House of Cards, quand nous adorons détester les politiques

Valentine Serino
4 min readAug 24, 2017

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« La défaite peut se révéler une délicieuse attente quand on sait comment préparer sa revanche » Cincinnatus

House of Cards est diffusée sur Netflix depuis 2012. A la suite de l’élection présidentielle qui a vu le candidat démocrate l’emporter, le sénateur Frank Underwood attend sa nomination en tant que Secrétaire d’Etat, comme convenu. Mais en politique, les promesses n’engagent que ceux qui y croient… et Frank reste au Sénat. Face à ce qu’il considère comme une trahison, Underwood consacrera son temps et son énergie à faire tomber le nouveau Président ; avant de viser plus loin ?

Un monde politique ultraviolent

L’air du temps est aux anti-héros et aux personnages principaux un peu salauds dans tous types de séries télévisées, et la campagne de promotion de la saison 1 de House of Cards a très vite donné le ton (confirmé au fil des années…).

En deux images, on est déjà trèèès loin de l’angélisme de The West Wing.

Le cadrage de la série, c’est-à-dire l’ensemble des faits mis en valeur ainsi que la façon d’en parler, met définitivement en avant une vision de la politique qui est sans doute plus proche de ce que les citoyens en pensent désormais : la politique est un milieu foncièrement violent, pervers jusqu’à l’ecoeurement. C’est en partie vrai, mais le constat est très largement exagéré dans House of Cards qui se concentre sur UN aspect de la vie politique. La politique, c’est violent certes, mais pas uniquement.

Le milieu politique est présenté comme en état de guerre permanente des uns contre les autres, les personnages utilisant les outils institutionnels à des fins strictement personnelles — ce qui n’est pas franchement en accord avec la poursuite d’idéaux normalement inhérente aux fonctions occupées. L’aspect compétitif de la politique est mis en valeur, c’est avant tout un espace où des individus sont prêts à se battre, y compris physiquement, pour l’obtention ou l’influence sur la distribution du pouvoir politique (les sorbonnards reconnaitront Bourdieu). Mensonge, scandale, corruption, chantage, meurtre (!) : Frank Underwood ne recule devant rien pour se venger et conquérir le pouvoir…

Le nom de la série, le « Château de cartes », rappelle que rien n’est jamais acquis, que l’on peut gagner du pouvoir ou de l’influence, mais aussi tout perdre en une fraction de seconde. La série est le pendant de The West Wing, l’autre côté caricatural de la médaille, en reléguant au second plan l’exercice du pouvoir et en éliminant presque totalement l’idée d’intérêt général, qui n’est incarnée que par une autre profession, celle des journalistes.

Une loupe sur les failles du système américain

Parler de château de cartes, c’est aussi affirmer que si les hommes (et femmes) sont de passage, les institutions elles, restent. Le générique de la série permet de prendre le recul nécessaire par rapport aux intrigues et manoeuvres. En effet, il représente en accéléré une journée ordinaire à Washington D.C., ne montrant que des lieux vides de toute présence humaine.

A la façon de Claude Lefort qui décrivait la démocratie comme un lieu vide — le pouvoir ne saurait être incarné durablement par une seule personne du fait de l’alternance — le générique de House of Cards tente de rappeler qu’en dépit de la compétition qui fait rage, aucun individu n’est irremplaçable en politique. Ce que veut précisément remettre en cause Frank Underwood.

Parce que le pouvoir, on y prend goût. Oui oui. Nous avons tous en tête le nom d’élus qui ne veulent pas lâcher leur mandat… À une époque où nous attendons l’exemplarité de la part de nos dirigeants, avouons que les manipulations de Frank pour rester au pouvoir ont quelque chose de fascinant !

Underwood 2016, 2020, 2024, 2028, 2032, 2036… « Une nation Underwood »

[ATTENTION SPOILERS SAISONS 4–5] Dès que Frank, devenu Président des Etats-Unis, nomme son épouse et partenaire en politique Claire Underwood en tant que Vice-Présidente, l’un comme l’autre se prennent à rêver à des Etats-Unis éternellement sous le Pavillon Underwood… À la mégalomanie du couple se mêle un mépris de la volonté du peuple et une remise en cause des bienfaits de l’alternance propre à toute démocratie qui se respecte. Ce qui n’est guère étonnant lorsqu’on détaille le parcours de Frank jusqu’au sommet du pouvoir, émaillé d’”irrégularités” :

  • Démission du Président Walker –> Nomination en tant que Président
  • Élection présidentielle 2016 –> Trucage des résultats dans plusieurs États –> Réélection sur le fil face au candidat républicain Will Conway
  • Scandale sur ledit trucage –> Démission de Frank Underwood et nomination de sa Vice-Présidente en remplacement… [FIN DES SPOILERS]

Autant d’éléments qui donnent du crédit à une phrase désormais célèbre du personnage principal :

Frank, ce personnage brillant qui met toute son intelligence et son sens politique au service du « mal », n’est pas avare en confessions et conseils auprès des spectateurs… la suite au prochain épisode.

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