#004 L’Univers comme inspiration: trajectoire d’un artiste émergent (Partie 1)

TitiMcCoy
ART ENGAGÉ
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7 min readAug 20, 2023

Comme beaucoup d’artistes, mon éveil créatif est venu frapper à ma porte lors d’une phase sismique de ma vie, en 2020. Cette fin de chapitre fut l’occasion pour moi de remettre en question les piliers de mon existence. Dans un contexte obscur et sans débouchés certains, je ne parvenais plus à rationaliser mes faits et gestes, et devais m’en remettre à mon intuition pour continuer à flotter. Quitte à nager à contre-courant…

Le besoin de voir des couleurs, presque enfantin, est venu me chercher sous plusieurs formes. Je cherchais les meilleurs endroits pour voir le soleil d’été se coucher à Montréal. Je collectionnais les feuilles d’automne et les encadrais en espérant naïvement que la privation d’oxygène garderait leurs pigments. Je dépoussiérais une boîte de peinture acrylique que j’avais trouvée quelques années auparavant et me mettais à apprendre les bases de la Théorie des couleurs par simple élan de curiosité.

Comme j’ai pu l’expliquer dans mon article #001, une combinaison de facteurs m’a poussé à explorer l’art pour me relever et, d’une certaine façon, aborder cette courte vie sous un autre angle. J’ai alors commencé à peindre des toiles, puis des murs. Ce processus m’a ouvert de nouvelles perspectives que je n’aurais pas imaginées il y a trois ans, quand je ne voyais cette pratique que comme une simple échappatoire à la rigueur de la vie.

Dans cet article en deux parties, je souhaite particulièrement mettre des mots sur quelque chose de difficilement saisissable (y compris pour moi à ce jour): la sensation de détachement que procure la création à l’artiste, la prise de recul phénoménale résultant de ce processus, et son effet thérapeutique. J’aborderai, de façon synthétique, la façon dont le processus artistique a fait renaître en moi mon amour de l’infiniment grand et comment celui-ci s’est manifesté ces dernières années pour faire de moi l’artiste que je suis devenu. J’insisterai notamment sur le changement majeur que l’art, par le prisme de mon intérêt pour l’Univers et toutes ses composantes, a apporté à ma vie.

“Renaissance” (2021) — TitiMcCoy

L’infiniment grand, une constante depuis toujours

Depuis très longtemps, dans les moments les moins colorés de mon existence, je trouve refuge dans un confort rationnel assumé: l’apprentissage de diverses avancées scientifiques traitant des propriétés de l’Univers. La finalité de tous ces travaux, qu’ils relèvent de l’astrophysique ou de la cosmologie, parvient (sauf rares exceptions) à la même synthèse: à l’échelle cosmique, notre expérience humaine est insignifiante.

Ce savoir théorique me rassurait, car dans bien des cas, les enjeux auxquels je faisais face relevaient de la manifestation de mon égo, que je souhaite me l’admettre ou non. Cette prise de distance objective me procurait une sensation d’éloignement physique de mon corps, et me berçait dans la certitude que ce que je vivais n’était même pas de l’ordre d’un grain de sable dans un immense désert cosmique. D’ailleurs, dans la multitude de savoirs inutiles que j’adorais collectionner, j’apprenais qu’il y avait environ 10000 étoiles dans notre Univers visible pour chaque grain de sable sur Terre.

Déroutant.

Cette perspective, fascinante pour certains, pouvait au contraire en effrayer d’autres. Ou, tout simplement, en ennuyer. C’est la raison pour laquelle je me dédiai religieusement à l’étude de ce sujet de façon autonome, quitte à lire des ouvrages scientifiquement inexacts, comme “Le visage de dieu” de Grichka et Igor Bogdanov, considéré comme une hyperpédagogie simpliste par les expert(e)s du milieu.

Mais, après tout, peu m’en importait. Ma fascination pour l’Espace et l’émerveillement que ce sujet me procurait était, avec du recul, l’objet de ma quête.

J’apprenais, lors de mon voyage en Argentine à l’aube de mes 22 ans, qu’il était possible de reconnaître l’âge des étoiles en les regardant à l’oeil nu: plus l’étoile paraissait rougeâtre, plus elle était en fin de vie. À l’inverse, plus elle était bleue, plus elle était en début de vie.

Même si je n’ai jamais confirmé cette hypothèse avec des études sérieuses, cette perspective me semblait fascinante, et je profitais des froides nuits sur la cordillère des Andes pour m’en faire ma propre idée tout en admirant le spectacle qu’offrait l’apparition de la Voie lactée sous un ciel non pollué en altitude.

Transcendental.

“Northern Lights” (2021) — Sofiane Pamart

Comment l’art est venu sublimer mon attrait pour le ciel

Des années durant, je consommais ce contenu, sans but précis. De Neil deGrasse Tyson à Trinh Xuan Thuan, en passant par Frank White (avec qui j’ai collaboré l’année passée), les auteurs et autrices qui nourrissaient ma curiosité se succédaient. En 2018, l’envie m’avait même pris de suivre un cours universitaire en ligne sur l’Univers dispensé par Aurélien Barrau.

Malgré tout ce savoir accumulé, qui me procurait une certaine prise de recul intellectuelle, je n’étais encore qu’à l’aube de mon amour pour l’infiniment grand. L’art, sous toutes ses formes, a commencé à se manifester graduellement au cours de cette dernière décennie, et m’a davantage rapproché des étoiles.

