’encontre d’un fantassin en contrebas. Le cavalier doit rester attentif pour ne pas blesser lui-même son cheval. Les coups de tranches deviennent particulièrement malaisés à placer. Il doit donc essentiellement asséner des estocs. En outre, l’homme d’armes doit alors protéger ses deux flancs, de part et d’autre de sa monture, veillant à ne pas se faire désarçonner ou se faire entourer, ce qui l’aurait mis dans une situation risquée. Qui plus est, l’écu tenu à senestre et la contorsion nécessaire pour porter ce genre de coup, rendent particulièrement compliquées les frappes à gauche de la monture. Dans cette mêlée, le cheval est, lui aussi, particulièrement exposé. Sa protection va d’ailleurs évoluer pour mieux le préserver des coups. Sa mort signifie une perte pécuniaire pour le cavalier, perte qui est toutefois prise en charge par le prince, mais surtout le risque de se retrouver au sol. Le soldat monté doit aussi parfaitement maîtriser son cheval pour que les bruits de la bataille ne le fassent prendre peur et que celui-ci ne le jette à bas.
Le positionnement de l’homme d’armes monté au cours de la bataille reste un mystère pour nous. Une fois de plus, si la charge a échoué à briser les rangs ennemis et à les mettre en déroute, il ne sert à rien de se trouver seul au sein de la formation adverse. Dans ce cas, le combattant à cheval se retrouve donc en périphérie de la masse compacte de l’infanterie des opposants. Cela étant, fait-il face à l’ennemi, présentant alors l’avant de la monture à ses adversaires ? Dans cette situation, il doit effectivement défendre habilement ses flancs tout en sachant que le gauche est particulièrement compliqué à préserver. Ou l’homme d’armes se plaçait-il de profil pour ne laisser que son côté droit, portant l’arme offensive, vers l’ennemi ? Peut-être la cavalerie n’engageait-elle les troupes adverses que pour, ensuite, se retirer et effectuer un nouveau choc. Pour ma part, je pencherais davantage pour cette dernière hypothèse. En effet, l’affrontement monté semble nécessiter une certaine mobilité qui ne se retrouve pas dans le mode de combat de l’infanterie de masse. Au contact prolongé, cette dernière semble avoir un avantage sur les cavaliers. Cette faculté conférée par le nombre d’hommes et la possibilité de jeter à bas l’homme d’armes serait annulée par le désengagement momentané des cavaliers.
Selon ces modalités, la cavalerie burgondo-hainuyère, après avoir percé l’enclos du charroi, s’opposa à la ligne arrière de la phalange liégeoise. Les révoltés furent alors pris de court et s’ensuivit un mouvement de repli d’une partie des Haidroits vers un proche village dont le nom n’est pas précisé par Monstrelet, le seul chroniqueur à mentionner ce mouvement de troupe. Les visées de cette manœuvre nous sont obscures. S’agissait-il d’une diversion visant à soulager l’arrière de la formation ou, tout simplement, de la fuite d’une part de l’armée ? Il semblerait que cette dernière réponse soit la plus envisageable, étant donné que, semble-t-il, les arrières étaient tenus par les miliciens les moins bien armés. Rien d’étonnant alors que ces hommes sans défense aient pris la fuite face à des cavaliers aguerris et n’aient pu préserver l’intégrité de la formation. Les gens d’armes se lancèrent alors à la poursuite des fuyards pour les massacrer. Pendant ce temps, le gros des révoltés, n’étant plus pris dans l’étau, regagna du courage et fit chanceler la formation ennemie. Durant une demi-heure « on ne povoit point cognoitre ne percevoir, laquelle compaignie estoit la plus puissante ». Les Bourguignons reculèrent de deux à trois pas.
