Startup nation ? Startup bullshit

Guillaume Odier
Captain Data
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9 min readApr 23, 2018

Un article putaclic politiquement incorrect.

Disclaimer : entrepreneurs (en devenir !), étudiants, curieux du monde des startups : voilà à qui s’adresse cet article. Le tout saupoudré d’autocritique, d’apprentissage et de remise en question des modèles établis.

C’est une super idée, je suis sûr que ça va faire un carton!

Si je dois tout t’avouer, j’ai eu la même idée qu’Airbnb en 2002

Quel entrepreneur n’a jamais entendu ces phrases et ne s’est pas morfondu intérieurement ? Qu’est-ce que vous voulez répondre à ça. Et non je ne suis pas aigri, et croyez-moi, je suis bien reconnaissant que mes amis et ma famille croient en moi.

Malgré le fait que le nombre de média “spécialisés” sur l’entrepreneuriat prolifère, je n’ai pas l’impression que les gens soient vraiment plus éduqués sur le sujet. En fait, j’ai même le sentiment que cela crée l’effet inverse.

C’est quoi l’entrepreneuriat ?

Jeudi 12 octobre 2017, c’était le jour “Option Startup”. Nous recevions des élèves de première S avec pour exercice d’éduquer les jeunes sur le “métier” de l’entrepreneur. Je pense que c’était aussi drôle tant pour eux que pour nous. Mettez-vous à leur place: est-ce qu’à 16 ans vous saviez ce que vous vouliez faire ? Maintenant mettez-vous à ma place: comment est-ce que vous allez faire pour expliquer ce que ça veut dire “monter une boîte” alors que ces jeunes n’ont aucune idée de ce qu’est le monde de l’entreprise. Mais vraiment zéro, nada.

Et naturellement, je me retrouve dans cette position à faire de la comparaison … avec les grands groupes. On est plus dans le startup bashing, mais littéralement dans le corporate bashing. Je m’éclate, je lance des punchlines, les échanges sont timides mais les élèves sentent qu’il y a quelque chose qui nous anime: ils sentent l’énergie, la passion.

J’ai tenté de leur montrer que ce n’était ni tout blanc ni tout noir, qu’il y avait des hauts et des bas, des réussites et beaucoup d’échecs, mais que l’important c’était que l’entrepreneuriat est avant tout une aventure humaine. Quoi qu’on en dise, si vous êtes là purement pour le business, vous vous épanouirez moins. Monter une boîte, c’est partager des valeurs et une vision avec votre équipe, et faire en sorte qu’un maximum de personnes adhèrent à votre message (ça fait presque messie tout ça). Mais mine de rien, le job n°1 de l’entrepreneur, c’est la relation.

Certains me diront que je ne suis qu’un enfant de l’été qui n’y comprend rien, qui n’a jamais passé plus de 6 mois en corpo, et que travailler dans une grande entreprise c’est aussi très bien … et c’est vrai, je n’ai rien à redire. Seulement, les temps changent, la big corporation n’est apparemment plus l’idéal des jeunes ambitieux, ces derniers préfèrent partir en guerre avec leur bite et leur couteau pour justement affronter le monde du business, et forcément déchantent quand il faut faire du business avec un grand.

Non, monter une entreprise n’est pas une bonne idée

C’est long, c’est fatigant, et ça ne vous apportera pas un meilleur train de vie.

Au mieux, si vous êtes étudiant, ça ne change pas grand-chose: vous continuez de mal vous nourrir et de peu dormir. Si vous avez du background dans une société, bingo, vous pouvez être chômeur et gros plus, vous bénéficiez d’une expertise métier. Bravo, vous entrez dans le monde de l’entrepreneuriat.

Une fois ce doux moment de fierté personnelle passé (alors que vous n’avez encore rien fait), commence à s’accumuler des petits succès. Vous avez la pêche, l’humeur est bonne et vous sentez que vous allez littéralement tout exploser. Après tout, vous avez tout lâché pour faire ce qui vous passionne. Et si ce n’est pas le cas, arrêtez tout de suite :)

Si vous n’y connaissez rien, vous allez faire les erreurs classiques: recruter des stagiaires (moins de deux mois sinon il faut payer!), rédiger les statuts (c’est votre avocat qui va être content!), et si vous avez du capital vous allez rapidement faire un cahier des charges pour votre application sans tester le marché, etc. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais bon, vous n’avez toujours rien fait.

