Les Histoires d’un étudiant sans histoires

Final

Alma Mater
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23 min readMar 13, 2018

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Retrouvez les parties précédentes ici : Partie 1 , Partie 2, Partie 3, Partie 4, Partie 5, Partie 6, Partie 7, Partie 8, Partie 9, Partie 10, Partie 11

Le flacon de pilules était posé au milieu de la table sous le regard dubitatif et curieux de Raph. D’un mouvement de tête, il chercha sur le visage de son camarade une quelconque solution à toute cette affaire : devait-il prendre ce médicament pour tenter de se souvenir ou tout simplement continuer à glaner les informations, alors qu’ils naviguaient dans le brouillard le plus total ?

Derrière la table, Miguel et Tulio continuaient à gesticuler dans de grands mouvements pour promouvoir leur produit miraculeux :

« Nous avons dosé la pilule avec le plus de précision possible, l’ami ! lança Miguel. T’sais, on a mis plus de LSD que de médoc pour Alzheimer dedans, pour éviter les effets secondaires, tout ça…

-Et vous l’avez déjà fait essayer à quelqu’un d’autre ? Demanda l’intéressé. »

Les deux dealers se regardèrent, puis lâchèrent un fier sourire :

« Evidemment ! commenta Tulio. C’est du matos qui marche plutôt bien. Comme la scopolamine d’ailleurs, mais ça on n’en vend pas.

-Une drogue que vous ne vendez pas vous, Miguel et Tulio ? demanda-t-il.

-Ouais, c’est une drogue qui fait mauvais genre. T’sais, c’est une drogue du viol quoi. Tu prends ça et… boom, tu es sous l’emprise de tout le monde.

-Quelque chose de bien flippant, compléta Miguel. »

Le stress commençait à monter chez Raph, et ce fut alors que son collègue, qui était resté discret jusque-là, posa sa main sur son épaule. Il avait une mine sérieuse comme il n’en avait jamais eu. Il prit la parole d’un ton solennel :

« Je dois avouer que cette affaire me rend… perplexe. Il nous manque encore un sacré morceau du puzzle à compléter et nous n’avons plus d’indice. A présent, c’est à toi de savoir si tu veux vraiment connaitre la suite de l’histoire.

-Je… le veux, répondit l’étudiant en déglutissant. »

Un silence.

« Tu le fais pour la meuf, hein ? ajouta Julien.

-Pas que. Tu peux pas savoir comment c’est troublant de ne pas se souvenir, et si cela me permet en plus de rencontrer une femme que je trouvais magnifique… » Il se tourna de nouveau vers les deux vendeurs : « Je vous prends la pilule. Si l’affaire marche toujours, évidemment. Combien je vais vous devoir ?

-Le bonheur n’a pas de prix, mon frère, répondit Tulio calmement. En temps normal, on t’aurait fait payer le tarif des amis, mais ton histoire est tellement hors du commun qu’on ne peut se permettre d’interférer avec tout cela ! Imagine, un jour, on écrit une histoire sur ta vie : tu penses que les gens auront quelle réaction s’ils lisent que les deux dealers ont fait payer l’homme amoureux à la recherche de sa dulcinée ?

-On va passer pour deux affreux connards, non ? lâcha Miguel.

-Exactement ! Cher ami, tu peux t’installer dans cette pièce : personne ne viendra t’embêter. Ton collègue pourra veiller sur toi ainsi. Prend tout ton temps. En théorie, avec une pilule, tu devrais voyager quelques heures. Hydrate-toi bien après. »

Ils se dirigèrent tout deux vers la porte.

« Merci beaucoup, dit Raph en attrapant le flacon sur la table.

- Aucun souci, amigo, répondirent-ils en cœur en claquant la porte. »

Le show des deux dealers étant à présent terminé, un nouveau silence se mit à régner dans la salle. L’étudiant aux cheveux blonds regardait les pilules à travers le verre du flacon, puis se leva de sa chaise pour se diriger vers un pouf qui se trouvait dans un des coins du petit salon. Il se laissa tomber en arrière et atterrit dans un grand bruit de frottement de billes contre du tissu. Julien l’avait suivi, puis pris la parole :

« Bon écoute, gros, je reste là. Je surveille à ce que tout se passe bien. Si on se débrouille bien, on peut avoir résolu l’affaire ce soir ! » Il regarda brièvement son téléphone : « Il est 18h32. On va le faire, amigo, ajouta-t-il en piquant l’accent des deux showmen. »

Julien pouvait sentir dans les yeux de Raph de la peur et de la détermination : il était prêt. L’amnésique ouvrit le flacon, attrapa une pilule du bout des doigts, l’analysa rapidement, et l’avala sans plus réfléchir. Il n’était pas un afficionado de ce type de drogue, et s’attendait à un effet pratiquement immédiat, ce qui ne fut pas le cas.

