SAISON 1 - Episode 4 : Lever 500K€ vs. 15M€ : même combat ?

Les Sousous dans la Popoche (Série B PHENIX — S1E4)

Jean MOREAU
7 min readMar 5, 2019

Seed vs. Série B : Quelle(s) différence(s) ?

Yes we’re back !
Un sujet qui est remonté de vos retours est le suivant : quelles différences y a-t-il entre une grosse levée de 15M€ et un round d’amorçage de 500K€ ?

Alors allons-y.

Du garage à la Trump Tower

Same same…

Avant d’attaquer le jeu des 7 différences, commençons par les similitudes :

- c’est tout aussi long,

- c’est tout aussi pénible,

- c’est à peu de choses près la même dose de travail et le même type de documents et d’interactions.

Pourquoi ? Parce qu’in fine le risque est quasiment le même : mettre 500K€ sur une boîte en amorçage qui vient à peine de démarrer, ou mettre plusieurs millions sur une structure en décollage qui a certes davantage fait ses preuves mais qui reste encore structurellement fragile, ce n’est pas tout à fait équivalent mais presque.

J’ajoute que sur un 2è ou 3è round de financement vous avez déjà en tant qu’entrepreneur des investisseurs au capital depuis quelques semestres, un début de track record et une réputation, ce qui peut accélérer les choses (ou bien au contraire). Alors que sur un 1er tour et a fortiori pour une première aventure entrepreneuriale, il faut générer de la confiance, ce qui prend nécessairement du temps.

Appliqué à AirBnB : retour sur le début de leur belle histoire…

… but different

Donc 15M = 500K ? Non, la vérité c’est que :

  • il y a davantage d’expertise et de professionnalisme dans les équipes des interlocuteurs, on a le sentiment de changer de division (no offense pour les autres),
  • la compétition est plus rude, car des projets en mesure de lever 10 ou 15M€ sont généralement tous de bons projets, portés par des équipes solides, donc les arbitrages sont saignants,
  • et c’est une formalité mais autant le savoir : l’ensemble des docs à produire sont souvent en anglais, pour se mettre en ordre de bataille pour la suite.
Rien de tel qu’un bon vieux hiéroglyphe pour remettre les idées en place

Le Discours de la Méthode

La vraie distinction concerne surtout la méthode et l’approche.

En amorçage on raisonne avant tout sur le “Product Market fit”, la validation d’un besoin, la sacro-sainte traction, la capacité à facturer, à embarquer des clients de façon récurrente.

Vient ensuite la Série A, supposée valider une forme de “scalabilité” pour reprendre un autre terme à la mode, et orienter la boîte sur la route de la croissance, de la conquête de parts de marché, voire de la rentabilité.

Sur une Série B les fonds se décident essentiellement sur l’équipe et la taille de marché, davantage que sur le produit ou le service, ces derniers étant supposés avoir déjà fait leur preuve. Le raisonnement pourrait donc être schématisé comme suit : “Ok leur truc semble fonctionner et répondre à un vrai besoin, ça accélère vite et ils ont exécuté proprement jusqu’à aujourd’hui, ce sont de premières bonnes étapes de franchies. Voyons à présent jusqu’où ce début de belle histoire peut aller.”

Les deux principales questions généralement en suspens à ce stade sont :

1°) - Le marché sous-jacent est-il suffisamment gros pour construire une potentielle licorne ? Ou en tout cas une belle boîte. L’objectif étant dans l’idéal de pouvoir démontrer un “Market Sizing” d’un milliard d’euros minimum. Avec dans l’idée qu’il est bien plus simple d’acquérir 2% de parts de marché sur un marché à 1 milliard, que 20% de parts de marché sur un marché à 100 millions,

2°) - L’équipe en question a-t-elle les épaules pour conduire cette phase de croissance, structurer l’entreprise et l’amener à 100M€ de Chiffre d’Affaires dans 5 ans ?

Une vue d’ensemble, synthétisée assez justement par le BCG pour le collectif La Boussole

Si je re-poste ici cette schématisation des différentes phases d’une start-up, c’est pour rappeler que les besoins et défis sont très différents à chaque étape. Et les qualités requises pour franchir ces mêmes étapes aussi. Et il est par conséquent assez rare que ce soient les mêmes personnes qui exécutent les 4 ou 5 séquences.

Parfois les fondateurs qui s’avéraient bien adaptés à la phase d’amorçage ont davantage de mal à trouver leur place dans la phase de scaling ou d’expansion, et vice versa.

Donc ce que je retiens de cette levée c’est qu’elle aura été vraiment très centrée sur les Hommes et le Marché, selon une approche rappelant beaucoup plus celle d’un consultant en stratégie que d’un analyste financier ou d’un expert produit / secteur. Et quand je dis Hommes, c’est déjà bien évidemment Hommes / Femmes, mais surtout fondateurs ET management intermédiaire. La quasi-totalité des fonds rencontrés nous ont demandé à échanger avec notre strate de n-1, notre garde rapprochée. (Directeur/trice des Opérations, Directeur/trice Commerciale, Directeur de Business Unit, CTO, RH, …). Et parfois même écouter le discours commercial et challenger un Business Developer.

