Les histoires d’un étudiant sans histoires

Partie 9

Alma Mater
Alma Mater
5 min readFeb 4, 2018

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Le téléphone en main, Raph, qui s’était attendu à une voix masculine et en colère, se retrouvait bouche bée face à cette voix angélique.

La voix douce qui émanait de son téléphone ne disait clairement rien à l’étudiant, même en cherchant au plus profond de ses souvenirs, il n’arrivait pas à définir s’il l’avait déjà entendue quelque part. Dans un élan d’espoir, Raph fit signe à Clément et Julien de ne pas faire de bruit, puis activa le haut-parleur de son téléphone pour partager la conversation avec tout le monde dans la pièce.

« Oui, c’est possible que je t’ai déjà raconté cette histoire, répondit-il avec un rire limite forcé. Mais comme je le disais, j’ai perdu tout souvenir de la soirée précédente… et il semblerait que nous nous soyons rencontrés.

-Si nous nous sommes rencontrés ? s’enquit-elle. Tu m’as changé la vie, et tu m’as fait un bien fou, en l’espace d’une soirée. Personne n’a jamais été autant aux petits soins avec moi. »

L’étudiant aux cheveux bouclés ne tourna même pas la tête pour regarder ses camarades, sachant pertinemment qu’ils étaient en train de sourire de toutes leurs dents.

« Je suis même un peu vexé que tu m’aies oublié si vite ! ajouta-t-elle à sa dernière phrase. Mais il est vrai que Miguel et Tulio t’avaient mis dans un sacré état ! Jusqu’à quel point tu as oublié ?

-Euh… hésita-t-il un instant. Ton nom est… ?

-Alice, répondit-elle avec un sourire trahissant son amusement. C’est donc à ce point…

-En effet… Bref, que veux-tu dire par « Miguel et Tulio t’avaient mis dans un sacré état » ? Et qui sont-ils ?

-Ce sont des amis à moi, de très bons amis. Peut-être que cela te dira quelque chose : Miguel est un mec avec les cheveux mi-longs blonds et un semblant de barbe, et Tulio un homme aux dreads noires attachées en queue de cheval et un petit bouc. Ce sont des gars extra. Ils sont dans le commerce en plus, et je pense qu’ils t’ont fait goûter à quelques trucs de leur cru… mais cela bien avant que j’arrive. »

Cette fois-ci, il ne put s’empêcher de lever la tête vers ses amis: il pouvait sentir à la fois l’excitation dans leurs yeux, et l’interrogation. Lui-même se posait des questions : était-ce cette drogue qui lui avait fait perdre la mémoire ? Et qu’avait-il pu prendre de si puissant pour en arriver à ce stade ? Qu’il en ait pris ne l’étonnait pas, il y avait déjà eu recours pas le passé, mais jamais quelque chose dont il ne connaissait pas la provenance.

« Tu sais ce qu’ils auraient pu me faire prendre? hasarda-t-il.

-Oh, tu sais, ils ont un sacré magasin, répondit-elle après un temps de réflexion. Difficile à dire. Il faudrait que tu leur demandes toi-même !, je vais te filer une adresse. En théorie, à cette heure-ci, ils doivent se trouver au Is this Love. Ne bouge pas. »

Soudain, un silence s’installa, mais il ne fut que de courte durée : Clément profita de l’absence de Alice pour glisser son petit commentaire :

« N’oublie pas de lui demander pour le sms ! Je te rappelle que son copain voulait te casser la gueule. »

Raph voulut remercier ironiquement de son intervention, mais des bruits parasites venant du téléphone indiquaient le retour de la demoiselle.

« Rends-toi au 23b avenue du général Leclerc, commença-t-elle. En théorie, ils resteront pendant quelques heures encore !