Alors que Julien farfouillait un peu la pièce à la recherche d’une activité pour patienter, son ami restait assis face au mur. Dans sa recherche, l’enquêteur en second trouva avec satisfaction un paquet de carte, et ils entamèrent une partie de président.

Raph commençait à avoir chaud et à suer de plus en plus. Son cœur battait fort. Après une dizaine de minutes, il posa ses cartes en milieu de partie, et commençait à tenir des propos hors contexte. Il se sentait partir, perdre le contrôle, et cela, avec un sentiment de familiarité.

La pièce tournait autour de lui, et lui tournait dans l’autre sens.

Son cœur battait extrêmement fort et donnait le rythme aux meubles qui se déplaçaient à travers les murs. A présent, il n’avait plus peur. Il se sentait voyager, partir à l’autre bout du monde. Ou plutôt d’un autre monde.

Des silhouettes dansantes et multicolores se dessinèrent devant lui. Elles se mouvaient avec légèreté et allégresse sur une musique reggae, puis sautèrent sur le plafond. Plafond qui devint le ciel noir de la nuit. Silhouettes qui devinrent les étoiles. Certaines d’entre-elles se joignirent pour ne former qu’un. La lune.

Lorsque son regard se baissa de nouveau à hauteur d’homme, le salon avait entièrement disparu. Juste disparu, il n’y avait plus rien. Raph flottait au milieu du vide. Seul. Une vague de peur lui prit les tripes. Il releva les yeux vers le ciel, mais les étoiles avaient changés de position, elles formaient à présent une forme de Y. Cette structure semblait se diriger vers la lune, puis la lettre s’y accrocha de par l’une de ses extensions… C’était un anticorps ? Mais oui ! Il avait examen d’immunologie dans deux jours. L’évidence le frappa comme une flèche en plein cœur.

Une fois l’information assimilée, le ciel obscur se mit à rétrécir sous ses yeux, des murs réapparurent, et il ne se sentait plus flotter. Il était assis sur une banquette en cuir. Etait-il dans un bar ? Non. Les murs rétrécissaient bien trop. Il était dans une voiture.

Des bruits tournaient autour de lui. Des sons. Des voix. Les traits de la voiture se dessinaient de plus en plus, ainsi que deux silhouettes colorées : le chauffeur en bleu, et une rose assise à côté de lui sur la banquette arrière. A travers les vitres, il ne pouvait voir que l’obscurité, ponctuée de quelques lumières toutes les cinq secondes.

Il se tourna doucement vers la silhouette rose à sa gauche. Elle n’avait pas de visage. Juste des formes douces et clairement féminines. Il avait envie de la toucher, de la comprendre, mais quand il approcha sa main, la silhouette vira au rouge vif, puis au noir. La silhouette commença à l’engloutir petit à petit. Raph esquissait des cris avec sa bouche, mais aucun son ne sorti. Avant de finir dévoré par l’ombre féminine, il put entendre le chauffeur dire :

« Nous sommes arrivés.»

Raph se réveilla dans un sursaut, bien que « se réveiller » n’était pas exactement le mot. Il s’agissait plus d’émerger d’un océan de folie, vers un monde réaliste : le sol ne bougeait plus, ses vêtements étaient trempés de sueur, et la nuit était tombée. Il se sentait lourd, et nauséeux.

En balayant la salle des yeux, il entraperçut Julien qui s’était procuré un autre pouf et qui s’était endormi. Le blond ne lui en voulait pas, cela devait être horrible de surveiller un mec camé, surtout après la journée qu’il avait eu.

Avant de réveiller son ami, il mit sa main sur son front et commença à repenser au trip qu’il avait fait. Il avait l’impression que tout s’était passé en quelques dizaines de minutes, mais la réalité était toute autre. En regardant son téléphone, il vit qu’il était 23h28 : cela faisait plusieurs heures qu’il était ailleurs. Il ferma les yeux pour se remémorer, et tout le trip lui revint sans aucun souci. Les médicaments avaient bien fait leur travail. Il se souvint des murs qui tournaient, de l’examen d’immunologie, du ciel noir, de la voiture, de la femme, du chauffeur…

« Nous sommes arrivés. »

Un taxi ? se demanda-t-il.

Non, il n’en prenait jamais, cela coûte trop cher pour son statut d’étudiant. Il ne lui fallut que peu de temps pour que l’évidence apparaisse à ses yeux : il avait pris un Uber !

