Episode 3 : L’exploration

Lili&Julie
6 min readJul 5, 2018

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Illustration Aurélie Azevedo

Résumé des premiers épisodes : Lili et Julie, la trentaine passée, sont deux amies, l’une architecte, l’autre journaliste. Après des premières années d’exaltation professionnelle, elles se trouvent confrontées à la fameuse “perte de sens”, ne se sentant plus à leur place dans leur job. S’en suit après une phase d’interrogation, de doutes, d’introspection : le repli après la tempête. Pour mieux s’aventurer ensuite sur le terrain…de l’exploration.

Lili

Se risquer à parler de son projet autour de soi, même si l’on n’en connaît que les prémisses, c’est commencer à le faire exister. Les mots comme premières briques de l’édifice. Et, avec un peu d’attention, des événements et coïncidences surgissent. Des opportunités aussi. C’est exactement ce qui s’est passé pour moi. J’avais évoqué avec des amis mon désir de créer des ateliers pour enfants, en marge de ma vie d’architecte. Très vite, je fais connaissance par ricochets d’une personne qui dirige justement une structure proposant des animations pédagogiques. C’est l’une de ces rencontres dont la vie a le secret. Elle m’invite à venir observer ses activités, puis en un rien de temps, me voilà propulsée : l’équipe a besoin de renfort. Ni une, ni deux, j’écoute mon cœur, et ma raison reste (pour une fois) au vestiaire ! J’accepte de relever le défi et d’animer ces séances avec les enfants, pour mon plus grand plaisir.

Saute dans le vide. Et le filet apparaîtra !

Je me lance dans cette activité avec passion. Sans aucune préparation, ni formation. Retrouvant le pur plaisir de faire et d’expérimenter, de fabriquer avec les enfants des architectures, de les étudier avec eux pour aiguiser leur regard et leur curiosité. Même si cela ne correspond pas exactement à mon projet d’origine _mes idées d’ateliers sortant de ce cadre de thématiques pré-établies_ j’entrevois dans cette expérience la chance de m’en approcher. Gravir une marche, un petit pas me permettant d’approcher ce terrain inconnu, de me tester moi-même dans ce milieu professionnel qui n’est pas le mien. Je reste “officiellement” architecte donc les risques sont mesurés. Dans un premier temps, je m’engage dans cette voie sur mon temps libéré par mon 4/5ème et mes week-ends. Ma “double vie” peut ainsi rester discrète, passer inaperçue…

Apprendre en faisant, comme les enfants

Sans pré-requis, je m’appuie alors pleinement sur mon instinct, puisant dans la somme des compétences et expériences engrangées jusqu’ici. Guidée par ce que j’aime le plus, l’enthousiasme très puissant qui me gagne se répand aussi sur mon auditoire. C’est gagné ! Je découvre d’autres aptitudes en moi, elles se révèlent à l’aune de cette nouvelle expérience. Solliciter des ressources jusqu’ici inexplorées, voire inconnues. Et mon horizon s’élargit… Tant et si bien que, progressivement, ces apartés hebdomadaires prennent de plus en plus de place. Ces bols d’air réguliers, je les attends avec impatience. L’intensité de ces moments d’ateliers me fait apprécier de nouveau les jours où je suis au bureau, devant mon ordinateur. J’aime d’abord ce contraste, un nouveau rythme se crée entre ces deux activités : je suis plurielle, “slasheuse” — juxtaposant plusieurs activités. Mais l’équilibre tient à peu de chose. Un jour, je m’aperçois que je suis tiraillée entre ces deux pôles et que j’ai laissé de côté mon projet d’origine. Je n’ai plus aucun temps disponible pour le faire grandir, ni l’énergie d’ailleurs.

