Les histoires d’un étudiant sans histoires

Partie 11

Alma Mater
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7 min readMar 5, 2018

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Le trajet jusqu’à l’adresse indiquée quelques heures auparavant par Alice ne fut pas très long : quelques métros, un peu de marche, et Raph et son compère se trouvèrent devant un bâtiment sans devanture particulière.

Les deux amis ne comprenaient pas vraiment ce qu’ils faisaient là : Raph s’attendait à trouver un bar rasta, ou un quelconque rade dans lequel il était possible de chill tranquillement, sans qu’on vienne les embêter. Cependant, ne s’offrait devant eux qu’une immense porte, typique des bâtiments résidentiels parisiens. Ils s’en approchèrent pour étudier l’endroit de plus près :

« Tu penses que c’est le bon endroit ? demanda Julien.

-J’ai fait attention à bien noter l’adresse, donc oui, dit-il en hochant de la tête tout en s’approchant du digicode de la porte. Mais cela me parait bizarre, en effet.

-Et si c’était elle qui s’était gourée ? Regarde, il n’y a aucun commerce dans le coin. C’est chelou, quand même. »

L’enquêteur en chef savait qu’il avait raison : comment un bar pouvait se trouver ici même ? Après quelques tentatives de pression sur les boutons du digicode, il fit rapidement la conclusion qu’il était en panne, et il tenta tout simplement de pousser la porte avec succès. Ils échangèrent tous deux un regard interrogateur, puis pénétrèrent dans un petit couloir qu’ils suivirent. Au bout de quelques secondes, ils débouchèrent sur une grande cour, qui était le centre organisateur de la bâtisse. Plusieurs escaliers s’offrirent à eux, chacun devant mener à différents appartements. Cependant, ils ne purent ignorer le tag représentant Bob Marley près de l’escalier du fond, ce qui les fit sourire et comprendre qu’ils étaient sur la bonne voie.

Ils entamèrent l’ascension des escaliers sans sourciller et portés par l’envie de connaitre la vérité. Sur le trajet du métro, Raph avait eu le temps d’expliquer à son ami les tenants et aboutissants de la fin de la conversation avec Alice, en accentuant évidemment son envie de rencontrer cette fille trop cool qu’il avait rencontré la veille au soir.

A chaque étage, ils prirent le temps d’étudier les portes, à la recherche d’indice ou de tag pouvant les mener jusqu’à Miguel et Tulio, mais en vain. Ce n’est que dans les escaliers, alors qu’ils montaient au dernier étage qu’une odeur toute particulière vint chatouiller les narines des deux compères : celle de la beuh.

Sans prendre le temps de s’échanger de nouveau un regard, ils grimpèrent à toute vitesse les escaliers pour trouver la source de l’odeur : à ce dernier palier se trouvait uniquement une porte d’appartement légèrement entrouverte décorée de drapeaux jamaïcains et de tags divers et variés. En plus de l’odeur, une musique émanait de l’appartement en question. Sans aucun doute, il s’agissait de reggae.

Bingo, se dit Raph, le sourire jusqu’aux oreilles.

Ils s’avancèrent tous deux en direction de la fameuse porte. L’odeur se faisait de plus en plus intense, tout comme la musique qui était de toute évidence Les champs de roses de Danakil, alors que Julien, qui passa devant son collègue, frappa à la porte avec une excitation débordante. Les quelques coups qu’il mit à la porte suffirent pour agrandir l’ouverture de celle-ci : au plafond de ce qui devait être l’entrée, un fin duvet de fumée restait en suspension.

N’ayant aucune réponse à la série de coup à la porte, ils décidèrent d’exprimer leur présence :

« Il y’a quelqu’un ? » s’écria un des étudiants pour palier à la musique bien trop forte.

Aucune réponse.

Prenant son courage à deux mains, l’étudiant aux cheveux bouclés entra dans le repaire rasta en quête de ses amis oubliés. En sachant pertinemment que son collègue le suivait au pas, il se déplaçait dans l’appartement à l’affut de la source musicale. Ainsi, ils passèrent l’entrée et le couloir étonnamment long pour un logement parisien, pour finir devant une chambre fermée. Posant la main sur la poignée de la porte, il entra d’un geste ample et rapide pour découvrir un groupe de rastas assis sur des poufs en train de fumer. L’un d’entre eux, complètement dans un autre monde, tourna la tête vers lui et s’exclama avec le peu de conscience qui lui restait :

« Hé, mec, ferme la porte ! Tu vas casser le bocal… »

L’enquêteur en tête ne vit qu’à l’instant où l’homme avait parlé que la fumée était extrêmement épaisse dans cette pièce. Il fit donc rentrer Julien, et ferma la porte derrière-lui pour répondre à la demande de son nouvel ami. Cependant, il ne s’agissait ni de Miguel, ni de Tulio, selon la description d’Alice, alors il passa un rapide coup d’œil dans la pièce pour finalement les apercevoir au fond de celle-ci en train de discuter parmi les dix personnes présentes, joints dans la main. Ils ne l’avaient même pas remarqué entrer. En réalité, il s’agissait bel et bien d’un établissement, illégal certes, mais un commerce tout de même.

