Le pouvoir de dire “Non”

Julien Froidefond
8 min readDec 27, 2023

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En quelques mots

Notre faculté à s’opposer, à oser dire “non” et les bénéfices globaux attenants sont clairement sous estimés dans l’ingénierie logicielle.

Je vous propose dans cet édito de tout d’abord nous intéresser au territoire, en vous racontant mon voyage personnel qui m’a conduit à cette réflexion. Puis, je m’intéresserai à pourquoi nous avons du mal à dire “non”, pourquoi c’est important et fournir des stratégies pour exprimer un refus de manière constructive.
Je suis convaincu que nous avons tout à y gagner, et pas seulement personnellement, mais aussi globalement pour nos produits, notre entreprise. N’hésitez pas, osez, dites “non” :)

Nous avons tous, à toute échelle - dans les entreprises IT moderne - un pouvoir d’argumentation et donc de conviction.

Je suis convaincu que notre travail en tant qu’ingénieur logiciel est de fournir de l’intelligence, et non de livrer du code (ce n’est qu’une conséquence).
Produire de l’intelligence, et en être responsable.

Mon territoire

Depuis mes souvenirs les plus lointains, ma passion pour la création a toujours été profondément ancrée en moi. Adolescent, j’étais d’ailleurs convaincu que des études littéraires étaient la voie évidente à suivre. Avec le recul, je sais aujourd’hui que c’est le processus de création qui m’intéressait.
Cependant, le cours de la vie a pris les devants. J’ai suivi des études d’informatique, me conduisant à intégrer une entreprise de développement logiciel en tant que développeur. Mes premières expériences dans ce domaine, n’étaient vraiment pas concluantes. Je retrouvais des mots clés comme productivité, temps, budget, ROI, … ce qui s’éloignait fondamentalement de mes motivations intrinsèques.
C’est alors que j’ai croisé la route de mon premier mentor, une rencontre qui a véritablement transformé ma perspective. Il m’a fait découvrir que le code, le développement, et l’algorithmie sont, en réalité, une forme d’art. Tout comme un poète ou un peintre, le processus créatif est intrinsèque au développement informatique. Nous sommes des créateurs de solutions. Nous répondons à un problème et par un medium élégant mathématique, qui s’appelle le code.

It’s alive!

En tant qu’ingénieur, nous avons ce pouvoir incroyable de donner vie à une solution.

Mais nous ne sommes pas seuls dans ce processus. Les grandes entreprises divisent, structurent, organisent. L’avènement du mode produit, de team topologies, de DDD, et autres organisations à l’échelle, peuvent nous amener à nous perdre, sur notre long chemin vers la créativité. Et je ne parle pas des réglementations et autres prédicats qui chaque jour complexifient notre métier et notre champ des possibles, mais ils existent tout aussi bien.

Sur ce terrain pavé de complexité, il est facile d’oublier l’essence même de notre métier.
La priorité, la valeur, le cout, l’objectif, … Tous ces mots bousculent le jeu.

Une des clés qui me semble fréquemment cruciale et porteuse d’amélioration pour l’ensemble de l’entreprise réside dans la capacité à exprimer un refus lorsque nécessaire.

Organisation et échelle

Je travaille dans une entreprise IT qui compte un peu plus de 600 personnes. 600 personnes, cela veut dire que pour que cela fonctionne, il faut forcément une organisation robuste.

Nous avons opéré la transition vers un modèle organisationnel axé sur le produit, avec des résultats très positifs (bien que cela soit un sujet distinct).

Un problème récurrent que j’ai constaté, aussi bien au niveau du top management qu’à la base, est la fréquente apparition de développements dépourvus de sens, en tout cas que la majeure partie des impliqués ne comprennent pas. Cela a pour conséquence de creuser la dette, des processus dépourvus de logique, du code difficilement compréhensible, et l’absence de documentation, malgré une structure telle que la nôtre, dotée de l’encadrement adéquat, de solutions sur mesure, de responsables IT compétents et de coaching.

Les équipes peuvent se retrouver débordées. Les roadmaps ne laissent aucune place au doute, ce qui est tout à fait normal à cette échelle et dans une entreprise qui cherche la rentabilité. Cependant, l’urgence et l’inattendu sont légions. Les équipes, dans ce sens, peuvent se retrouver débordées.

Etre débordé, c’est être en surcharge cognitive, c’est aussi avoir du mal à prendre du recul. C’est souvent être moins acteur et plus suiveur. Cela se traduit par le commencement d’une tendance à simplement acquiescer et dire “oui”.

Dire “Non” est un engagement

Dire “non” à des non sens est un acte de responsabilité professionnelle et non un signe de manque de coopération. C’est un engagement envers nous-même, et envers l’entreprise.

Plusieurs raisons pour lesquelles nous avons du mal à dire “non” :

  • Délais et pression.
  • Crainte des conséquences. Dire “non” est une responsabilité.
  • Compréhension de l’impact à long terme. Il n’est pas toujours évident de se rendre compte qu’une mauvaise décision peut avoir des conséquences catastrophiques sur le code.
  • Education / enseignement. Personne ne nous apprend vraiment à dire “non”. Les études nous apprennent peut être à réfléchir, mais ce n’est rien en rapport aux potentielles pressions et joutes verbales de la vie en entreprise.
  • Pressions hiérarchiques.