-Merci beaucoup, répondit sincèrement Raphaël alors que Julien lui donnait un coup de coude. Dis-moi, tu peux m’expliquer le sms de ce matin? Je ne te cache pas que cela me fait autant bizarre que cela a fait d’effet à ton copain. »

De nouveau, elle ria de bon cœur. Aux oreilles de l’amnésique, son rire était harmonieux et agréable à entendre. Il pouvait même affirmer que cela lui faisait du bien en cette période de crise.

« Je pense qu’il serait plus avisé que je commence par le début, lança-t-elle. Hier soir, Miguel m’a appelé pour que je vous rejoigne à la soirée Reggae : il savait que j’étais dans une très mauvaise passe, alors il voulait que je prenne un peu de bon temps à leurs côtés. Je suis arrivée aux alentours de quatre heures du matin à la boîte, et c’est là que je t’ai rencontré. Tu étais assis au milieu de mes amis, dans un état entre l’euphorie, la joie, le bonheur et j’en passe. Il y avait clairement une bonne ambiance ! Entre la musique, les rires et les accolades. Évidemment, je suis venu me présenter à toi, et tu m’as paru aussi agréable que perdu. Je veux dire par là que, bien que tu fusses dans un état second, nous avons beaucoup parlé de la vie : tu sais ce genre de conversation que tu as uniquement quand tu es bourré ou camé. En tout cas, je t’ai raconté mes problèmes, tu m’as écouté avec sincérité, tu m’as raconté les tiens en m’expliquant qu’il est possible d’agir, que les miracles peuvent arriver, notamment comme à cette soirée. Que des gens peuvent te tendre la main à un moment où tout est noir. Bref, tu as trouvé les mots qu’il fallait au moment qu’il fallait, tu étais finalement la bonne personne au bon moment. Je t’en remercie donc de tout mon cœur. »

Un nouveau silence s’installa dans la pièce de l’appartement de Julien. Il ne s’agissait ni de gêne, ni de honte, mais du simple fait de ne pas savoir quoi répondre devant tant d’éloge. Il en doutait, mais il avait l’impression d’entendre des reniflements à l’autre bout du fil. Le jeune homme se sentait même léger. Savoir qu’il n’avait pas créé que des problèmes ce soir-là était une libération.

« Je… C’est normal, Alice, affirma-t-il en souriant. Je suis content d’avoir pu t’aider d’une quelconque façon. Merci à toi. Mais il me reste une question… dans ton message, tu me parlais de ma façon d’utiliser quelque chose… Tu peux m’éclairer ?

-De ton dizi, enfin ! »

À cette déclaration, les deux autres étudiants brisèrent le moment émotion, en mettant leurs mains devant leurs bouches pour s’empêcher de rire. À l’évidence, ils avaient bel et bien remplacé le mot entendu par une référence grivoise, alors que pour Raph, il était évidemment question de son instrument à vent asiatique.

Dans un mouvement unique et rapide, il coupa le haut-parleur, et continua sa conversation dans une autre pièce pour laisser rire les deux jeunes hommes pliés en quatre sur le sol.

Il s’éclaircit la voix, puis reprit la parole :

« Évidemment, je ne te cache pas que ton dernier sms était vraiment ambigu. Je pensais que nous avions fait quelque chose de plus… intime.

-Nous n’aurions rien fait, mon cher, rétorqua-t-elle tout sourire. Tu avais d’autres projets à ce que j’ai compris.

-D’autres projets ?

-En plus de tous nos problèmes, tu m’as aussi parlé de la fille la plus cool du monde, selon toi. Tu m’as raconté qu’elle t’avait accosté plus tôt dans cette même soirée reggae, que vous aviez dansé ensemble, que tu lui as filé ton numéro, et qu’elle allait te rappeler. Apparemment, tu la connaissais déjà d’avant cette soirée « magique » comme tu l’as si bien décrite. Elle ne l’a pas fait ? »

Le peu de bonheur que cette conversation lui avait apporté s’évapora pour laisser place à de nouvelles questions.

Guillaume Girier

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