Borgen, montrer la politique sans fard

Valentine Serino
4 min readAug 14, 2017

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« En politique, le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal » Machiavel

Borgen a été diffusée sur la chaine danoise DR1 de 2011 à 2013. Au Danemark, la leader du parti centriste, Birgitte Nyborg, est élue Premier ministre à l’issue des élections législatives. Surprise de cette victoire inattendue, elle va prendre le pouvoir sans être préparée à ce que sa nouvelle position implique, tant professionnellement que personnellement. Si elle n’est pas novice, Nyborg s’apercevra vite que l’exercice du pouvoir entre parfois en contradiction avec la poursuite d’idéaux, et comprendra qu’être au pouvoir ne protège en rien de la violence du milieu politique…

S’adapter à un costume parfois trop grand

Le pouvoir oblige à faire des concessions, force à lâcher du lest, parfois à occulter ses idéaux au profit d’un certain pragmatisme. Les séries télévisées politiques « réalistes » comme Borgen illustrent, au travers des questionnements de leurs personnages, la vraie difficulté à atteindre l’idéal de gouvernement vertueux. Cette série rappelle que ce sont les fonctions occupées et les circonstances vécues qui sont exceptionnelles, pas les personnes qui sont, elles, « normales » — et donc pas toujours à la hauteur des enjeux. Dernièrement, c’est Designated Survivor (ABC, 2016) qui a su mettre en scène un Président américain en proie au doute et en perpétuel questionnement sur le sens de ses décisions politiques.

La série « réaliste » se veut assez pédagogue et montre la complexité de la prise de décision. En matière d’arbitrages politiques, la fiction retranscrit très justement les particularités du régime parlementaire danois, marqué par le système des coalitions. La série est rarement aussi magistrale que lorsqu’elle se concentre sur les tractations lors de la formation de gouvernements… épisodes jouissifs garantis.

Spécificité culturelle oblige, les luttes politiques sont principalement internes : la centriste Nyborg se retrouve malgré elle au milieu de luttes partisanes intra-gouvernement, tout en faisant face en parallèle aux vendettas personnelles et tentatives de déstabilisation.

Chaque jour présente son lot de violences et de dilemmes. Ces dilemmes sont ceux d’individus qui doivent s’effacer devant leur fonction, qui sont obligés de faire des arrangements avec leurs convictions et parfois leur conscience. Qui sont obligés de s’oublier, parfois totalement. Et toujours au nom de l’intérêt général.

La politique, un chemin de croix en solitaire

Borgen montre brillamment comment la vie privée pâtit de l’engagement politique et de ses nombreuses contraintes. Effacement de la femme, de la mère, de l’amie, face à la mission de Premier ministre. L’éloignement physique d’un travail prenant, des décisions difficiles à prendre et impossibles à partager avec ses proches : la solitude est inhérente à l’exercice du pouvoir. Plus les individus se rapprochent du pouvoir, plus ils s’éloignent de tout le reste. La fonction est présente partout et rogne les moindres moments de vie personnelle.

[ATTENTION SPOILERS SAISONS 1–2] Détail qui a son importance : au début de la saison 1, Birgitte Nyborg rentre à peine dans une jupe et ne porte que des vêtements colorés. En fin de saison, elle s’est délestée d’une petite dizaine de kilos et n’opte que pour les tailleurs gris-noir. Lors de la saison 2, elle se découvre un cancer… La politique « bouffe » littéralement, elle ronge de l’intérieur. Les institutions dépassent les individus qui les incarnent.

Un avant / après effrayant

Adam Price, showrunner, avait en ce sens indiqué vouloir dresser le « portrait intime d’une femme mise à l’épreuve par le désir d’être meilleure dans son boulot », et faire une série « à propos d’une femme qui veut tout : une belle carrière, un mari formidable, des enfants heureux, une vie de famille. Nous sommes à une époque où nous pensons que nous pouvons tout avoir — mais ce n’est pas possible ».

Une série pour comprendre ceux qui font de la politique

Borgen oblige le spectateur à faire preuve d’un peu de tolérance à l’égard de nos dirigeants. La fiction montre, via son personnage principal droit et intègre (qui se prend donc pas mal de coups dans la gueule), que la politique n’épargne personne, que les premiers à souffrir du pouvoir sont parfois ceux qui l’exercent. Les responsables politiques sont des hommes et des femmes qui font ce qu’ils peuvent, qui prennent le risque de finir étouffés, écrasés.

Nous sommes donc encore dans une forme d’idéalisme, mais Borgen nuance énormément son propos et montre les frustrations, contrariétés et souffrances qui s’imposent au dirigeant qui doit prendre en compte toutes les possibilités, toutes les sensibilités, pour faire des choix qui seront les mieux possibles pour la collectivité — mais pas forcément pour lui.

Borgen est une série qui…

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