D’un geste rapide, il reprit son téléphone, et regarda son application : il en avait bien pris un, hier soir ! Il avait même une adresse. Il s’agissait d’un quartier en bordure de Paris, dans la banlieue. Peut-être s’agissait-il de l’adresse de la fameuse silhouette rose ?

En repensant à cette entité, il eut un moment de tension, de mal-être. Il avait comme un instinct primaire qui lui criait de ne plus y penser. La pilule avait eu un effet aussi bénéfique que stressant sur son corps.

Il prit le soin de reprendre le numéro du chauffeur et de l’appeler immédiatement pour qu’il puisse les amener à la fameuse adresse. L’étudiant prit la décision d’attendre un peu avant de poser des questions, et de profiter du trajet pour avoir la possibilité de s’exprimer de vive-voix. Heureusement, l’individu était disponible, et arrivait dans quelques minutes.

Après avoir raccroché, il réveilla Julien en le titillant sur le fait qu’il s’était endormi. L’intéressé grogna quelque peu en réponse aux quolibets, mais retrouva vite le sourire suite à la nouvelle piste que Raph avait trouvé. Ils décidèrent donc de partir sur le champ.

Alors qu’ils se dirigeaient vers la porte, l’ex-drogué tituba et se rattrapa sur le mur : il allait avoir encore des séquelles pendant un sacré moment. Julien mit le bras de son ami derrière sa tête, et l’aida à avancer, comme lorsqu’une personne se foule la cheville. Ils saluèrent leurs nouveaux amis, les remercièrent et partirent après avoir bu quelques verres d’eau pour se réhydrater.

Lorsqu’ils quittèrent la cour du bâtiment, l’Uber était garé sur le trottoir d’en face.

Les deux enquêteurs avancèrent jusqu’à lui, et Julien frappa à la fenêtre. En réponse aux coups sur la vitre, le conducteur la fit descendre. L’homme était un grand noir possédant une immense barbe grisonnante et une paire de lunette style années 80. Le visage de l’homme avait quelque chose de réconfortant et de chaleureux, ce qui rassura Raph sur le fait qu’ils auraient probablement des réponses à leurs questions, sans avoir à trop forcer.

« Bonsoir, lança Raph, c’est nous qui vous avons appelé pour le trajet.

-Oui, répondit l’homme avec un accent du sud de la France très prononcé. Je vous reconnais, vous savez ! C’est moi qui vous ai conduit hier à… la même adresse me semble-t-il ?

-C’est exact, répondit le biologiste. D’ailleurs, si cela ne vous dérange pas, j’aurai quelques questions à vous poser sur la veille au soir.

-Aucunement, monsieur l’agent, rétorqua-t-il avec un rire non feint. Montez ! »

Julien ouvrit la porte et aida son comparse à s’installer sur la banquette arrière. Après son expérience d’il y a quelques heures, il était déjà heureux de retrouver une place assise. Cependant, une fois que la porte fut fermée, une impression de déjà-vu s’est imposée dans l’esprit de l’étudiant. Le même sentiment de mal-être que lors du trip vint lui serrer la gorge.

« Vous avez l’air de peiner un peu, jeune homme, tout va bien ?

-Oui, oui, disons que cette journée a été très longue pour moi.

-Oh, je comprends bien, surtout après être rentré avec une si jolie fille hier soir !

-Je ne vous le fais pas dire, répondit-il en hésitant. Dites-moi, pouvez-vous me dire quoi que ce soit sur la jeune femme avec moi hier soir ? Un quelconque fait. »

Le chauffeur prit le temps de réfléchir.

« C’est une bien drôle de question. » Il se mit de nouveau à rire. A l’évidence, il était aisé de le mettre de bonne humeur. « Vous savez, je vois énormément de monde en une journée… De mémoire, elle s’appelle Margaux. Une grande fille à la peau légèrement bronzée et avec un charme sans pareil, si je puis me le permettre. »

Le prénom ne lui disait que vaguement quelque chose.

« Est-ce que nous discutions de quelque chose de particulier ?

-Vous étiez très bavards au début. Vous discutiez énormément à propos d’études, de la fête que vous aviez quittée et du fait qu’elle avait besoin de passer à l’adresse vers laquelle nous nous dirigeons actuellement avant de passer chez elle. Ah… ! » Il eut comme une illumination. « Il est vrai qu’après vous vous êtes embrassés, et qu’ensuite plus personne ne parlait. »

Julien mit un coup de coude à son ami signifiant clairement qu’il était fier de lui.

« Vous dites que plus personne ne parlait ? Etait-ce de la gêne ou parce qu’ils s’embrassaient sans arrêt ? demanda à son tour le deuxième enquêteur.