S’en suit la réalité terrain : la galère pour trouver ses premiers clients, la confrontation de votre Xème business model qui va finir à la poubelle, les enchaînements de petites erreurs qui vont miner votre moral et votre santé. Mais le jeu en vaut la chandelle, vous en êtes persuadés, moi aussi, et j’espère votre entourage.

Mon seul conseil si vous vous lancez dans le web : comment et pourquoi créer une plateforme web.

Startup nation ?

90% de chance que l’état mette clé sous la porte d’ici 5 ans 😅

Et puis Manu a eu la super idée de faire sa com sur les startups, lui-même “ancien entrepreneur”. Histoire de remettre une couche de buzz dans cet univers qui n’en a franchement pas besoin.

Je lisais récemment “Comment la France est devenue en 25 ans une terre d’entrepreneur”. Et je n’ai pas pu m’empêcher de penser que c’était encore un article putaclic. Force est de constater que pour la grande majorité des média (de l’opinion publique ?), monter une startup c’est génial, que tout va bien parce qu’il y a plein de structures d’accompagnement et une super croissance dans la création des sociétés.

Je ne dis pas que tous les articles de Maddyness et consorts sont mauvais, mais je pense réellement que la France a besoin d’une réalité plus terre à terre vis-à-vis de l’entrepreneuriat. Déjà, par respect pour les gens qui entreprennent et surtout pour démystifier la création d’entreprise … et accessoirement pour avoir du contenu de qualité 😀

Et même si ça fait plaisir à son ego de lire qu’on s’est fait “racheter” (comprendre “absorber les actifs pour rien du tout”), ce genre de “news” ne fait que polluer l’écosystème. Et je mets dans la même catégorie les articles d’auto-promotion, sous couvert de “proposer un article de fond afin d’éduquer”.

A force de rabâcher que “tout va bien”, on finit par y croire. Malheureusement la seule chose qui marche bien, ce sont les (petits) exit, rachetés par des boîtes US (et je vous passe les raisons des rachats, ça pourrait faire un article à part entière). Si les fonds sont présents, ce n’est pas pour autant que les performances sont au rendez-vous. En fait si je reprends l’article que j’ai cité précédemment, on y retrouve “plusieurs critères déterminants” permettant de démontrer que la France est dans la course :

  • 1ère de l’OCDE sur l’intention des jeunes à créer une entreprise
  • 1ère sur le nombre de créations d’entreprises
  • 2ème européenne sur le capital innovation (Venture Capital = VC)
  • “Les grands groupes français sont les plus actifs au niveau de l’OCDE sur la collaboration avec les start-up : 100 % du CAC 40 a lancé un programme en ce sens”
  • “Le système éducatif forme de nouvelles générations à l’entrepreneuriat”
  • 10 fois plus d’incubateurs et d’accélérateurs depuis 10 ans

Bien évidemment, les deux premiers points n’ont pour moi aucun sens d’un point de vue création de valeur. C’est bien, ça montre une tendance (potentielle), mais ça s’arrête là.

Le seul point positif, c’est le capital innovation : il semble qu’obtenir des séries A+ n’aient jamais été aussi “facile”, toute proportion gardée 😀. Il y en a qui diraient qu’une bulle arrive, ou est arrivée. Seulement, le jeu du capital investissement ne devrait pas être autant mis au centre de l’équation d’un pays : pour ceux qu’il l’aurait oublié, le but d’un investisseur c’est de faire de l’argent. Le problème, c’est que dans le financement de l’innovation, il n’y en a franchement pas beaucoup qui en font. Les retours sont d’ailleurs très disparates : soit le fond surperforme, soit il est très médiocre, ce qui donne une mediane nulle, ou très légèrement négative (un peu de lecture).

Ensuite, parler des initiatives corporate sur la collaboration et le citer comme un “critère déterminant” me fait doucement rire, même si la tendance montre que ça s’améliore. Ceux qui font du business avec des grands vous le diront : c’est lent, ça n’aboutit que rarement sur le long terme, les divergences de processus sont ahurissantes etc.

Et enfin, concernant l’éducation sur l’entrepreneuriat, voilà ce que j’en pense : Startup jungle : la foire aux accompagnements.