En terme de rémunération, un gouffre sépare mes deux “métiers” : cette seconde activité ne pourra jamais vraiment se suffire à elle-même. Après deux ans à ce rythme, ma double vie ne me comble plus vraiment. Je cours de l’une à l’autre sans pour autant avoir envie de choisir l’une plutôt que l’autre. J’en ressens les limites, le plaisir s’est dilué. Je questionne ma boussole intérieure : “Est-ce que je fais encore fausse route ?”

Au beau milieu d’une phase de questionnements surgit souvent le besoin d’ouvrir une nouvelle porte : sortir de sa zone de confort pour explorer une nouvelle voie, un terrain inconnu ou une piste qui nous attire. Une manière de confirmer une intuition, de cerner mieux encore ce qui nous plaît et de commencer à se redéfinir autrement.

Julie

Mes premiers pas professionnels hors du journalisme sont hésitants mais encourageants. J’apprends énormément, teste certaines choses et trouve rapidement dans la communication une grande créativité que je ne soupçonnais pas. Je m’amuse avec les codes des réseaux sociaux, j’organise des évènements, je crée beaucoup de contenus…certes, mon métier de journaliste me manque, mais pas du tout mon ancien univers professionnel. Je redécouvre le plaisir d’apprendre de nouvelles choses, d’être dans l’expérimentation permanente. Un sentiment grisant, inhérent à la reconversion professionnelle.

Tous les signaux semblent être au vert, me direz-vous…c’était sans compter sur une structure qui, j’allais vite m’en rendre compte, ne collait pas du tout avec mon “comment”. Béa et Clara, les deux inspirantes co-fondatrices de Switch collective, avaient bien insisté lors de la formation sur l’importance de ce fameux “comment” : au sein de quel environnement de travail ai-je envie d’évoluer ? Être freelance ou travailler en équipe, plutôt sous la forme salariale classique ? Être encadré ou bien très libre ? Travailler dans des bureaux en flex-office où le télétravail est encouragé, ou être attaché à avoir son propre bureau ? Autant d’éléments qui, mis bout à bout, dessinent les contours d’un univers de travail dans lequel l’on se sente pleinement à son aise.

Je réalise dans la douleur combien l’autonomie m’est nécessaire

Toutes mes habitudes professionnelles sont ici remises en question, et on peut dire que j’expérimente vitesse grand V ! Journaliste, j’avais toujours connu un rapport à la hiérarchie très souple, avec une immense autonomie et la liberté de m’organiser comme je le souhaitais, gérant mes horaires à ma manière…l’important, c’est avant tout que le sujet soit livré en temps et en heure. Je découvre à l’inverse une culture d’entreprise traditionnelle (voire traditionaliste), avec hiérarchie pyramidale, micro-management, autonomie quasi nulle…le choc est rude. Autant la transition du journalisme à la communication se passe en douceur, autant je vis très mal ces rapports de travail où je me retrouve à devoir justifier mes moindres faits et gestes. Des rapports contrôlants et infantilisants, qui coupent l’herbe sous le pied à toute velléité de prise d’initiatives. Je réalise alors dans la douleur combien l’autonomie m’est nécessaire. Sans ce paramètre, impossible pour moi de travailler avec envie et motivation. Je prends conscience que je vais devoir chercher une structure souple, où le management participatif est de mise, et où la pyramide s’est aplatie. Une structure où la prise d’initiatives est belle et bien encouragée, et non tuée dans l’œuf.

Un épisode vient sceller définitivement l’affaire : un midi, mon responsable s’emporte contre moi pour une sombre histoire de logo. Un cap a été franchi. J’ai besoin de me reconnecter à mes tripes, à mon intuition. Trouver ce qui va vraiment me faire vibrer, aussi fort que sur le terrain avec une caméra en reportage. La phase d’exploration continue : tester, tâtonner, re-tester, valider, infirmer, avancer, reculer… La reconversion est un processus long, et ce premier switch ne sera pas le dernier. Loin de là.

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Lili&Julie

Aurelie, architecte en plein switch; Julie, ex-journaliste devenue dircom en startup. Elles partagent l'amour des mots et un goût immodéré pour les histoires.