-En réalité, après vous êtes embrassés, vous avez dit que vous vous sentiez mal, en rigolant elle a demandé si son haleine était si mauvaise que cela, alors elle s’est nettoyé les lèvres avec un mouchoir, a pris un chewing-gum, puis vous avez ri ensemble. Ensuite, vous n’avez plus parlé du trajet, vous sembliez ailleurs. Quant à elle, lorsque vous êtes revenu de la maison, elle m’a demandé de vous déposer chez vous, après que je l’ai déposé chez elle un peu plus tôt. Vous étiez le dernier client de la soirée. »

Un silence de réflexion s’imposa de lui-même.

Je n’ai donc pas réellement passé la soirée avec elle. Elle m’a conduit jusqu’à…

« Dites-moi, est-ce que vous pouvez me parler de là où vous nous avez déposé la première fois ?

-Nous sommes à dix minutes de la destination. Elle avait dit qu’il s’agissait de la maison de ses grands-parents, me semble-t-il… A entendre vos questions, on dirait que vous avez perdu tout souvenir de la soirée précédente ! C’est tout de même incroyable !

-Je ne vous le fais pas dire, commenta Raph en pleine méditation. »

La suite du trajet se fit sans un mot, au milieu de la nuit. Ils avaient quitté Paris depuis déjà quelques minutes, transformant ainsi les grandes tours d’habitation en quartiers résidentiels.

Lorsqu’ils arrivèrent à l’angle de la rue menant à l’ultime adresse, ils purent apercevoir des gyrophares au milieu de la rue. Des gyrophares de voiture de police.

« Etonnant, commenta le chauffeur à l’attention de ses passagers. Les voitures sont exactement à l’adresse indiquée. »

Les cœurs des deux étudiants se serrèrent simultanément. Que s’était-il passé ?

« Vous voulez vraiment que je m’arrête à la fameuse maison ? J’ai tendance à croire que la petite Margaux vous a menti quant au fait qu’il s’agissait de la maison de ses grands-parents.

-Non, répondirent les deux sans hésiter. Par contre, roulez moins vite que l’on puisse regarder ce qu’il se trame… s’il vous plait. »

Le conducteur se mit à rire encore une fois.

« Ne vous en faites pas ! Je ne vais pas vous balancer. Vous tremblez comme des feuilles, les jeunes ! »

Julien, qui n’était coupable de rien, remercia tout de même le conducteur qui ralentissait l’allure du véhicule. Sur la banquette, les deux étudiants s’étaient collés pour regarder à la fenêtre. Deux voitures de police étaient garées devant la maison appartenant à une famille surement aisée. Entre les deux voitures, un homme avec des bagages se tenait debout entre plusieurs agents de police qui semblaient lui parler des évènements ou de ce qu’ils avaient trouvés au sein de la maison.

Le jeune aux cheveux bouclés ne semblait rien comprendre de ce qu’il se passait, mais lorsque l’un des agents souleva un sac en plastique pour le présenter à l’homme, son cœur s’arrêta. Le petit sachet contenait un bracelet aux couleurs jaune, rouge, vert avec une petite feuille de cannabis en bois, soit la parfaite description du bracelet qu’Alice lui avait offert la veille. Il était donc bien rentré dans ce bâtiment hier soir. Avec une inconnue. Et surtout, il ne savait pas encore pourquoi.

Bien qu’il était évident qu’aucun des policiers ne le reconnaitrait, et que l’homme aux valises venait de revenir chez lui, il y a de cela quelques minutes, expliquant l’intervention si tardive de la police, Raph se sentait extrêmement mal et beaucoup trop proche des voitures de police. Ainsi, pris de panique, il demanda immédiatement au conducteur d’accélérer le mouvement. Il se rassura en se disant que la maison devait être vide la veille. Puis la peur de Raph se transforma en colère, et il sera fort ses poings devant le regard interrogateur de son ami. Il se savait incapable de faire quoique ce soit de mal envers une tierce personne, même sous l’influence de l’alcool ou de la beuh. Pour lui, il devenait clair que la faute était celle de cette femme : Margaux.

« Amenez-nous chez elle, s’il vous plait, commanda-t-il sans aucune forme d’hésitation.

-Aucun problème, répondit l’homme. Cela ne prendra que quelques minutes.

-Dis-moi, Raph, tout va bien ?

-Cette meuf… elle est la source de tous mes problèmes. J’en suis sûr.

-Gros, tu es en colère, mais tu n’es sûr de rien pour le moment.

-Tu me crois vraiment capable de quoique ce soit qui mérite la venue de deux voitures de police ?

-Non. Sans hésiter. Mais il faut lui parler avant de l’agresser. Je pense que toi-même, tu le sais. »

Il avait raison, et Raph le savait pertinemment.

