Les histoires d’un étudiant sans histoires

Partie 4 — Le Pedro et Peña

Alma Mater
Alma Mater
6 min readJan 2, 2018

--

Retrouvez les parties précédentes ici : Partie 1 , Partie 2, Partie 3

Après avoir pris le temps de se changer convenablement pour une sortie rapide, soit avec un jean et sweat-shirt couleur ocre que le jeune homme adorait, Raph et Clément se rendirent au bar indiqué par la jeune fille au téléphone. Celui-ci ne se trouvait qu’à quelques rues de chez Raph, il ne fallait donc pas plus de cinq minutes pour y aller.

Sur le chemin, le jeune étudiant avait la boule au ventre : selon son ami, la demoiselle n’était pas ravie de le revoir. Qu’avait-il pu faire de mal pour que cela la rende aussi cruelle à son sujet ? Que s’était-il passé quand il avait quitté le bar avec elle la veille ?

Les questions cessèrent de se bousculer dans sa tête lorsqu’ils arrivèrent devant la piteuse devanture du Pedro & Peña : à l’extérieur se trouvait quelques tables en bois usées et des tabourets bancals bricolés à la main par Pedro, le patron de la boutique. Comme d’habitude, sur l’un d’entre-eux était assis Peña, un homme à la calvitie naissante et à la moustache épaisse. Le mexicain d’âge mûr était l’associé de Pedro, bien que du peu que Raph était venu, il ne l’avait jamais vu se lever de son siège. L’unique fois où il l’avait vu bouger, c’était pendant une bagarre plutôt brutale : un des clients, un peu ivre, avait un peu trop insisté sur le fait qu’il était moins classe que le Peña de la série Narcos. Dans le but de calmer les choses, Pedro avait invité le jeune client à rentrer chez lui, mais son collègue ne semblait pas supporter l’insolence croissante de celui-ci alors qu’on le congédiait, et avait donc pris les choses en main personnellement.

En vérité, Raph ne côtoyait que rarement ce bar : il n’y allait qu’en fin de mois, car les bières étaient nettement moins chères qu’ailleurs, ce qui venait sûrement du fait qu’elles étaient aussi moins bonnes, mais aussi parce qu’il appréciait Pedro.

Ils ouvrirent la porte pour pénétrer dans la salle, où une odeur de bière et de café se mélangeaient, alors que la radio chantait Je ne suis pas un héros de Daniel Balavoine. Le patron se trouvait derrière son comptoir. L’homme trapu à la peau basanée leva la tête de son magazine « Voici » et sourit aux deux compères :

« Raphael ! Comment vas-tu ? (Il souriait de toutes ses dents, et prit une pinte vide en main) Qu’est-ce que je te sers ? Notre fameuse bière, comme d’habitude ?

-Non, pas aujourd’hui, répondit-il gentiment en se souvenant du peu qu’il pouvait de la quantité d’alcool bu la veille. Nous sommes venus voir une… amie.

-La demoiselle asiatique ? Questionna le barman en pointant l’arrière salle. Elle est derrière, dans la salle chauffée, mais je ne vous sers rien, les amis ? Vous êtes sûrs ? »

Après quelques négociations rapides entre le mexicain et Clément, les deux étudiants finirent par atteindre l’arrière-salle avec une pinte et un verre de Fanta, à la main. Cette pièce du bar était beaucoup plus agréable que le reste de l’établissement : une odeur de nourriture s’échappait du petit hublot donnant sur la cuisine, et à défaut de la salle principale, on pouvait s’asseoir sur des bancs en cuir de bonne facture.

Le jeune homme aux cheveux blonds passa son regard sur la salle quasi-vide : mis à part l’homme au trench-coat gris et au chapeau digne des plus grands polars, la jeune asiatique se trouvait seule à une table du fond. Elle avait les cheveux attachés en queue de cheval, une pinte à la main. La jeune femme était belle, il ne pouvait le nier, et il comprenait de moins en moins pourquoi il lui avait fait du mal.

En s’approchant, il croisa le regard de la jeune fille : ce n’était pas de la colère qu’il voyait dans son regard, mais plutôt de la tristesse, une blessure. Cela ne le soulagea pas, mais il avait l’impression d’avoir fait quelque chose de moins mauvais qu’il ne le pensait.

« Salut, lança Clément sans détour. Merci d’avoir pris le temps de venir. »

Faï jeta un coup d’œil rapide à l’étudiant qu’elle ne connaissait pas encore :

« Pas de soucis, commenta-t-elle sur un ton ferme, puis elle se tourna vers Raph. Alors comme ça, tu ne te souviens de rien de la veille ? »

L’intéressé lança un regard noir à son ami :

« Tu lui as dit ? Se lamenta-t-il. Mais je passe pour qui ?