Les risques de cette non prise de position sont nombreux :

  • L’épuisement. Personnel, d’équipe, … Cela mène à une perte d’engagement, une perte de confiance en soi. Ce qui est nocif autant pour la personne que pour le projet.
  • Dégradation de la qualité du code.
  • Dette de toute sorte (architecturale, code, …).
  • Complexité technique accrue.
  • Insatisfaction des utilisateurs finaux.

Il est donc essentiel que les équipes informatiques puissent évaluer chaque demande de manière critique, en tenant compte de la vision globale du projet, des priorités stratégiques, et de la faisabilité technique, afin de minimiser ces risques.

Les bénéfices de dire “Non”

Dire “non” à un sujet, c’est respecter les personnes avec qui nous travaillons, respecter le projet, respecter le client final, fournir de la qualité fonctionnelle et technique, investir sur l’avenir et se respecter soi-même.

Même si c’est souvent difficile, dire “non” est un acte de courage et de respect. Cela permet entre autre de :

  • Réduire le stress de l’équipe
  • Se focaliser sur les bonnes priorités
  • Respecter les délais
  • Préserver son asset technique, et donc un investissement long terme
  • Renforcer sa crédibilité professionnelle

Je pense profondément que cet acte est un cercle vertueux. Dire “non” est un atout pour soi-même, en priorité, mais cela va être aussi bénéfique pour notre entourage, notre produit, notre équipe, notre entreprise.

Les Stratégies pour Dire “Non”

Dire “non” n’est pas si évident que ça. Je vous propose ces quelques points pour vous aider à anticiper une décision négative :

  1. Comprendre la demande : Pourquoi ? Pour qui ?
  2. Justifier votre décision : L’argumentation doit être claire et précise.
  3. Proposer des alternatives : Cela permet de montrer l’engagement que nous avons à trouver une solution. Ne pas paraitre réfractaire à tout prix.
  4. Évitez le langage négatif : Ne pas paraitre trop défensif.
  5. Être transparent.
  6. Des arguments factuels : Des faits concrets et des données.
  7. Anticiper les réactions : Être calme et professionnel.
  8. Impliquer l’équipe : Avoir du poids et un point de vue appuyé.
  9. Maintenir une attitude positive : Etre toujours ouvert à la discussion et à la collaboration.

Ces éléments se rapprochent davantage de la stratégie de communication que de la technique pure. À cet égard, je suis conscient que cela peut ne pas être naturel pour tout le monde. La clé réside également dans la communication avec nos responsables informatiques. Bien que plusieurs personnes puissent vous soutenir dans ce parcours, l’essentiel est de ne jamais abandonner. Comme le dit l’adage, qui ne tente rien n’a rien.

Ce n’est pas quelque chose qui aura des effets immédiat. C’est un long chemin qui prendra du temps. Les premières fois risquent d’être difficile, mais une fois ce processus en marche, il sera lancé et peu à peu l’entourage proche commencera à douter de leur approche si trop de refus sont imposés, pour finalement se changer, et évoluer dans une position ou l’intelligence et la collaboration sont vertueuses. La richesse de la communication et de la transparence pourra se mettre en place et la confiance mutuelle donnera lieu à un renouveau dans lequel toutes les parties pourront apporter leur meilleur savoir faire.

Conclusion

En somme, dans le monde complexe de l’ingénierie logicielle, la capacité de dire “non” émerge comme un véritable acte de courage et de responsabilité. Notre rôle en tant qu’ingénieurs va bien au-delà de la simple livraison de lignes de code. Nous sommes les artisans de l’intelligence, les créateurs de solutions qui façonnent l’avenir.

J’ai pu constater que le pouvoir de dire “non” est souvent sous-estimé. Les équipes, submergées par des délais serrés et des pressions multiples, peuvent être tentées de dire “oui” à tout, perdant ainsi de vue l’essence même de notre métier.

Pourtant, dire “non” de manière réfléchie n’est pas seulement un droit, c’est un devoir envers soi-même, envers l’équipe, et envers le projet dans son ensemble. C’est un acte de respect envers les personnes avec lesquelles nous travaillons, envers le client final, et envers notre propre intégrité professionnelle.

Les bénéfices de cette prise de position sont innombrables. En disant “non”, nous réduisons le stress de l’équipe, nous nous concentrons sur les bonnes priorités, nous respectons les délais, et nous préservons notre patrimoine technique, garantissant ainsi un investissement à long terme.

Bien que cela puisse sembler difficile, dire “non” est un art à cultiver, une compétence à perfectionner. Comprendre la demande, justifier votre décision, proposer des alternatives, être transparent et maintenir une attitude positive sont autant d’éléments qui renforcent notre capacité à dire “non” de manière réfléchie.

En fin de compte, que vous soyez en haut de la hiérarchie ou à la base, n’oubliez jamais que chaque “non” est un pas vers la création responsable, un pas vers l’optimisation de notre travail, et un pas vers un futur où l’intelligence et la qualité prévalent. Ne sous-estimez jamais le pouvoir de dire “non” avec conviction, car c’est là que réside la véritable force de notre métier.

Dans la même série …

Cet article fait partie d’une suite d’édito sur l’engagement.

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