Ils arrivèrent dans un nouveau quartier en banlieue parisienne, légèrement moins chic que le précédent. En regardant son téléphone, l’enquêteur principal vit qu’il était minuit passé de trente minutes, et ils n’arrivèrent que très peu de temps après devant un grand bâtiment sur lequel était affiché le logo du CROUS. Il s’agissait donc bien d’une étudiante.

Une fois la voiture garée, les deux détectives étaient empreints à l’excitation et à la tension : ils arrivaient enfin au bout du tunnel. Ils descendirent de la voiture, remercièrent et payèrent le conducteur.

« Si vous avez de nouveau besoin d’un conducteur, appelez-moi directement. Vous avez mon numéro, et se sera avec plaisir de vous ramener de vos soirées! Mon nom est Charlie Chane.

-Avec plaisir, Charlie, encore merci, répondit Julien en lui serrant la main. »

Ainsi, Charlie partit, sous le regard des deux jeunes étudiants fatigués de leurs journées. Raph qui se sentait mieux pouvait à présent marcher seul, et ils en profitèrent pour se rendre au bâtiment étudiant. Devant l’entrée se trouvait un groupe d’étudiant qui fumait. Aucune des personnes de ce groupe ne semblait ressembler à la description de Margaux. Ils s’approchèrent donc pour demander s’ils ne connaissaient pas une fille portant son nom.

« Margaux ? Grande, la peau mat et les cheveux bruns ? Elle se trouve dans la salle de jeu au fond du couloir, répondit l’un des gars collé contre le mur. »

Après un remerciement sommaire, ils pénétrèrent dans le bâtiment à la recherche de la fameuse étudiante. La salle de jeu était en réalité une salle polyvalente où les gens jouaient au billard, aux fléchettes ou aux cartes. D’autres lisaient ou travaillaient. Raph s’appliqua à regarder le visage de chacune des filles de la salle.

Et elle était là. En train jouer aux fléchettes au fond de la salle, une cigarette derrière l’oreille. Le jeune homme attrapa l’épaule de son collègue pour lui montrer où elle se trouvait.

Elle, cependant, ne les avait pas encore vu, alors ils se rapprochèrent doucement pour observer la source de tous les problèmes de cette fin de soirée : elle était fine, grande et son visage traduisait une certaine malice. Elle n’était pas forcément la femme la plus belle du monde, mais elle possédait un charme sans pareil.

Une fois derrière elle, un poids se matérialisa dans le ventre de Raph, mais son courage en main, il prit tout de même la parole :

« Excusez-moi, vous êtes bien Margaux ? »

L’intéressée tourna les talons et fit face au jeune homme. Ses yeux marrons s’agrandirent soudainement à la vue de celui-ci, et un silence pesant prit place dans le coin de la pièce. Les deux se regardèrent droit dans les yeux avec intensité. Finalement, d’une voix calme et douce, elle se lança :

« Oh… Raph ! Tu m’as retrouvée. Je devais t’envoyer un message, mais je n’ai pas eu le temps ! Tu sais, les préparations du concours de médecine, tout ça… je suis content de te revoir ! »

L’enquêteur bouillonnait à l’intérieur : sa culpabilité ne faisait plus de doutes.

« C’est bon, on arrête les niaiseries. Raconte-moi ce qu’il s’est passé hier soir. »

Il sentit la demoiselle se raidir devant lui.

« Nous… avons flirté à la soirée reggae, vous m’avez plu, toi et tes cheveux affriolants, et je crois t’avoir plus aussi en passant. » Elle tenta un clin d’œil qui ne reçut comme réponse qu’un silence monumental : « Et nous sommes rentrés ensembles. Ah ! Et nous sommes passés chez mes grands-parents pour que je puisse chercher des papiers pour mes examens… médicaux. Ce qui est triste est que tu te sentais tellement mal que j’ai demandé au conducteur de te ramener chez toi. Un très gentil monsieur, adorable.

-Ouais, Charlie est un bon gars, lança-t-il avec un air glacial. Maintenant, explique-moi pourquoi la police se trouve actuellement chez tes grands-parents ?

-Je… je ne sais pas ! Ils ne m’ont rien dit… Je vais tenter de les appeler ! Ne bouges pas, je vais chercher mon téléphone. »

Alors qu’elle tentait de sortir du coin de la salle de jeu, Raph et Julien firent barrière.

« Inutile de jouer la comédie, compléta Julien. On sait très bien que ce n’est pas chez tes grands-parents que vous êtes allés. »

Debout devant eux, elle commençait à transpirer, à se malaxer les mains. D’un coup, son regard changea, elle semblait avoir compris quelque chose, puis elle se mit à rire.

