Les Sousous dans la Popoche (Série B PHENIX - S1E3)

Jean MOREAU
9 min readDec 12, 2018

Il y beaucoup de choses à dire sur le Comment. Commençons par un sujet précis - celui de l’intermédiation : faut-il ou non se faire aider par un leveur de fonds ?

L’un des partners d’un gros fonds avec qui on discutait, basé à San Francisco, me disait, et j’ai trouvé cela entendable, que dans la culture US prendre un leveur envoie un mauvais signal. Pourquoi ? Parce qu’en théorie les bons projets sont naturellement courtisés et attirent d’eux-mêmes l’intérêt des fonds et les capitaux. Et que d’autre part les bons entrepreneurs doivent pouvoir défendre leurs intérêts tout seuls. Ce serait un aveu de faiblesse que d’avoir recours à un tiers. Dont acte.

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Un bon leveur a plus d’un tour dans sa boîte à malice

Cependant en France cela tend à devenir plus ou moins mainstream. Je n’ai pas documenté cette affirmation et manque de stats véritables sur le nombre de levée intermédiées vs. gérées en direct, mais je vais regarder. En attendant je vous livre mon point de vue et mon retour d’expérience.

Les Techniciens vs. Les Magiciens

Je ne sais pas s’il y a un secteur plus concurrentiel que les boutiques de levée de fonds pour start-ups et TPE / PME. Je ne pourrai pas dire combien de mails de démarchage j’ai reçus de la part de « Toujours Plus Finance » ou de « Equity Partners » et consorts (fake noms bien sûr),…

Comme je vous le disais dans l’Episode 1, le but n’est pas de rédiger un argumentaire “Pour ou Contre les leveurs de fonds”, mais plutôt de vous partager nos réflexions sur le sujet, nos décisions et notre vécu, qui n’est donc qu’un point de vue et qui vaut ce qu’il vaut.

Ce rappel étant effectué, on peut se permettre de caricaturer un peu, pour davantage de lisibilité. Si je grossis le trait, je dirais qu’on distingue a minima 2 grandes catégories de leveur : les techniciens et les magiciens. Ou plutôt 3 : les techniciens, les magiciens, et les escrocs.

Les techniciens vont vous prendre par la main et vous pondre le BP Excel, le deck de slides et un Info Memo aux petits oignons (cf. Infopack de l’Episode 2), puis vont être en 1ère ligne dans le process en répondant à toutes les questions des fonds, à leurs requêtes de documents et analyses complémentaires, en faisant tous les rendez-vous à vos côtés, etc.

Ça soulage et peut faire gagner du temps sur l’exécution même du process, a fortiori s’il n’y a pas de réelles compétences financières dans l’équipe de management. Même si :

  • Le transfert de connaissances sur la boîte et le secteur de la part des fondateurs envers le leveur peut prendre pas mal de temps jusqu’à que ce dernier arrive à un niveau de maîtrise acceptable,
  • Cela ne se substitue pas à la nécessaire présence et implication des fondateurs tout au long du process, requise et absolument indispensable. C’est à vous que veulent s’adresser les fonds d’investissement. C’est vous qu’ils veulent tester et c’est évidemment vous qui avez toutes les réponses en dernier ressort,
  • Nous nous n’avions pas besoin de ce type de leveurs, en partie du fait de mon parcours de banquier d’affaires, en partie grâce à deux premières levées, plus modestes, certes, mais où nous avions déjà pas mal appris.
3 ans déjà…

Moi j’ai fait le choix de m’entourer de juniors solides pour remplacer cette partie-là de la prestation (merci à mes deux gars sûrs @Adrien Bonnet et @Cyrille Gauthier - 2 stagiaires pépites qui se sont succédé et pour qui je ne suis pas inquiet pour la suite de leur jeune carrière).