Besoin d’éducation

Justement l’éducation, parlons-en. J’ai un bac +6 ingénieur et finance d’entreprise, je sors de là avec l’ambition de créer une entreprise pérenne. Punaise, il nous a fallu 1 an pour comprendre le jeu auquel on jouait, et pourtant on est loin d’être les plus mal éduqués sur le sujet de l’entrepreneuriat. Et je peux vous garantir que ce ne sont pas la pléthore de structure d’accompagnement qui va nous/vous sauver. Ni même toutes les écoles à +40K€ les 5 ans 😀

Quand je vois Manu et ses apôtres qui nous rabâchent qu’ils veulent de la mixité (dans tous les sens du terme), je me dis franchement que c’est que de la gueule et du rabattage politique … ou alors qu’il va falloir mettre un sacré coup de karcher (!) sur l’accompagnement des entreprises; pourquoi pas.

Et je parle des ENTREPRISES, pas des startups. Si on faisait ne serait-ce que deux minutes le bilan économique de la France en comparant les résultats des “entreprises” et des “startups”, je pense que les gens seraient d’accord pour noyer le poisson dans l’eau et faire passer les startups pour des entreprises et pas l’inverse.

D’ailleurs, je crois que personne ne s’est amusé à corréler la courbe du chômage et celle de la création d’entreprises, à mon avis il y a de quoi faire. Ne vous méprenez pas : je trouve ça génial qu’on ait l’état providence, la France est un pays fantastique pour créer une entreprise.

Mais posez-vous cinq minutes la question vis-à-vis de cette “startup nation”. Si la volonté de faire émerger des bulldozers innovants est louable, la réalité est bien moins sexy : 90% des “startups“ échouent. Où est la création de valeur là-dedans ? C’est génial, tout le monde peut essayer de monter sa startup, tranquillement au chômage, sans réelle pression. Et puis si ça ne marche pas, on pourra toujours valoriser cet échec dans un entretien. Et puis avec un peu de chance, on pourra lever des fonds et brûler du cash, mais c’est “normal” puisqu’une startup par définition cherche son business model.

Le problème, c’est que l’on rentre dans un débat sans fin, puisqu’il est clair que sans risques et sans tests, la France ne pourra jamais faire émerger des GAFA(M). Cependant la France (les français ?) n’est a priori pas assez pragmatique sur ce sujet (notamment en comparaison avec les Américains), et le système d’éducation à la Française a encore du chemin à faire avant de bien former les jeunes à l’entrepreneuriat.

Wannabe entrepreneur

On a dû nous dire 3 ou 4 fois d’arrêter ce qu’on faisait ou de rejoindre un autre projet à “plus fort potentiel”. Je peux vous dire qu’à force d’entendre ça, ça vous mine le moral; surtout quand il y a une grande part de vérité sous-jacente 😇.

Le truc c’est que:

  • On a une team d’enfer, et je préfère galérer avec eux qu’aller voir ailleurs une entreprise qui va lever des fonds sur un “super projet”. L’équipe fait tout dans un projet, il n’y a qu’à chercher deux minutes les raisons pour lesquelles les “startups” coulent.
  • On n’a pas encore touché le fond du fond 😁
  • La plupart de ces personnes n’ayant jamais monté de boîte, je me pose des questions sur leur légitimité; la différence entre accompagner/regarder est bien différente
  • (Et puis faut le dire, on est borné)

Chez Captain Data on s’est posé deux fois la question “on continue ?”. La deuxième aurait pu nous achever, mais pour survivre on a préféré se lancer dans la prestation de service, ce qui représente aujourd’hui plus de 50% de notre temps.

C’est quelque chose dont on parle peut mais qui est pourtant très largement pratiqué. En fait, presque n’importe quelle startup ayant réussi, sans capital initial ou primo-entrepreneur, est passée par cette phase de “construction survivaliste". C’est hyper dur, ça demande beaucoup de rigueur, mais au moins l’entrepreneur est dans le dur, face à des clients, face à ses processus etc.

Où est-ce que je veux en venir ?

Ayez les pieds sur terre : monter un business, c’est créer une team et rentrer du cash. Ne soyez pas un wannabe, actez.

Ne vous noyez pas dans la désinformation perpétuelle de notre siècle, apprenez par vous-même sur le terrain, et soyez réalistes 😀

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Guillaume Odier
Captain Data

Co-Founder @Captain Data | Tech lover & entrepreneur