L’IA forte est-elle réalisable ?

Dans un précédent article j’expliquais les différences entre l’intelligence artificielle faible et forte. Dans cet article je donne quelques éléments pour comprendre la difficulté de la réalisation d’une IA forte.

Steven Bias
5 min readApr 24, 2019

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L’intelligence artificielle forte représente la « vraie » intelligence artificielle, une intelligence générale, dotée d’une conscience, capable de comprendre les émotions et de résoudre des problèmes dans des environnements complexes. Alors que les transhumanistes l’attendent avec enthousiasme, l’IA forte anime des débats sur la possibilité qu’elle puisse exister un jour ou non. De nombreux arguments sont avancés pour défendre les deux thèses et l’objectif de cet article n’est pas de les étudier un par un, mais d’en aborder quelques uns pour se faire une idée des obstacles à surmonter afin de réaliser une superintelligence. En effet, s’il y a un point où les différentes parties s’accordent, c’est qu’elle n’est pas près d’arriver, voyons pourquoi.

« il n’y pas d’intelligence, c’est simplement une masse de données et un peu de statistiques. Il suffit d’ailleurs de regarder les chiffres : DeepMind, c’est 1500 CPU, environ 300 GPU, quelques TPU et 440 kWh. L’humain en face, c’est 20 Wh. » — Luc Julia

Tout d’abord les chiffres

Une intelligence artificielle forte doit être capable d’imiter le cerveau humain dans n’importe quel environnement, pas uniquement sur un plateau d’échec ou de go. Dans notre cerveau, la cellule élémentaire qui permet de transmettre et traiter l’information est le neurone. Dans notre cerveau nous possédons plus de 80 milliards de neurones, ces neurones sont connectés par l’intermédiaire de synapses. L’information nerveuse peut être transmise à une vitesse allant jusqu’à 120 m/s, ou 430 km/h, à travers plusieurs millions de milliards de synapses. S’il on veut avoir une intelligence artificielle, nous avons ici une vague idée des capacités qu’elle doit avoir d’un point de vue du matériel informatique. Au début des recherches en IA, l’informatique n’était pas assez développer pour avoir du matériel permettant d’imiter les capacités du cerveau. Puis avec la loi de Moore, qui a annoncé l’évolution exponentielle de la puissance des processeurs, l’arrivée d’internet et ensuite celle du big data, la barrière des contraintes matérielles est tombée. Effectivement, le supercalculateur « Summit », l’ordinateur le plus puissant au monde possède plus de 9 000 processeurs, plus de 27 000 processeurs graphiques et est capable de faire 200 millions de milliards d’opérations en une seconde. Créer une machine copiant la puissance du cerveau humain semble jouable. Néanmoins, Summit a besoin de beaucoup plus d’énergie qu’un cerveau humain puisqu’il fonctionne avec plus de 4 000 serveurs qui possèdent chacun 2 processeurs et 6 cartes graphiques.

En outre, aujourd’hui les serveurs permettent de conserver des quantités énormes de données. Ces quantité de données ont permis de faire évoluer les algorithmes utilisés en intelligence artificielle. Cela a particulèrement été remarqué au concours ImageNet Large Scale Visual Recognition Challenge (ILSVRC) où les algorithmes doivent reconnaître et classer des images.

https://hackernoon.com/evolution-of-image-recognition-and-object-detection-from-apes-to-machines-580ed4247f1e

Cependant, Luc Julia, le co-créateur de Siri, nous rappelle que ces IA sont « des systèmes capables de reconnaître des chats avec un taux de réussite de 95% en leur fournissant 100 000 images de chats. Alors qu’un enfant n’a besoin que de deux images de chat pour en reconnaître un toute sa vie, avec un taux de réussite de 100%.» Avec une grande puissance de calcul et de grande bases de données, imiter le cerveau humain semble de plus en plus à la portée des chercheurs. C’est pourquoi les réseaux de neurones artificiels sont revenu au devant de la scène accompagnés du machine learning pour redynamiser la recherche en intelligence artificielle. Actuellement dans une des méthodes du machine learning, le deep learning, ces réseaux peuvent être composées de plusieurs millions de neurones. Pour l’instant, cette complexité nous permet uniquement de faire des IA spécifiques et relativement faibles, incapable d’évoluer dans un environnement autre que celui que leur est prédestiné. Serions-nous capable de gérer la complexité qu’une IA forte induirait ?