Dans un affrontement entre deux phalanges, il devait y avoir des mouvements visant à rompre la ligne ennemie pour pénétrer dans ses rangs et déstabiliser la formation de l’adversaire ; ou des tentatives de capture de la bannière ou d’attaque à l’encontre du chef adverse afin de briser le moral des ennemis, les privant d’un symbole ou de leur meneur. Il semble que nous en ayons un exemple ici quand il est mentionné que le mambour et son fils furent retrouvés morts près de la bannière de Jean sans Peur. Il semble que les révoltés liégeois, au cœur de l’engagement, aient tenté un coup de force pour se saisir du symbole bourguignon qui certainement n’était pas loin du duc de Bourgogne en personne. Ceci pourrait expliquer le moment d’indécision dans l’issue de la bataille, mentionné par les chroniqueurs et par le duc de Bourgogne, et le recul de la ligne bourguignonne de deux à trois pas succédant au regain de vigueur des Liégeois. Cette percée fut peut-être le dernier espoir du mambour pour retourner la situation à l’avantage des Haidroits. Mais nous n’en avons aucune description et, quoi qu’il en soit, celle-ci échoua. Le combat de l’infanterie devait ressembler davantage à une bataille d’usure, voyant successivement les hommes des premières lignes s’affronter, tomber et être remplacés. Cette action était entrecoupée d’assauts ponctuels visant à renverser la situation au profit de l’un ou l’autre des camps.
En outre, il me semble probable qu’il y ait eu la possibilité d’une rotation des hommes en première ligne. Au-delà de la nécessité de remplacer les combattants morts au combat ou blessés, il devait être possible de relayer ceux qui commençaient à fatiguer durant l’affrontement tout en conservant une pression sur le front ennemi afin de ne pas se faire enfoncer le sien (voir article “5 théories sur le combat militaire dans la seconde moitié du Moyen Âge”). Evidemment, s’il est vrai que la première ligne était tenue par les hommes d’armes, nous pouvons considérer que ceux-ci étaient des combattants « de métier » et donc ayant reçu une solide formation des armes. C’est pourquoi malgré le poids de leur armure, ces hommes devaient avoir une bonne endurance au combat. Toutefois, même avec leur entraînement intensif, il leur était certainement pénible de maintenir un effort continu durant autant d’heures d’affilée sans ressentir une certaine lassitude. De plus, nous savons que la coutume médiévale voulait que les seigneurs les plus importants ne soient pas tués mais faits prisonniers durant la bataille. Ces derniers, même dictés par leur honneur, ne pouvaient certainement pas rester immobiles auprès de leur tortionnaire pendant que celui-ci continuait à combattre, il fallait donc une possibilité de conduire le prisonnier en question vers le parc du charroi, situé à l’arrière de la « bataille ». Or, il est difficile d’imaginer comment les prisonniers pouvaient être amenés vers l’arrière sans un solide réseau de transfert avec l’aide de valets, d’écuyers ou d’autres membres de l’armée, positionnés derrière la première ligne. S’il était possible d’envoyer un prisonnier vers l’arrière au travers des rangs serrés de la formation, il devait être possible de remplacer un combattant à l’avant. Cela modifierait l’idée commune que nous propose Cl. Gaier, selon laquelle une grande partie de l’armée, placée au centre de la formation, restait inactive durant le combat et ne servait qu’à « faire bloc » en observant les affrontements à l’avant. Cette hypothèse propose une approche plus dynamique de la formation traditionnelle en phalange et, par extension, de toutes les formations d’infanterie.
Après avoir dispersé et massacré les miliciens en fuite, la cavalerie revint heurter le dos des combattants communaux. Entre le marteau et l’enclume, désormais, la formation des Haidroits fut vouée à l’écrasement. Les gens de traits de l’alliance ceinturèrent les flancs de la phalange, faisant pleuvoir sur elle une véritable « grêle » de carreaux et de flèches. Dans l’autre camp, les projectiles, trop peu nombreux pour les mercenaires anglais ou peu précis pour les confréries urbaines, demeurèrent inefficaces. Les Haidroits resserrèrent leur formation et furent littéralement écrasés sous la pression. Vers 14 heures 30, l’issue de la bataille était connue : les Bourguignons l’avaient emportée.