Traversant la salle pour s’adresser aux deux recherchés, l’un se leva pour le saluer :

« Mais Tulio, regarde qui vient là ! El famoso Raphael ! Mais attend… c’est aussi Julien le tombeur !

-Ce sont bien eux, Miguel ! Quel plaisir de vous revoir ! » Tulio se tourna vers Raph : « Comment s’est passé ta fin de soirée avec mademoiselle ? Elle était tellement peace ! Tellement love ! Quelle chance !

-Salut, hasarda l’intéressé. On peut s’asseoir un instant, j’aimerai que nous discutions un peu, j’ai un problème… et vous seul pouvez m’aider. »

Miguel sourit à son interlocuteur et passa son bras sur son épaule :

« Il n’y a aucun problème que nous ne pouvons régler ! s’exclama-t-il en haussant d’un ton pour parer à la musique trop forte. Suis-moi dans l’autre chambre. Tulio, il a besoin de notre aide !

-Avec plaisir, mon frère ! »

Ainsi, accompagné des deux commerçants, Julien et Raph furent guidés dans une pièce adjacente où se trouvaient autant de poufs que dans l’autre salle, cependant complétement vide. Après avoir fermé la porte, Tulio invita les nouveaux venus à s’installer autour d’une table au fond de la pièce. Une fois que ce fut fait, Miguel alla droit au but :

« Raconte-moi tout, l’ami, de quoi as-tu besoin ? Beuh ? De la C ? Un peu de proto ?

-Malheureusement… mon frère, je ne suis pas venu pour ce genre de commerce… »

Raph commença à raconter son histoire, soit une énième fois aujourd’hui, sans oublier le moindre détail. Son audimat, pour plus de la moitié complètement camé, était attentif comme ne l’a jamais été quelqu’un à son égard. Une fois que son récit fut fini, Tulio, adossé au mur, se redressa pour prendre la parole :

« Ce n’est pas cool, tout ça frère. Je vais être franc avec toi. Alice a raison, on t’a filé pas mal de truc hier, gratos bien entendu, mais dans tous les cas, on fait gaffe aux doses. Miguel est en pharma et moi en chimie. On a toujours fait attention à ce que l’on refourgue. Même quand il s’agit des mélanges alcools et drogue : en théorie, il ne faut jamais croiser les effluves comme dirait une personne chère à mon cœur, mais si on connait bien sa came, tout est possible. Mon ami, je pense que ta soirée ne s’est pas limitée à notre fameuse soirée reggae, et que tu as su bien t’amuser après tout cela !

-Peut-être bien, répondit Raphael en se frottant le bras. Mais que s’est-il passé là-bas exactement ?

-Rien de particulier pour être franc, avoua Miguel. On s’est rencontré à la soirée techno, on a bien rigolé, puis on t’a proposé de venir avec nous à la soirée reggae, organisée par le cousin de Tulio. Il y avait une putain d’ambiance, frère. Tu as rencontré une meuf qui t’a tapé dans l’œil, et je l’ai entraperçu, en effet, elle était canon ! De ce que tu m’as dit, elle t’a demandé de la rejoindre après la fin de la soirée, mais je n’en sais pas plus.

-Moi non plus, commenta son collègue. Elle t’avait enivrée d’amour, mais tu ne nous a ni dit son nom, ni d’où elle venait. Tu disais qu’elle t’avait confié tout cela à toi, et que tu voulais préserver le chakra de votre début de relation. »

Quel putain de romantique je fais quand je suis pété… se dit-il à l’annonce de tout cela.

« Enfin, tout cela pour dire que l’on n’a pas grand-chose de concret pour toi, mon pauvre ami, fini par dire Tulio en se grattant le bouc. Cependant, j’ai peut-être une solution à ton problème d’amnésie… »

Cette annonce fit sursauter les deux compères sur leurs chaises respectives :

« Ah bon, ne put s’empêcher de dire Julien. Et comment ?

-J’avoue être curieux, ajouta Raph. »

Tulio fit un signe à Miguel, qui prit congé et revint quelques minutes après avec un flacon de comprimés.

« Je vois qu’on se comprend toujours sans même se parler mon frère, dit le premier en levant sa main prête pour un high five.

-Bien sûr, mon frère, s’enquit-il en répondant à sa main levée.

-De quoi il s’agit ? demanda Raph presque triste de gâcher ce moment émotion. »

Les deux dealers se mirent debout face aux deux étudiants comme s’ils allaient préparer un show musical ou une publicité :

« Ca, mon frère, ce sont des médicaments, entama Miguel.

-Des médicaments pour Alzheimer coupée avec de la LSD! s’exclama Tulio.

-Si tu en prends, tu vas voir le monde différemment, mon ami !

-Et tu vas pouvoir te rappeler de tout !

-Car même si tu as oublié, tu as tout de gravé là, ajouta Miguel en mettant son doigt sur le front de Raph.

-Comme tu es en détresses, on t’offre la pilule, n’est-ce pas Miguel ?

-Bien sûr, Tulio ! »

Le show aussi ridicule que la solution paraissait farfelue affuta sa curiosité de Raph.

Guillaume Girier

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