Et on a donc opté pour un leveur de type « Magicien ». A savoir un Spin Doctor / coach agissant en « One man show », sans grosse équipe structurée derrière, mais qui nous a bien aidés à :

  • clarifier la vision et l’ambition,
  • affiner le positionnement et le story-telling,
  • définir le quantum à lever et calibrer la valorisation,
  • nous décomplexer et assumer notre posture de managers et d’entrepreneurs « rang A »,
  • nous briefer sur le mode de fonctionnement des fonds, leurs attentes, et nous aider à bien rentrer dans les cases, quitte à faire rentrer un carré dans un rond,
  • revoir nos chiffres, nos projections et les challenger en nous donnant des éléments de comparaison que nous n’avions pas toujours (notre plan de croissance est-il trop agressif ? Pas assez ? Quid de notre niveau de marge projeté ? Notre grille de salaires est-elle dans les clous ? Ca coûte combien un DAF expérimenté ? Un Head of PHENIX Germany ? Notre niveau de cash-burn envisagé est-il tolérable ? etc …)

4 Reasons Why

Au-delà de ça, un (bon) leveur créé à mon sens beaucoup de valeurs à quatre principaux égards :

1°) c’est avant tout quelqu’un qui va vous aider dans la stratégie de ciblage des investisseurs

J’avais donné au notre (le grand Marc Oiknine d’@Alpha Capital) le mandat de faire un roadshow massif, de voir beaucoup de gens. C’était sans doute l’une des dernières levées de PHENIX, et un move stratégique assez décisif pour nous, donc je voulais comparer plusieurs approches et ne pas me planter. On a donc vu 25 fonds différents, ce qui est énorme. Je vous le redis c’était trop en vrai. Mais là où un intermédiaire doit vous aider, c’est :

  • d’une part dans la stratégie inter-fonds :

« Ne perds pas de temps avec XYZ Capital Partners, tu es trop loin de leurs bases, ils vont te balader pendant des semaines puis ça ne va rien donner. »

« En revanche priorisons ABC Ventures, ils viennent de lever un fonds, ont déjà investi X M€ et Y M€ dans telle et telle boîte du même secteur, et PHENIX est pile dans le genre de dossier qu’ils regardent, et je suis sûr que le Partner va t’adorer ! »

  • Ce travail débouche sur une grille de priorisation et un plan d’attaque hiérarchisé, avec, comme en Ligue des Champions : les têtes de série, le Chapeau A, le Chapeau B, le Chapeau C, et les plans de back-up en dernier recours.
Vivement le tirage des huitièmes !
  • d’autre part dans la stratégie intra-fonds

« Chez 666 Invest, il faut à tout prix que tu évites ce gars-là, il est nul et n’a pas fait un deal depuis 10 ans. En revanche il faut vraiment que je te branche avec cette nana, c’est la star montante du fonds, c’est avec elle qu’il faut traiter ! »

Ca peut se jouer à peu de choses près. Vous tapez à la bonne porte, mais vous n’entrez pas dans le bon bureau et votre levée peut prendre une tournure ou une autre.

2°) En ouvrant son réseau, et en agissant comme un label de confiance

Dans les deux cas l’intermédiaire agit comme un gage de crédibilité qui fait que les investisseurs vont a minima ouvrir le dossier (parmi les centaines reçus chaque semaine), et bien souvent l’aborder avec un a priori positif et un regard bienveillant, ce qui n’a pas de prix. Ou plutôt si : 6% de la levée ; )

3°) En lead sur la négociation, pour encaisser les coups

Le leveur est aussi supposé être celui qui part au front pour négocier, qui va prendre les coups à votre place, ce qui permet de préserver la relation avec vos futurs actionnaires, de ne pas se cramer pendant la phase de négo et ainsi démarrer le partenariat sur des bases dégradées.

4°) Aligner les intérêts et mettre l’énergie nécessaire pour que la transaction se fasse

Le leveur c’est enfin un “pitbull” (no offense) qui est intéressé à la réalisation de la transaction, et qui va faire le nécessaire pour aligner les multiples planètes afin que le deal ait lieu.

Comment le choisir et combien ça coûte ?

==> Quelles sont les boutiques recommandables ?