Les morts furent nombreux du côté liégeois. Ils périrent, pour la plupart, d’écrasement ou percés des traits ennemis. Cependant, les chiffres rapportés par les chroniqueurs et par Jean sans Peur semblent donner une estimation des pertes beaucoup trop haute vis-à-vis du contingent de 6 à 10.000 hommes que présentait certainement, à la base, l’armée des révoltés. Il est assuré que ce conflit constitua un véritable massacre. J’en veux pour preuve la chapelle qui fut fondée sur le site par le duc de Bourgogne en guise de rédemption pour le sang versé. En parallèle, un grand nombre de ces Liégeois furent faits prisonniers.
Pendant ce temps, une rumeur sur la victoire liégeoise vint aux oreilles des Tongriens. Environ 2.000 d’entre-eux sortirent de leur ville et, conduits par Jean de Hornes, autre fils du mambour, vinrent en armes à la rencontre de leurs alliés. Certainement, voulaient-ils profiter du butin ou peut-être avaient-ils été appelés en renfort par les milices de Liége et espéraient-ils arriver à temps pour porter aide aux révoltés ? Cette dernière possibilité expliquerait la position liégeoise à proximité de la route conduisant à Tongres. Quoi qu’il en soit, l’infanterie tongrienne n’intervint qu’au terme de la bataille, quand celle-ci avait déjà été remportée par les princes alliés. Quand les Tongriens arrivèrent à « trois traits d’arc », ils se rendirent compte du désastre et tentèrent de fuir. L’armée burgondo-hainuyère, ayant remarqué ce péril en approche, exécuta rapidement les prisonniers pour ne pas risquer un soulèvement parmi eux et la troupe de cavaliers se lança à la poursuite des gens de Tongres qui se repliaient dans le désordre vers leur cité et les campagnes environnantes. Au moins 300 d’entre-eux furent, à leur tour, massacrés ou pris par les ennemis.
Il semblerait, selon certains témoignages, que plus de la moitié des Liégeois engagés dans la bataille furent tués. Tous les mercenaires anglais y laissèrent la vie et peu d’hommes d’armes du parti des Haidroits en sortirent vivants. Dans le camp des princes, les pertes furent moins élevées mais, toutefois, importantes. Elles s’élèveraient à quelques centaines dont, semble-t-il, 60 à 80 hommes d’armes bourguignons, chevaliers et écuyers, selon l’estimation de Jean sans Peur. Enguerran de Monstrelet estime les pertes totales de 500 à 600 hommes, ce qui paraît crédible.
Nous constatons, au terme de cette description des faits et des aspects pratiques, que les armées du comte de Hainaut, du comte de Namur et du duc de Bourgogne étaient réellement bien préparées pour s’adapter à la situation. Il est intéressant de remarquer que malgré la participation des trois grands princes territoriaux, principalement de Guillaume de Bavière et de Jean sans Peur, jamais le commandement ne fut disputé. La direction des opérations avait été confiée au prince le plus puissant du point de vue des effectifs militaires : le duc de Bourgogne, et, en aucun cas, les autres princes ne tentèrent, par convoitise ou volonté de gloire personnelle, de la lui arracher durant la bataille. Cette unité, qui ne se retrouvera pas, quelques années plus tard, dans les rangs français, au cours de la bataille d’Azincourt, fait ici la force de l’armée alliée. C’est pourquoi sa tactique reste cohérente durant tout l’affrontement. D’ailleurs, Enguerran de Monstrelet nous rapporte que les combattants des princes « estoient en la plus grant partie tous nobles hommes, usagez et esprouvez en fait de guerre, et d’une seule mesme voulenté et concorde sans diverses opinions les ungs avecques les autres, ce que point n’estoient lesdiz Liégeois ». Cette phrase témoigne de toute la rigueur dont ont fait preuve les princes alliés dans leur collaboration.
