Hans Eijkelboom, le vêtement en répertoire

Stéphanie Thrt
stephanieT
Published in
4 min readMar 1, 2018

Un répertoire. Du quelconque et du commun, du commun à la foule. À toutes les foules à travers le monde : Amsterdam, Nairobi, New York, Mexico, Shangai, Arnhem. Depuis 1992, Hans Eijkelboom 1 photographie les gens de la foule selon un rituel particulier, ce sont Les gens du XXIe siècle 2. Il se positionne à un endroit précis, par exemple à proximité d’un centre commercial. Il observe les passants et choisit un détail qui l’interpelle : une couleur, un motif, un accessoire. Pendant 30 minutes à 2 heures, il observe patiemment et mitraille incognito toutes les personnes qui ont en commun cet élément choisi. Il édite et compose ses séquences en indiquant le lieu, la date et l’heure, la durée de la prise de vues.

Si l’idée peut paraître fantaisiste elle dévoile pourtant plusieurs choses : — l’uniformisation des cultures, particulièrement dans les milieux urbains et l’aflfaiblissement des singularités vestimentaires représentant un groupe particulier : communauté, ethnie … Ces spécificités de l’habit sont de plus en plus rangées dans la catégorie du folkore. — un questionnement sur l’identité de soi et la vérité de ses propres choix. Sommes nous -comme l’ont pensé Lefebvre et Marx- soumis à des puissances économiques dominantes ? Quels sont leur produit et pourquoi ? Quel est le rôle de la publicité ? Eijkelboom se demande « Je suis juste en train de poser la question que nous nous posons tous, qui est, suis-je un individu indépendant, ou suis-je tout simplement un produit de la culture dans laquelle je vis ? 3 » — l’idée de la diversité et de l’unicité. Les gens photographiés sont des passants parmi d’autres, d’âges, de catégories sociales, d’ethnies, de professions, de confessions, d’apparence physique variés. Qu’est ce qui nous distingue et qu’est ce qui nous rapproche ? Ici, la personne repérée pour un détail est différente de celles qui l’entourent. Mais lorsque son portrait est associé à ceux des porteurs du même détail, elle est alors pareille. — un regard sur la mode et le prêt-à-porter et le rôle des marques : Qui fait la mode et quelle mode se fait ? Pourquoi ? — comme les photographes évoqués, une capacité à révéler la beauté intrinsèquement dissimulée dans la banalité. En apparence, le projet est inesthétique. Mais dans la globalité, à travers les séries réunissant les personnes porteuses du même sac, d’un pull au même motif, l’harmonie apparait; tout comme la joliesse peut être présente dans des détails autres : un regard expressif, une coi ure apprêtée, une expression, une attitude, une façon d’être ou de se tenir. Le photographe explique que «quand on regarde tous ces tee-shirt à rayures par exemple, çà peut faire un peu peur, mais si vous regardez une personne qui porte un tee-shirt à rayures et qu’on regarde ses yeux on voit qu’il cherche la vie. Je vois des individus, jamais une masse 4 ». — une invitation à observer son environnement à s’en émerveiller. Le photographe commente « C’est incroyable que tout ces gens portent une veste jaune. Il y a un encore, les gens ne portaient pas de vêtement jaune 5 ». Ainsi, Eijkelboom utilise son appareil photo comme outil pour composer une œuvre ouverte sur la culture populaire et l’inexhaustivité de ses artifices.

En 2015 pour Le Mois de la Photo à Montréal, Eijkelboom présente également The Street and Modern Life. Réalisé pour Multistory, un organisme d’art anglais qui cherche à documenter la vie quotidienne, une double frise se compose de centaines de photographies de passants prises sur l’instant dans l’espace public à Birmingham, passants qui e ectuent un geste similaire, porte le même vêtement…

__________________________________________________________________

notes

1- né en 1949 à Arnhem, artiste conceptuel, formé à l’Arnhem Academy of Visual Arts (1968–1973) , vit et travaille à Amsterdam. Expositions individuelles et collectives à travers le monde et publication d’un cinquantaine de livres. 2. Le projet est retranscris dans l’édition Hommes du vingt et unième siècle (Phaidon) qui comporte 6000 photos répartis en 3 livres qui peuvent se manier simultanément. Il a été exposé en 2015 à Paris, au Cent Quatre et chez Colette 3. Article en ligne Vice URL Publié le 31 octobre 2014, Consulté le 8 novembre 2015 Eijkelboom : «I am just trying to pose the question we all ask ourselves, which is, Am I an independent individual, or am I simply a product of the culture in which I live?» 4–5. Podcast URL : http://tracks.arte.tv/fr/hans-eijkelboom-photographe-de-lordinaire Publié le 28 février 2015, Consulté le 8 novembre 2015

précédentsuivant

--

--