Je me souviens encore des ruines de la civilisation de Tiwanaku ou encore des légendes du dieu Viracocha en Bolivie, qui, dans les écrits mythologiques, présupposaient une certaine intervention céleste il y a des millénaires. Les objets architecturaux et les œuvres relatant de ces épisodes m’avaient, à l’époque, beaucoup marqué et inspiré. Plus tard, je découvrais des travaux de fiction sur le sujet, comme l’ouvrage “Pale Blue Dot” de Carl Sagan ou des projections fictives de l’avenir de notre Univers en format vidéo (voir l’excellent “Timelapse du Futur : Un Voyage vers la Fin des Temps”). Plus j’explorais, et plus les pratiques artistiques se prêtant à l’observation et l’interprétation du Cosmos se multipliaient. Je ne compte plus le nombre d’heures que j’ai passées à regarder des vidéos en “timelapse” de la Voie Lactée vue de la Terre (voir cette capture d’Andrés De la Rosa), ou à écouter le piano de Sofiane Pamart (vidéo ci-dessus), Ludovico Einaudi ou Hania Rani pour sublimer mon goût pour l’infiniment grand. Même un des rappeurs que j’écoutais le plus en 2019, Nekfeu, lançait un projet lié à cette thématique: “Les Étoiles Vagabondes”. Les planètes commençaient à tranquillement s’aligner.

“Wanderer above the Sea of Fog” (1818) — Caspar David Friedrich

Le Cosmos comme refuge

La grande remise en question que j’ai vécue en 2020 est venue avec un contexte bien particulier: une pandémie mondiale comme toile de fond. La privation de notre mode de vie habituel avait le mérite de faire revenir les étoiles dans le ciel urbain, ce qui n’était pas pour me déplaire. C’est un constat que je dressais avec Yacouba Djabo, un brillant physicien rencontré pendant cette période, qui était encore plus passionné par l’astrophysique que moi. Yacouba est d’origine burkinabè, et nourrit un rêve depuis plusieurs années: celui de bâtir un planétarium modulable qu’il pourrait mettre en place dans plusieurs villes et villages en Afrique afin de partager son amour du Cosmos.

Yacouba me suggéra, à l’été 2020, de regarder la série documentaire “Une espèce à part”. Ce contenu explore notre réel impact à l’échelle cosmique, et revient aux conclusions communément partagées dans ce milieu: nous sommes insignifiants.

Pendant ce temps prompt à l’introspection que fut la pandémie mondiale, cette rencontre me poussa à mêler mon attrait nouveau pour l’art et ma passion pour l’Univers. “Castor”, réalisé avec le photographe Andrés De La Rosa (Calasmico) en 2020, sera ma première tentative de les juxtaposer. La machine était en route.

“Castor” (2020) — TitiMcCoy et Calasmico

Là où ma profonde mélancolie, en 2020, m’a donné énormément de matière à exploiter, mes différentes connaissances de l’Espace m’ont apporté, quant à elles, un terrain de jeu fertile. J’ai le privilège, en tant qu’artiste, de ne jamais avoir connu le syndrome de la page blanche: à l’inverse, mon apprentissage au cours de ces années m’a amené à apprendre l’abandon de certaines idées. J’avais tendance, à mes débuts, à m’éparpiller et vouloir trianguler tout sujet avec de la symbolique reliée à mes recherches en cosmologie. Avec le temps, ce réflexe s’est peu à peu effacé et a laissé la place à davantage de clarté.

À mesure que je commençais à aller de plus en plus régulièrement aux Beaux-Arts, ma technique commençait à s’affiner. Cette progression me faisait sentir un certain relâchement dans ma pratique. Alors que j’essayais d’exercer un certain contrôle sur mes mouvements à mes débuts, mon trait a commencé à se libérer et à me donner un sentiment de grande liberté. Cette sensation, telle que documentée dans le livre “Flow” de Mihály Csíkszentmihályi, me rapprochait souvent d’un état transcendental. Ce lâcher-prise, cette sensation de détachement de l’enveloppe corporelle, est quelque chose que j’ai eu l’occasion de ressentir dans ma pratique de méditation des dix dernières années. J’ai souvent comparé ces sessions de pleine conscience à un voyage dans le cosmos, une connexion avec une intelligence supérieure que les religions et autres courants spirituels ont essayé de dénommer du mieux possible. La réalisation que le fait de créer pouvait, par la simple pratique, me rapprocher de ce volet mystique me confortait encore plus dans l’idée que je suivais la bonne trajectoire. Aucun doute: il fallait que je persévère.

Exposition “Harmonices Mundi” (2022) à Montréal présentée par les artistes Ēkwē et TitiMcCoy

La seconde partie de cet article traitera de mes débuts dans l’art, du lent assemblage du puzzle créatif mêlant Arts visuels et Cosmos, de mes trois premières expositions liées (directement ou indirectement) à l’Espace, et des effets positifs que tout cela a eu dans ma vie et dans mon cheminement en tant qu’artiste. Abonnez-vous sur Medium ou suivez mon activité sur Instagram pour ne rien manquer!

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TitiMcCoy
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Je combine l'art académique et l'art urbain (street art) pour donner vie à nos quotidiens