-Et tu voulais que je lui dise quoi pour qu’elle accepte de venir ? »

Après un moment lourd de réflexion, il sut que son collègue avait raison :

« Excuse-moi, ajouta-t-il avant de s’adresser à Faï. Oui, je ne sais pas ce que j’ai fait la veille. Apparemment, je n’ai pas vraiment géré avec toi et je m’en excuse. On essaye de retracer ma soirée de la veille. Tu sais comme dans Very Bad Trip…

-Je comprends bien (elle prit le temps de choisir ses mots) : hier soir, tu es venu me parler au MacLaren’s, avec des intentions plus que claires. Alors, nous avons discuté, je t’ai confié que mon copain m’avait quitté récemment, que je n’étais pas prête à avoir d’histoire, sérieuse ou non, etc… mais je t’avoue que ta compagnie n’était pas désagréable. Tu m’as donc proposé de faire un tour. »

Raph aperçut du coin de l’œil que Clément prenait plaisir à écouter l’histoire, alors que la narratrice semblait de moins en moins avoir envie de raconter la suite :

« Je t’ai suivi jusqu’aux quais de Seine. Je ne sais pas si c’était l’alcool, ou tout simplement toi qui est doué, mais… c’était putain de romantique. Je me sentais confiante avec toi, je sentais que je pouvais… me lancer. Alors, on s’est embrassé… »

A ce moment précis, Clément donna un coup de genou discret sous la table à son ami, signe d’approbation, puis il ajouta :

« Et ensuite ?

-Et… il a vomi pendant…

-Nom d’un champignon buccal ! s’exclama Clément alors qu’il se retenait de rire. »

Raphael ouvrit les yeux en grand à cette déclaration, et ses joues devinrent rouges, si vite qu’il crut s’évanouir. Il ne pouvait plus regarder la fille en face, alors il posa son regard sur son ami à la recherche de soutien, mais il ne vit qu’un étudiant au bord de la crise de rire. Il le détestait, mais se détestait tout autant.

Reprenant son calme, alors que la jeune asiatique avait le regard fuyant, l’étudiant qui se retenait de rire, continua la conversation :

« Que s’est-il passé juste après ?

-J’avais beaucoup bu aussi… bafouilla-t-elle. Ma tête tournait… Je ne savais plus trop ce que je faisais… Et son vomi puait.

-Allez, répondit le jeune homme, les yeux brillants de larmes. Je sens que ton histoire fait du surplace : crache le morceau !

-Eh bien… J’ai vomi aussi. »

Et là, ce fut la crise de rire. Impossible d’y échapper. Même Raph qui se sentait honteux ne pouvait s’en empêcher. Faï qui ne savait plus où se mettre attrapa son manteau posé sur la banquette, et se leva promptement :

« Allez-vous faire foutre tous les deux ! J’aurais dû te laisser moisir sur les quais, plutôt qu’appeler ton ami pour venir te chercher ! »

Sur ces mots, elle s’en alla sans regarder derrière elle. On put entendre la porte du bar claquer, depuis la banquette à l’arrière-salle, trahissant la colère de l’étudiante de Diderot.

Les deux compères continuèrent de rire pendant quelques minutes, avant de se calmer naturellement. Raph avait les larmes aux yeux, tellement le rire avait été intense, et Clément, qui avait la peau blême de nature, était écarlate.

« Bon… Elle a appelé un de tes amis, récapitula l’étudiant tout rouge. Je suppose qu’elle a utilisé ton téléphone… Comment on a pu ne pas y penser avant ?!

-Parce que tu trouves un malin plaisir à me mettre dans des situations gênantes ? Répondit son camarade d’un air joueur.

-Possible, lâcha-t-il avec un rire enjoué. Regardons cela ensemble. »

Ils se penchèrent tout deux sur le téléphone pour vérifier la liste d’appel de la veille : en plus d’un appel inconnu que Raphael avait reçu aux alentours de trois heures du matin, il était inscrit qu’il avait appelé Julien, un des amis qui était avec eux au bar un peu plus tôt lors de cette soirée, vers 23h45. Ils décidèrent de l’appeler pour éclaircir cette histoire. Après deux bips sonores, on décrocha à l’autre bout du fil :

« Allo ?! Raph ? s’exclama la voix de Julien apeuré. Je suis grave dans la merde, viens me chercher. »

Les deux amis se regardèrent, étonnés, alors que les Beatles chantaient A day in the life

Guillaume Girier

--

--