« Oui, en effet, je vous ai bien eu ! En fait, hier, tu as voulu me montrer que tu étais un homme pour me conquérir, bien que je te spécifiais que c’était inutile. Tu as demandé au chauffeur d’aller à une adresse précise pour aller un voler un objet quelconque, un peu comme un… trophée pour me séduire! Sauf qu’en réalité, tu n’as volé qu’un tas de papier, alors tu m’as demandé de ne plus t’en parler pour éviter d’avoir honte. Mais je vois que tu as un peu oublié ce qu’il s’était passé, alors je me contente de te rafraichir la mémoire. »

Elle se fit tout sourire et elle avança vers son accusateur.

« Surtout que je te trouve déjà très séduisant… Pas besoin de voler quoique soit, vu que tu as déjà volé mon cœur. »

Elle se pencha en avant pour tenter de l’embrasser, et il comprit. Il la repoussa violemment pris de peur. C’était comme ça, qu’elle l’avait eu ! Tout lui apparut soudain à l’esprit : elle l’avait drogué, lors de leur baiser dans le Uber. Elle avait insisté pour se remaquiller juste avant qu’ils s’embrassent, cela lui avait paru bizarre sur le coup, mais l’alcool avait fait son effet, et de ce fait, elle avait mis de la poudre sur ses lèvres qu’il avait ingéré en l’embrassant… mais pourquoi n’avait-elle pas subit l’effet à son tour?

Parce qu’elle s’est nettoyée les lèvres juste après !

Raph jubilait sur place. Il était heureux d’enfin comprendre le fin fond de l’affaire. Son mouvement brusque envers la belle jeune femme eut comme effet de rameuté tout le monde autour d’eux dans la salle de jeu. Alors qu’ils se tournèrent vers tous les étudiants qui semblaient curieux de voir de quoi il s’agissait, la jeune criminelle se mit à crier en se mettant au sol:

« Au secours ! Aidez-moi ! Ils veulent me frapper, parce que je n’ai pas voulu leur filer mon numéro hier soir ! Ce sont des violeurs…

-Tu rigoles ?! C’est toi qui m’as drogué pour faire je ne sais quoi ! »

L’ambiance devint bien plus lourde que prévu. Tous les jeunes étudiants s’approchèrent de Raph et Julien pour leur régler leur compte, et surement pour bien se faire voir par la sorcière actuellement au sol.

« Non, écoutez, c’est faux, rétorqua Raph. Je ne ferai jamais de mal à quelqu’un. C’est elle qui s’est servie de moi pour enfreindre la loi !

-Et elle vient juste de tenter de l’embrasser, vous ne l’avez pas vu ?! commenta Julien.

-Il venait de me forcer, mais comme il voulait plus, il m’a poussé pour me mettre à genou ! cria-t-elle.»

Aucun d’entre-eux n’écouta les revendications des enquêteurs. En plus d’être vicieuse, elle avait tous les hommes du bâtiment à ses pieds. Les deux compères reculèrent doucement en enjambant la femme, serrant les poings devant eux comme ils pouvaient pour se préparer à l’assaut :

« C’est dans ces moment-là que je me dis que plutôt que mater Rush Hour à la télévision, j’aurai dû prendre des cours de Kung-Fu, plaisanta Julien. »

Son ami n’avait pas le cœur à rire. Alors que les mâles en manque d’amour du bâtiment du CROUS avançaient pas à pas vers les enquêteurs, tel des zombis, une voix féminine s’éleva derrière la foule :

« Non, mais vous n’allez pas bien ou quoi ? Raph ne ferait jamais ce genre de chose, bande d’abrutis ! »

Certains étudiants de la foule se retournèrent vers quelqu’un, mais que les deux jeunes hommes ne pouvaient pas voir depuis le coin de la salle.

« STOP, LES GARS ! Arrêtez, je vous dis, Raph est réglo. Il ne ferait jamais ce genre de chose. Ne me forcez pas à appeler Yannick, je pense qu’il ne serait pas content ! »

Soudainement, tout le monde s’arrêta. Le prénom eut comme le pouvoir d’arrêter le temps, puis de disperser la foule.

« Ne partez pas, cria Margaux à plein poumon. Je vous promets un rencard, si vous me sauvez ! Vous n’allez pas avoir peur de Yannick, tout de même ?!

-On m’a appelé ? gronda une grosse voix roque. »

Un géant de deux mètres, uniquement constitué de muscles, fit son apparition dans l’encadrement de la porte. Derrière la foule qui se dispersait le plus vite possible à la vue de celui-ci, Raph pu voir d’où venait la première voix féminine qu’ils avaient entendu. Il eut un moment de doute, mais il reconnut très vite Alice, celle qui lui avait envoyé un sms et qui avait permis de commencer l’enquête.

