The West Wing, ou comment représenter la démocratie idéale

Valentine Serino
4 min readAug 12, 2017

--

« Le vrai politique, c’est celui qui sait garder son idéal tout en perdant ses illusions » John Fitzgerald Kennedy

The West Wing a été diffusée sur la chaine américaine NBC de 1999 à 2006. Série politique désormais culte, on y découvre le quotidien peu ordinaire de l’Aile Ouest de la Maison Blanche, où travaillent les plus proches collaborateurs du Président des Etats-Unis. Le spectateur voit tout ce que doit faire le cabinet du Président pour l’accompagner dans ses prises de décision, prises de parole… Chaque collaborateur agit comme un rouage de la machine qu’est la démocratie américaine.

Une série pour répondre au besoin de “réenchantement”

Disons-le sans ambages : The West Wing montre la politique telle qu’elle devrait être. Un Président brillant qui fait montre de son savoir et reste humble en toute circonstance, des membres de cabinet fortement impliqués professionnellement et émotionnellement, qui sont entièrement tournés vers l’intérêt général, à disposition du Président et au service du peuple américain. C’EST BEAU

Regardez ce générique ! Les sourires, la bannière étoilée, la musique grandiose…

LA POLITIQUE C’EST TROP BIEN (Non ?)

Certains dialogues sont du même ordre :

« Président Bartlet : Notre priorité, c’est le Congrès ?

Oui, Monsieur.

N’est-ce pas de servir au mieux le peuple américain ? »

Lors de cet échange entre le Président et son Vice-Président (S01E08), on ne peut que rêver, ou rire devant tant de bons sentiments. Signe que nous avons déjà changé en une décennie ?

La série est en effet diffusée peu de temps après le scandale Clinton-Lewinsky, et prend son essor sous la présidence de George W. Bush, l’un des présidents contemporains US les plus impopulaires. A l’époque, les Américains ont donc envie de croire que des politiques sérieux et talentueux existent encore… Ainsi, le Président Bartlet est respecté pour la fonction qu’il incarne, mais il est apprécié en tant qu’homme de valeurs et véritable érudit ; chacune de ses interventions a pour but d’apporter une preuve supplémentaire de ses qualités exceptionnelles.

Le but, assumé par les scénaristes, est de divertir et de réenchanter la politique. De se servir de la fiction pour croire de nouveau en l’action publique, bien réelle cette fois-ci.

Vous l’aurez sans doute compris, j’ai moyennement apprécié cette série, mieux vaut être honnête. Opter pour l’idéalisme est un parti pris qui présente le risque d’occulter les aspects peu attractifs de la politique et de taire les comportements non conformes à l’idéal démocratique — et ils existent hélas. Au sein du cabinet de Josiah Bartlet, il y a peu de compétition ou de concurrence, pas de coups bas ni de conflits d’intérêts, pas de scandales. Les joutes verbales sont brillantes. Chacun est bien à sa place. C’est tant mieux. Mais c’est oublier que les politiques et leurs entourages sont des êtres humains et qu’ils sont par conséquent faillibles. Qu’ils ont des petits défauts comme tout le monde.

La vie politique réduite au chef d’Etat

Le format de la série — il faut retenir les téléspectateurs tout au long de la saison — impose de susciter un attachement fort à des personnages charismatiques ; mais cette exigence purement technique a forcément des effets sur la perception de l’action publique. Je m’explique : à trop se concentrer sur le chef de l’Etat et ses collaborateurs, et toutes les séries ont le même travers, on peut laisser penser au spectateur que tous les enjeux d’ordre public sont gérés par une petite équipe de dirigeants tout-puissants. Ce qui est faux, évidemment. Et heureusement, c’est le concept même de la démocratie d’avoir un pouvoir diffus (« le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple »).

Les séries politiques se rejoignent donc sur ce point, et The West Wing en est l’apogée : la politique n’est incarnée que par les dirigeants et leurs proches collaborateurs. On retrouve autour de ces personnages des journalistes, parfois des lobbyistes, mais globalement les protagonistes sont des professionnels de la politique stricto sensu, qui « vivent par et pour la politique », si l’on reprend la définition de Max Weber. L’administration et les fonctionnaires ou même les citoyens ordinaires sont totalement évacués de la question pourtant essentielle “qui exerce le pouvoir ?

La série politique part du principe que le pouvoir est entre les mains du dirigeant. Point. A une époque où l’impuissance des responsables politiques apparait de plus en plus clairement, où finalement les gouvernements se succèdent sans réussir à éradiquer certains problèmes, The West Wing et son idéalisme viennent rassurer le spectateur : le Président a toutes les cartes en main et il a les moyens de sauver la nation.

Mais dans d’autres fictions…

- Le dirigeant est-il à la hauteur de la fonction ? Borgen apporte des pistes de réponse…

- Le politique a-t-il seulement envie de servir l’intérêt général ? House of Cards nous alerte sur ce danger…

Si ce billet vous a plu, intéressé, interloqué, que sais-je encore, vous pouvez me suivre sur Twitter @ValentineSerino

--

--