Episode 2 : Le repli après la tempête

Lili&Julie
5 min readJun 22, 2018

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Illustration Aurélie Azevedo

Résumé du premier épisode consacré à la perte de sens : Lili est architecte, Julie est journaliste. Amies de longue date, elles se retrouvent chacune à la trentaine avec l’impression de tourner en rond. Le sentiment de ne plus être à sa place, de devoir ramer pour continuer à avancer. La fameuse crise de sens, qui touche de plus en plus les jeunes actifs. Elles posent alors les prémisses d’une réflexion qui va les pousser à passer à l’action.

“Chaque être humain fait face à une question que lui pose l’existence, et il ne peut y répondre qu’en prenant sa propre vie en main” Viktor Frankl

Les Chinois considèrent les crises comme des opportunités plutôt que comme des échecs. Je ne me sens plus tout à fait à ma place dans mon métier d’architecte, qu’à cela ne tienne ! C’est après tout une chance pour se réinventer un parcours plus juste par rapport à ce que je suis aujourd’hui.

Premier symptôme de mon malaise : cette perte de sens avérée de mon activité est renforcée par le sentiment d’être dépossédée de mon temps. En écho à la société où tout s’accélère, le travail m’astreint à un rythme toujours plus effréné, les nouveaux outils créés pour nous faire gagner du temps ne parviennent pas à arrêter la frénésie. Je traverse les semaines en apnée. Et surtout : l’immédiateté et l’urgence créent une pression toujours croissante, qui me maintiennent comme une enclume dans un quotidien qui ne me convient pas. Le sens de ma vie n’est pas dans cette course folle ! Ma riposte consiste à me réapproprier mon temps d’activité puisqu’il constitue de fait la majeure partie de mes semaines. J’ose un « pas de côté » : créer des respirations et commencer à travailler aux quatre cinquièmes. Cette audace s’avère très rapidement payante, créant un espace oh combien fertile qui s’avèrera le terreau des projets à venir. Un temps d’écoute de la petite voix au fond de moi.

Transmettre, c’est contribuer, avoir un impact

Un beau jour, de ce temps libéré, une graine va émerger : l’envie de transmettre, puissante comme une nécessité. Un déclic apparu tel une évidence, susceptible de réinsuffler du sens à tout ce que j’ai appris. Partager mes connaissances, initier les regards, essaimer au-delà de moi. Transmettre, c’est contribuer, avoir un impact. Cette idée me réjouit et j’imagine déjà des ateliers pédagogiques où je guiderais les enfants en partageant avec eux mes découvertes. Un horizon se profile…

Oui, mais c’est sans compter le syndrome de l’imposteur… Cette croyance bien ancrée en soi qui s’immisce et vient nous chuchoter à l’oreille que l’on est pas légitime. De fait, c’est bien vrai : en terme de pédagogie, aucune ligne de mon CV n’atteste de compétence dans ce domaine, je suis architecte. Me voilà face à un des écueils de ces périodes d’introspection : le risque de tourner en rond et de laisser nos freins saboter les meilleures idées. Afin de le contrer, j’opte pour la carte de l’intuition, je me hasarde à parler de mon projet autour de moi. Et tout commence à pivoter.

Passer les turbulences de la crise, s’ouvre une période faite d’introspection, de doutes, de questionnements. Dessiner de nouveaux contours à son parcours professionnel invite à faire des choix, élaguer, redéfinir ce que l’on est.

Et maintenant, qu’est-ce qu’il se passe ? Une fois l’arrêt du journalisme acté, je ressens le besoin de prendre du temps pour moi, seule, pour questionner l’après. Comme aux lendemains d’une séparation amoureuse, je me pose pour digérer la rupture. Changer de voie passe par une acceptation. Accepter de ne plus maitriser. Accepter les errances et les détours. C’est un processus exigeant mais nécessaire, qui oblige à regarder en face ce qui ne va plus.

Commence ainsi une longue lutte contre moi-même, afin de ne pas me laisser décourager par les obstacles. Pour la première fois, j’envisage sérieusement de me définir autrement que par ce métier, constitutif de mon identité. De laisser derrière moi cette première tranche de vie. Alors je dresse des listes. Beaucoup de listes. Des tableaux à n’en plus finir. Je retrace le fil de mes aventures professionnelles, je tente d’objectiver mes capacités, ce que je sais faire et ce que j’aime faire. Au bout d’un moment, je tourne en rond devant mes cahiers. J’entrevois les limites de mes interrogations en solo. Certes, je suis parvenue à dresser le portrait de mon moi journaliste, mais je sens qu’il me manque une brique pour aller au bout de ma réflexion, pour définir ce que je veux pour l’après. Je croise alors la route de Switch collective. Un programme en six semaines à la promesse alléchante : faire le bilan calmement, au sein d’un collectif de 40 personnes. Ensemble, on partage nos expériences et nos aspirations, on échange sur les causes qui nous tiennent à cœur, sur nos peurs et nos atermoiements. Jusqu’à aboutir à ce que les co-fondatrices appellent le pourquoi, quoi, comment. Objectif : trouver l’environnement de travail qui nous corresponde, et qui fasse sens pour nous.

Travailler sur ses forces plutôt que sur ses faiblesses

Ces six semaines me permettent d’assoir mon capital d’apprentissage et d’examiner attentivement et sereinement l‘éventail des possibilités qui s’offrent à moi. J’ai travaillé sur mes forces plus que sur mes faiblesses, et je me sens capable d’affronter la suite. Je passe des premiers entretiens, pour tester ma nouvelle histoire. Car se reconvertir, c’est aussi apprendre à se raconter autrement, à expliquer cette envie de changement, les raisons qui poussent à quitter sa première vie professionnelle pour aller vers un ailleurs qui nous anime davantage. Au fur et à mesure, je trouve le fil conducteur qui rend cohérent aux yeux des autres cette reconversion. Je tâtonne quelque peu mais au gré des rencontres, je finis par identifier la communication comme un terrain de jeu créatif, au sein duquel je pense m’épanouir.

Et puis un matin d’hiver, je pousse la porte cochère d’un bel immeuble du 08ème arrondissement. Le premier jour d’une nouvelle vie.

Cette vie où je ne suis plus journaliste.

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Lili&Julie

Aurelie, architecte en plein switch; Julie, ex-journaliste devenue dircom en startup. Elles partagent l'amour des mots et un goût immodéré pour les histoires.