« Putain, on est sauvé, gros, lâcha Julien. On se serait cru dans The Walking Dead. Quelle horreur ! »

Ils enjambèrent de nouveau la criminelle à terre pour se rendre auprès de leurs sauveurs.

« Je vous remercie pour l’aide, dit l’étudiant bouclé. Sans toi, c’était fini.

-Je veux bien te croire » Elle souriait de toutes ses dents. « Je te présente Yannick, mon copain. »

Elle pointa du doigt son géant de petit ami et une sueur froide parcouru l’échine du biologiste : si Alice n’avait pas expliqué la situation à son copain, il aurait dû se battre avec lui le lendemain…

« Un plaisir de te rencontrer, Yannick, tenta-t-il en tendant sa main.

-Plaisir partagé. Encore désolé pour le coup de téléphone. Je suis vraiment navré. Sans rancune, hein ?

-Non, non, aucun problème, répondit Raph en riant un peu.

-Bon, s’exprima Alice, tu vas nous expliquer ce qu’il s’est passé ? »

Alors, Raph et Julien racontèrent ce qu’il s’est passé avec Miguel et Tulio, le coup de la LSD, Charlie et son Uber ou encore Margaux et la scopolamine. Ils tentèrent de n’oublier aucun détail :

« Et maintenant, la bonne question est de savoir qu’est-ce que j’ai fait dans cette maison. »

Il se tourna vers la jeune femme isolée qui n’avait pas bougé, en attente de son sort, puis il s’accroupit à côté d’elle.

« Tu vas me dire ce que l’on a fait dans cette maison et cela, immédiatement. Tu m’as parlé de voler des documents : je pense qu’il y’a un fond de vérité là-dedans.

-Pour commencer, je n’ai absolument rien fait, annonça-t-elle sans autre forme de procès. Tu as tout fait, je ne suis même pas rentré dans la maison.

-Parce que j’étais sous l’effet de la drogue que tu m’as fait ingérer. Je suis sûr que la police ou même le CROUS lui-même sera très intéressé par le contenu de ton poudrier. On peut admettre facilement qu’ils vont te retirer ta chambre ou ta bourse, s’ils n’avertissent pas d’eux-même la police. »

Elle se sentait piégée, et il la tenait entre ses mains : il n’avait jamais été aussi heureux de sa vie.

« Très bien… chuchota-t-elle. Je suis en étude de médecine. Ce que tu as volés sont les sujets des examens de cette semaine, ce qui me permettra de réussir ! Voilà ce que tu as volé !

-S’ils l’apprennent, tu vas te faire virer des études supérieures.

-C’est pour cela que j’avais besoin d’un bouc-émissaire qui ne pouvait pas me retrouver. Un pigeon. Toi. »

Son ton avait clairement changé, elle était devenue agressive et misérable.

« Sauf que tu as utilisé mon portable pour faire appeler le Uber : grosse erreur pour un plan aussi important, non ?

-Malheureusement, je n’avais plus de batterie et je pensais que la scopolamine ferait un meilleur travail ou que tu serais moins curieux. Tu avais déjà tellement bu et pris de la beuh que cela devait te faire oublier la totalité de la soirée.

-Surement, mais maintenant, je t’ai coincé. C’est fini. »

Il avait pris le temps de prononcer chaque mot avec conviction. Il était dégouté de ne pas avoir ses lunettes de soleil pour imiter Horatio Caine, mais il était hautement satisfait de lui-même. Il se releva.

« Et que vas-tu faire maintenant ? Me dénoncer ?

-Non » dit-il en lui tournant le dos. Il put même voir le sourire de Julien trahissant l’excitation qu’il contenait en lui suite à la scène qui se déroulait sous ses yeux : « Mon but était de retracer ma soirée, et je l’ai fait : ma mission est accomplie. Cependant, je dois couvrir mes arrières… c’est pour ça que tu vas me filer ton poudrier, comme preuve si jamais on arrive à remonter jusqu’à moi pour ce vol. En plus, j’ai des témoins qui pourront confirmer mes propos. Cela te va, Margaux ?

-Oui… répondit-elle les larmes aux yeux. Cela me va. Merci… »

Et c’est ce qu’il fut fait. Les enquêteurs mirent dans un sachet de congélation le poudrier en prenant soin de ne pas y poser leurs empreintes, ils saluèrent vivement Alice et Yannick, et appelèrent Charlie pour les ramener chez eux. Une fois dans la voiture, le blond riait enfin de tout cela lorsqu’ils racontèrent la fin de l’histoire à leur chauffeur. L’enquêteur redevenait biologiste et se sentait léger. Il avait rencontré des gens formidable toute la journée, des histoires aussi farfelues les unes des autres, tenté de nouvelles aventures… Il se sentait vivant.