Qui plus est, nous voyons aussi que les hommes d’armes hainuyers ne rechignent pas à mettre pied à terre. Ils sont moins guidés en cela par la volonté de se mettre à égalité avec les miliciens, comme nous pourrions le supposer dans le camp Liégeois, mais, bien au contraire, par un souci stratégique. En effet, il semble que les princes aient renoncé à l’honneur d’une charge de cavalerie frontale traditionnelle pour adopter une stratégie mieux adaptée à la situation. Les cavaliers doivent donc, contre leur idéal chevaleresque, descendre de leur monture et, ce qui est dégradant pour eux, combattre comme des fantassins. Toutefois, les hommes d’armes de Hainaut et de Bourgogne ne semblent pas si réticents à cela, contrairement, une fois de plus, à ceux des armées françaises qu’il faut parfois menacer de mort pour qu’ils obtempèrent. Cela témoigne de la grande autorité des chefs d’armée sur leurs hommes et de la discipline qui règne dans leurs rangs. Peut-être faut-il y voir aussi l’influence des traditions germaniques comme le propose Claude Gaier. Toujours est-il que ce mode de combat de la cavalerie démontée reste le plus efficace à l’encontre d’une masse de fantassins faisant bloc lances en avant, appuyée par des gens de traits.
Le duc de Bourgogne décida de coupler à cet assaut frontal pédestre, l’emploi de cavaliers opérant une manœuvre de contournement de l’adversaire. Cette tactique ingénieuse allie au mode de combat nouveau de la cavalerie démontée, l’usage ancien de la cavalerie montée tout en préservant cette dernière des lances et des traits ennemis en la faisant tomber sur l’arrière de la phalange. Nous observons donc une parfaite cohésion de l’ancien et du nouveau dans une même tactique apportant un potentiel nouveau à la cavalerie.
Remarquons aussi que les modes de pensée de l’infanterie et de la cavalerie diffèrent de manière assez caractéristique. Cela est lié à la coutume des seigneurs de faire prisonniers les gens de rang élevé ou de grande fortune afin de les libérer moyennant rançon. Le chevalier, quand il partait au combat, portait une pièce de tissu appelée cotte d’armes ou tabard sur laquelle étaient représentées ses armes. Celle-ci permettait à ses hommes mais aussi à l’ennemi de le reconnaître et de ne pas le mettre à mort s’il était capturé. Toutefois, les gens de pied ne pouvaient espérer le même traitement de la part des adversaires étant donné que leur vie ne valait pas grand-chose aux yeux de ces seigneurs. Le fantassin comme l’archer et l’arbalétrier étaient donc voués à la mort si la bataille tournait en leur défaveur. En contrepartie, dans ce cas, ces derniers ne faisaient pas davantage de quartier vis-à-vis de leur ennemi. Il semble que la vision de la guerre des troupes à pied ait été moins clémente et donc plus meurtrière que celle des gens de guerre entre eux. Les piétons abordent la guerre en tant que combattants occasionnels en risquant leur vie et voulant remporter une victoire écrasante sur l’adversaire, tandis que les chevaliers côtoyaient plus volontiers le champ de bataille en tant que passe‑temps risqué, mais où, finalement, ils ne se mettaient pas trop en péril car ils valaient davantage vivants que morts pour l’ennemi. C’est pourquoi, quand les seigneurs affrontaient les gens de pied, ces derniers ne respectant pas la coutume de la capture, la guerre devenait beaucoup plus sanglante.
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En ce qui concerne les sources et les travaux employés pour cet article, je vous invite à aller jeter un œil aux articles “Comment se renseigner sur l’Histoire militaire médiévale ? : ébauche d’une bibliographie”, “[…] les sources éditées sur le comté de Hainaut” et “Approche critique des sources : comment aborder les chroniques médiévales […]”
Illustration : enluminure tirée des Grandes chroniques de France, 1390–1405, Bibliothèque nationale de France, Paris, Ms. Français 2608, f°180r.