Je vous l’ai dit, des intermédiaires, plus ou moins sérieux et légitimes, il en existe plein. Un top 5 se dégage assez clairement, dans lequel je mettrais, dans le désordre: Alpha Capital, Clipperton, Cambon Partners, Chausson Finances et Ader Finance.

==> Comment on a choisi le notre ?

Comme on choisirait un bon médecin : benchmarking, réputation, bouche-à-oreilles, références, feeling. Et bien comprendre quel est votre besoin au vu des profils que j’ai caricaturés plus haut : quelqu’un qui vous prend par la main de A à Z, ou quelqu’un qui vous ouvre des portes et vous aide à faire la diff’ sur les sujets les plus cruciaux.

==> Combien on a payé ?

Secret Défense. C’est confidentiel, mais let’s be clear : c’est cher. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas mérité.

Sans trahir de secret industriel, sachez qu’un leveur se rémunère généralement selon un modèle à deux dimensions :

  • une part fixe (dite “retainer fee”), de quelques milliers à quelques dizaines de milliers d’Euros, ayant vocation à couvrir le travail d’amorçage et à engager la société et les dirigeants dans le process,
  • une commission au succès (dite “success fee”), tournant autour de 5 à 6% des fonds levés, avec des pourcentages dégressifs par tranches en fonction des montants levés.
Et à la fin, il faut passer à la caisse…

On est d’accord, c’est pas cadeau. Mais vous vous y retrouverez. En tout cas nous on n’a pas le sentiment d’avoir été floués, même si c’est évidemment le plus gros chèque jamais fait dans l’histoire de PHENIX. Vous vous y retrouverez sur les termes du deal, le montant levé, le delta de valorisation, la dilution, vos conditions de relution en tant que fondateurs, … au regard desquels le chèque signé paraît fair.

Bientôt une nouvelle série : Six Pour Cent !

Deux points de vigilance pour finir

Sachez aussi deux choses avant qu’on se quitte, puis vous serez en mesure de prendre votre décision en votre âme et conscience :

  • ces intermédiaires ne sont pas toujours bien vus de tous les fonds. Ce n’est pas la norme car leur présence s’avère de plus en plus comprise et acceptée par le marché, mais certains investisseurs sont toujours réticents au moment de décaisser les fonds, sachant qu’une partie, parfois significative, ne va pas servir à alimenter la croissance la société. D’autres, qui en tolèrent le principe et voient les leveurs comme des apporteurs d’affaires qualifiés, ont davantage de mal avec les montants en jeu : capter 400, 500, 600 000 voire un ou plusieurs millions d’euros sur une transaction, quelle que soit la qualité du travail fourni, est-ce bien légitime pour 6 à 12 mois de travail ? Encore une fois, ces réactions sont de moins en moins mainstream, mais elles arrivent, donc autant les anticiper. Pour poursuivre le parallèle avec le monde du football, on se rapproche de la catégorie des agents de joueur, dont la gourmandise peut parfois ralentir ou bloquer des transferts. Ou celle des agents immobiliers, où la tentation d’une vente d’appart’ en direct sur LeBonCoin peut être grande.
Mino & Polo
  • 2è point de vigilance : les mandats de levée sont assez engageants d’un point de vue juridique, pour le présent et le futur, avec souvent des “clauses balai” couvrant les 18 à 24 mois à venir. Je vous recommande donc de faire bien attention avant de signer le contrat. Un contrat mal ficelé avec un leveur peut ralentir voire bloquer une opération.

Voilà, vous savez tout. Et vous, vous prendriez un intermédiaire pour votre levée de fonds ? (Sondage ici).

C’est tout pour aujourd’hui. Là tout de suite on part quelques jours en séminaire de fin d’année avec PHENIX, mais la semaine prochaine je prendrai le temps de vous dire si j’ai ressenti une différence entre lever 500 K€ en amorçage et lever 15 M€ en Série B. Et si oui laquelle.

Allez salut, et surtout merci à vous !

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Jean MOREAU

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