Alors qu’ils venaient juste de déposer Julien chez lui, Charlie proposa à Raph de passer sur le siège à sa droite, en prétextant que les amis ne s’assoient jamais sur la banquette arrière, puis ils entamèrent de nouveau la conversation :

« Dis-moi, Raphael, pourquoi ne l’as-tu dénoncée ? Elle t’avait quand même drogué, utilisé pour enfreindre une propriété, et j’en passe.

-Je te l’ai dit, Charlie : c’est parce que je voulais juste connaitre le fin fond de l’affaire, pas plus.

-Et moi, je trouve cette excuse bien légère, jeune homme. Je veux dire que tu avais le pouvoir de tout faire d’elle, et tu n’en as rien fait. Même pas une petite vengeance. »

Un léger silence se fit alors que Raph regardait par la fenêtre les rues de Paris défiler.

« Parce que je n’aime pas faire du mal pour faire du mal. Je ne suis pas un super-héros, et me venger d’elle aurait juste servi à bousiller une vie, rien de plus. D’autant qu’elle a déjà dû perdre en popularité ce soir. En plus, si on y réfléchit plus de deux secondes, ils vont forcément changer le sujet étant donné qu’il a été volé. Ils ne trouveront, je l’espère, jamais le coupable, et la vie reprendra son cours.

-Et pour le bracelet que tu as perdu là-bas ?

-Je ne l’ai pas porté très longtemps en réalité, et cela m’étonnerai qu’ils fassent des recherches à la N.C.I.S. pour retrouver un simple voleur. Voilà donc pourquoi je ne l’ai pas balancé.

-Bien vu, jeune homme, bien vu. Espérons qu’elle apprenne de ses erreurs.

-Espérons-le. »

Une fois arrivé à la rue Mouffetard, Charlie refusa que Raph le paye pour le trajet, cependant, en échange, l’étudiant insista pour l’inviter à prendre un verre avec eux un autre soir, ce qu’il accepta avec plaisir avant de s’en aller.

Raphael prit une grande inspiration, et avança jusqu’à la porte de son bâtiment, grimpa les escaliers du mieux qu’il pouvait, et commença à farfouiller ses poches en quête de ses clés : introuvables. Après avoir cherché pendant plusieurs minutes, la porte en face de celle de son appartement s’est ouverte éclairant le couloir sombre.

D’abord ébloui, il ne vit qu’après qu’il s’agissait d’une fille de son âge avec des cheveux châtains et un sourire ravissant : il ne l’avait jamais vu auparavant. Peut-être une nouvelle voisine ? En baissant les yeux, il vit ses clés dans ses mains.

« Bonsoir, dit-elle timidement en tendant sa main. Voici vos clés.

-Euh… hésita-t-il en les récupérant. Merci ? Comment se fait-il que vous les ayez ?

-Hier soir, quand vous êtes rentrés, vous sembliez vraiment mal, je crois que vous étiez en train d’essayer de forcer votre porte. J’ai cru que vous étiez un voleur, mais je ne vous ai reconnu qu’après. Alors je vous ai fouillé, j’ai pris vos clés pour vous ouvrir la porte et vous coucher. J’adore votre poster Star Wars, d’ailleurs !

-Merci, ajouta-t-il gêné. Mais… et les clés ? Vous auriez pu les poser sur la table de mon salon, non ?

-C’est de ma faute ! J’ai oublié, et je m’en suis rendu compte cet après-midi, et quand je suis venu voir, vous étiez déjà parti.

-Alors vous avez veillé jusqu’à… » Il jeta un coup d’œil à son téléphone. « Deux heures du matin pour moi ?

-Ne vous emballez pas ! » Il n’arrivait pas à distinguer si elle rougissait. « Vous êtes peut-être mignon, et je vous ai peut-être déjà bordé une fois, mais rien n’est fait ! Il va falloir m’inviter à prendre un verre d’abord, avant de se faire des films ! »

Raph se mit à rire un bon coup, et lui proposa de se voir le mardi, pour lui laisser le temps de récupérer de ses aventures. Elle accepta volontiers et ils partirent chacun de leurs côtés, après s’être souhaité la bonne nuit.

Il prit une douche, se lava ardemment la bouche et les lèvres, puis se coucha d’un bloc sur son lit pour dormir d’un sommeil profond bercé par le sourire de sa voisine de palier.

FIN

Guillaume Girier

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