Un peu de sincérité…

Benoit Zante
TLDR by Benoit Zante
5 min readSep 30, 2019

J’assiste à beaucoup de talks, pitchs, festivals et événements divers tout au long de l’année, mais là, à l’occasion de l’Oslo Innovation Week j’ai été scotché. Le concept, d’abord, était pour le moins intriguant : “The Start-Up Horror Stories Show”…

Sur scène, quatre entrepreneurs norvégiens, tous un peu déprimés, ont commencé par se présenter rapidement. L’un d’eux, d’une voix glaciale, explique qu’il va nous raconter les mauvaises décisions qu’il a prises, et les conséquences qu’elles ont eues sur sa santé. Le ton est donné.

Puis chacun y va de son histoire (je les raconte en détail pour Maddyness, dans un article à lire ici). C’est émouvant.

L’un tremble en lisant les notes qu’il avait pris au moment de sa dépression.

Une autre est au bord des larmes lorsqu’elle se rappelle de ce soir, où, en plein burn-out, elle explique à son mari que si elle continue à faire ses donuts toute la journée, elle va en mourir (ce à quoi il a répondu quelque chose comme “on ne peut pas s’étouffer avec un donut”).

Une troisième rit jaune quand elle avoue qu’elle a toujours l’espoir de revendre sa startup, dont le nombre de clients n’a jamais décollé.

C’est sincère, c’est touchant et c’est surtout très rare dans un milieu où il faut toujours garder la face, au risque de perdre sa réputation et de ne plus pouvoir recruter ou lever des fonds. “J’ai consacré tellement d’énergie à faire comme si tout allait bien, à répondre aux gens qui me demandait comment allait ma start-up qu’on faisait une super croissance […] On me disait que si je montrais mes vulnérabilités, je ne pourrais plus jamais lever de fonds” reconnaît par exemple l’une des témoins.

Mais il y a aussi un côté voyeur, surtout qu’à la différence d’un Tedx ou d’une Failcon, ces échecs ne sont pas contrebalancés par un succès. Les quatre participants étaient toujours dans le creux de la vague, ou en voie de rémission, mais aucun ne pouvait se glorifier d’un énorme succès.

Forcément, ce genre de témoignages met donc un peu mal à l’aise. D’autant plus lorsqu’on se dit qu’on est aussi partie prenante de ce système qui survalorise les levées de fonds, ne parle que des succès, ignore les travers de l’aventure entrepreneuriale (même si ça change doucement) et glorifie à l’excès la figure de l’entrepreneur.

Deux témoignages illustraient bien le rôle des médias dans ce phénomène. L’un, entrepreneur depuis son adolescence, a fait la couverture des magazines locaux dès l’âge de 16 ans. Alors qu’il n’avait pas encore son produit, “il suffisait de parler du concept de l’entreprise pour se retrouver en une”. Les choses se sont gâtées lorsqu’il est devenu clair que sa start-up ne tenait pas ses promesses. Habitué à être encensé dans les médias, il n’a pas supporté les dizaines d’articles négatifs qui ont suivi et les centaines de commentaires qui les ont accompagnés, l’attaquant lui, personnellement.

“J’ai eu ce que je méritais” reconnaît-il maintenant, tout en expliquant que c’est le système qui l’avait poussé vers la médiatisation, pour faire parler de son entreprise à moindre frais et lever des fonds plus facilement. “Je suis devenu un personnage public et ça a finalement détruit ma boite” résume-t-il.

Une autre entrepreneure raconte comment elle s’est, elle aussi, retrouvée fortement médiatisée alors qu’elle n’avait pas encore de produit, et ce, pendant deux ans. “Il n’y avait pas beaucoup de startups à l’époque, j’étais une femme et il y en avait encore moins.” Son produit a été un flop, et elle s’en est remise difficilement, après avoir passé plusieurs mois sans oser sortir de chez elle.

Finalement, ces témoignages sont une bonne leçon. L’entrepreneuriat, ce n’est pas aussi rose et simple que ce que le papier glacé de Challenges ou les projecteurs de BFM Business peuvent laisser penser. Ce n’est pas fait pour tout le monde. Et, surtout, il faut être solidement entouré (un sujet que j’ai déjà abordé récemment, et, au passage, sur lequel j’ai été particulièrement chanceux).

Autre leçon : valoriser l’échec, c’est bien joli, mais c’est oublier que l’échec peut aussi détruire. Aucun des témoins du “Start-Up Horror Stories Show” ne dit qu’il faut passer par de tels échecs pour apprendre (ils s’en seraient bien passé). Au contraire, s’ils sont sur scène, c’est pour que d’autres n’aient pas à passer par de telles épreuves.

Dédramatiser les échecs, oui, les encourager, non. D’autant plus que, généralement, ceux qui parlent de leurs échec sur scène, sont ceux qui avaient le moins à perdre : ils avaient les bases, le réseau, la bonne école, pour rebondir. Orienter tout le monde vers la création d’entreprise, survaloriser la figure de l’entrepreneur, c’est contre-productif, et même dangereux. Ou alors il faut fournir un sacré filet de sécurité…

PS. Sur ce sujet, une initiative comme le French Tech Tremplin (malheureusement moins médiatiques que les annonces du Next40 que j’évoquais la semaine dernière) est intéressante à suivre. Pour promouvoir la diversité dans l’entrepreneuriat, elle s’appuie sur un processus de sélection sur le terrain, des bourses, non seulement pour financer l’entreprise, mais aussi la vie de l’entrepreneur, et des parrains dont l’engagement dépasse largement ce qui est attendu des traditionnels mentors. Les ingrédients sont là, espérons que cela suffise !

/ Avant de nous séparer //

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Benoit Zante
@bzante

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