« Étant donné que la pensée inclut un élément non calculable, les ordinateurs ne pourront jamais faire ce que nous autres êtres humains faisons. » — Roger Penrose

Ensuite les concepts

Si la puissance de calcul nécessaire pour réaliser une intelligence artificielle forte ne semble pas être un obstacle insurmontable, les concepts pour simuler une intelligence humaine nous font cruellement défaut. La notion d’intelligence est elle-même controversée, bien que elle ait été très étudiée en psychométrie, il semblerait que l’Homme possède plusieurs formes d’intelligence qui ne soit pas mesurées par les tests de quotient intellectuel (QI). On s’accorde tout de même à noter que l’intelligence représente la capacité à relever de l’information, la traiter, puis à prendre une décision. C’est ce qu’est capable de faire une IA faible dans un environnement très restreint. Mais l’intelligence humaine permet justement de s’adapter à divers environnements, de formaliser des concepts, de comprendre les idées pour ensuite prendre une décision. En 1968, un programme informatique a été développé pour comprendre le langage humain. Ce programme nommé SHRDLU était capable de comprendre son monde, un « monde de blocs », de déplacer des blocs sur demande de l’utilisateur et d’expliquer comment il avait fait. Toutefois, malgré l’environnement très restreint, les questions auxquels il était capable de répondre était assez limitée.

SHRDLU in Action

Une machine capable de pensée implique qu’elle soit capable de prendre conscience d’elle-même, c’est ce que nous a très bien démontré Descartes avec « cogito ergo sum » (je pense donc je suis). La conscience artificielle est donc une étape importante pour la réalisation d’une IA forte. Certains chercheurs travaillent sur des modèles de conscience artificielle, comme le français Alain Cardon qui publie depuis 2011 des travaux sous licences Creative Commons, donc gratuits et libres d’accès. Une discipline traite justement de l’intelligence et de la conscience, ce sont les sciences cognitives. Un des acteurs de cette discipline, Antonio Damasio, a d’ailleurs écrit un ouvrage pour contredire Descartes. Il affirme que les émotions ont leurs importances sur la prise de décision. L’intelligence émotionnelle est la capacité à analyser, comprendre et exprimer les émotions pour les prendre en compte dans les raisonnements. Or, l’intelligence émotionnelle semble totalement absente des programmes d’intelligence artificielle et être un véritable frein pour l’intelligence artificielle forte. Toutefois, depuis quelques années, l’analyse de sentiments sur les réseaux sociaux semble être une voie privilégiée pour entraîner les IA à comprendre les sentiments et les prendre en compte dans sa prise de décision. Mais pour développer une intelligence émotionnelle artificielle, le chemin semble encore bien long.

En somme, le cerveau humain est un organe complexe qui semble être la clé de compréhension de notre intelligence. Il n’a pas encore dévoilé tous ses secrets, tout comme l’intelligence dont nous avons tant de mal à saisir la notion. Les machines sont suffisamment puissantes pour apprendre et être plus efficaces que l’Homme. Toutefois, cette puissance de calcul ne sert que certains domaines. Pour devenir forte, il est nécessaire de construire des concepts qui pourrait copier l’intelligence humaine dans des environnements ouverts. Certains chercheurs comme Roger Penrose pensent que l’IA forte est infaisable avec les ordinateurs actuels mais qu’avec des ordinateurs quantiques cela deviendrait possible. La physique quantique pourrait bien être la prochaine discipline qui va permettre à l’intelligence artificielle de faire un bond en avant.

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