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DD comme Didier Deschamps

Les Due Diligences

L’autre différence majeure concerne la densité des Due Diligences.

Sur un round d’amorçage il n’y en a pas. Ou très peu. Et ce pour 2 raisons :

  • 1°/ Car les fonds de Seed n’ont pas toujours les ressources en interne ni le budget pour payer des consultants,
  • Et 2°/ car il n’y a pas grand chose à auditer. En général très peu de RH « formalisée » (salariés, contrat de travail, URSSAF,… ), très peu de contrats clients, pas beaucoup de compta – au mieux une clôture – une techno encore balbutiante donc pas de sujets majeurs en Propriété Intellectuelle, pas trop de cadavres dans le placard ou de poussière sous le tapis.

Les meilleurs fonds d’amorçage concentrent les audits de cette phase sur l’humain, comme pour une Série B finalement. Et c’est d’ailleurs ce qui nous avait séduit chez Starquest Capital : des entretiens RH plutôt que des analyses de tableau Excel. Nous avons donc passé du temps avec l’équipe d’investissement (bip bip Julien Le Drogo !), mais aussi avec deux experts “RH” indépendants, deux spécialistes de la psychologie entrepreneuriale (👋🏻 Matthieu Langeard (Entreprenance Institut) & @François Bert (Edelweiss RH)).

Baptiste Corval et moi avons été passés au crible sur nos personnalités, notre potentiel de dirigeants, autour de quelques questions centrales :

- rapport au pouvoir,
- rapport à l’argent,
- capacité à déléguer,
- sens de la priorisation,
- place et rôle de chacun.

Le but est de parvenir à estimer de la façon la plus rationnelle possible l’aptitude de l’équipe fondatrice à diriger (leadership), animer (management), réaliser (exécution) et pivoter (évolution).

Ces 2 intervenants ont droit de veto, et donc de vie ou de mort sur le deal. S’ils perçoivent quelque-chose qui les met mal à l’aise, ils peuvent appuyer sur le bouton rouge.

Sur un round intermédiaire (Série A de 1 à 2 M€) il y a une petite Due Dil, mais généralement conduite en interne par les équipes du fonds, souvent assez juniors. Il s’agit principalement de relire les principaux contrats commerciaux, de vérifier qu’il n’y a pas de gros risques juridiques, que la marque et les codes-sources sont correctement déposés et protégés, que le quota de stagiaires n’a pas été complètement explosé, qu’il n’y a pas une armée d’auto-entrepreneurs dans la nature, …

Sur une Série B. on fait évidemment face à davantage de Due Diligences, avec l’entrée en scène de prestataires experts et indépendants, comme des cabinets d’audit ou de Transaction Services (type E&Y, PwC, KPMG, Grant Thornton…). Il est demandé un arrêté comptable intermédiaire au plus proche du closing. Les avocats sont plus pointilleux, la Data Room beaucoup plus fournie. Et ils jouent leur rôle jusqu’au bout, il faut donc s’attendre à une négociation des conditions, des termes du deal et de la documentation juridique bien plus âpre que sur un tour d’amorçage.

Du Signing au Closing : si proche, et pourtant si loin…

Intermédiation vs. Désintermédiation

Je vous renvoie là-dessus à mon post précédent sur le sujet des leveurs de fonds : ces levées d’envergure ont davantage tendance à être intermediées. En tout cas pour nous ça c’est passé comme ça : 2 premières levées (Seed & Série A) effectuées en direct, une 3ème « grosse » avec un leveur.

Gérer les actionnaires existants

Je terminerai là-dessus. L’autre différence notable entre une levée d’amorçage en année 1 ou 2 et une Série B en année 4 ou 5 c’est qu’il vous faut aussi dans le second cas composer avec un actionnariat existant. Des fonds qui sont à bord depuis déjà 3 ou 4 ans, qui ont leur agenda et leurs contraintes de liquidité, et qui commencent à penser à leur horizon de sortie. Qui sont par conséquent une donnée nouvelle à intégrer dans l’équation, déjà complexe, de la levée. Même chose pour des managers incentivés, qui peuvent vouloir sortir à ce moment-là, ainsi que pour l’équipe fondatrice, qui peut avoir l’option de lever une clause dite de “respiration”. Autant de problèmes qui ne se posent pas en amorçage puisque la table de capitalisation est vierge et que les montants en jeu ne permettent pas ce type d’opérations secondaires.

On est tous le Gordon Geko de quelqu’un…

Voilà pour cette reprise après un break prolongé, sorry about that.

En espérant que ça vous soit toujours utile ! Et surtout à bientôt pour l’épisode 5, je vous laisse me suggérer en commentaire le thème qui vous intéresserait le plus.

En attendant, retrouvez :

  • Les Sousous dans la Popoche : INTRO
  • Les Sousous dans la Popoche — S1E1 : WHY ?
  • Les Sousous dans la Popoche — S1E2 : WHEN ?
  • Les Sousous dans la Popoche — S1E3 : HOW ?

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Jean MOREAU

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