Quelle place pour l’Immobilier dans les gouvernements ?

Curiosity is Key(s)
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9 min readMay 12, 2022

Alors que le nouveau Gouvernement devrait être dévoilé bientôt, Curiosity is Keys retrace l’histoire du(non)-Ministère de l’Immobilier sous la Vème République.

Hier, le 11 mai 2022, Jean Castex a réuni pour la dernière fois le Conseil des Ministres. C’est donc avec curiosité que la France attend qu’Emmanuel Macron désigne son gouvernement pour donner la tonalité de son second mandat à la Présidence. Ministre de l’Équipement et du Logement de plein exercice, ministre délégué au Logement et à la Ville, secrétaire d’état chargé du Logement… bien des intitulés de ministères et de grades au gouvernement se sont succédés pour tenter de traiter des thématiques de l’immobilier. Le secteur demande plus et les propositions sur le périmètre le plus pertinent du futur ministre vont bon train. Ce débat n’est pas nouveau. Curiosity is Keys vous propose donc de retracer les évolutions principales de la fonction de son ministère de prédilection.

En 2020, Emmanuelle Wargon remplace Julien Denormandie à la tête du Ministère délégué au Logement sous la tutelle du Ministère de la Transition écologique et solidaire de Barbara Pompili (Photographie issue d’un article de Batirama)

Les acteurs de l’immobilier demandent un Ministère d’envergure et une extension des domaines de compétences

« Les diverses problématiques liées au logement ont parfois peiné à trouver leur place au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron ». Le Parisien fait part de la complexité à laquelle les acteurs de l’immobilier ont dû faire face, obligés de se référer à trois ministères différents : le Logement à la Transition écologique, la Ville, à la Cohésion des territoires et la fiscalité à l’Économie et aux Finances. En attendant la nomination du Gouvernement, l’écosystème pousse donc ses propositions.

La Directrice générale de Nexity, Véronique Bédague s’est positionnée en faveur de la création d’un “Ministère de la Ville de demain” afin de penser le logement de façon locale, structurant l’aménagement du territoire tout en accompagnant la transition écologique, ainsi que nationale, puisque le logement représente l’un des premiers postes de dépense des Français. 💰🌿🏢 En parallèle, un consortium composé notamment de la CAPEB, de l’Union nationale des aménageurs, ou encore l’Union des syndicats de l’immobilier, a demandé un Ministère “de la Construction durable et de l’Aménagement du Territoire” aux candidats de la présidentielle. Une chose est sûre : si son nom reste à trouver, on attend du futur ministère qu’il possède un périmètre étendu pour couvrir l’ensemble des problématiques liés au logement.

Le périmètre n’est pas l’unique enjeu, le grade du ministre est au cœur des demandes. Pour Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers, « on se rend bien compte qu’un ministère délégué n’a pas les mêmes pouvoirs qu’un ministère de plein exercice ». Le logement a été confié à un secrétaire d’état ou un ministre délégué au cours du dernier mandat. Théoriquement, il n’y a pas de distinction hiérarchique entre ces grades, mais le secrétariat d’état possède moins de pouvoirs qu’un ministre, puisqu’il ne dispose pas de budget dédié par exemple. Et en pratique, il s’agit aussi d’un message fort adressé à l’écosystème : lorsqu’en 2018, le remaniement redéfinit Julien Denormandie non plus Secrétaire d’état au Logement mais Ministre du Logement et de la Ville, les professionnels du secteur se sont réjouis. ✊✊ Au travers des gouvernements de la Vème République, c’est semble-t-il davantage le poids politique de la personne nommée qui a influencé la dénomination du poste. Les peu de Ministres de plein exercice que la France a connu regroupent Maurice Faure sous le gouvernement Rocard 2, Christine Boutin, lors de la présidence de Nicolas Sarkozy ou encore Cécile Duflot pendant le quinquennat de François Hollande.

Une vision historiquement morcelée de l’immobilier : de la construction au logement durable

🏢Après la Seconde Guerre Mondiale, un Ministère pour la (re)-Construction 🏢

En 1945, la guerre a détruit une partie du pays, il faut reconstruire. Dans le même temps, on connaît une explosion démographique avec le baby-boom, soutenu par des politiques natalistes. Enfin le redressement économique pousse à l’exode rural, il faut donc agrandir les villes.

De 1948 à 1953, Eugène Claudius-Petit, Ministre de la Reconstruction, « définit trois priorités : la remise à niveau des loyers et l’amélioration du patrimoine ancien, la reprise de l’initiative privée dans le secteur du bâtiment et l’industrialisation des techniques de construction ». Le ministère joue déjà un rôle actif dans le financement de la construction : il construit des HLM, avance les frais des entreprises de construction avec le Crédit Immobilier et obtient de l’Assemblée Nationale que le Crédit Foncier de France augmente le montant des prêts autorisés aux personnes physiques ou morales. On parle alors de l’emballement du secteur aidé.

Avec Pierre Sudreau, également ministre de la Construction sous la présidence du Général de Gaulle « le rythme des autorisations de primes s’accélère au cours du premier semestre 1956 [et] le nombre de logements pour lesquels une prime est accordée s’élève à 116 000 ».

En 1966, les ministères de la construction et des travaux publics et transports fusionnent pour devenir le ministère de l’équipement, ancêtre du ministère du logement, qui s’occupe alors surtout de BTP et d’infrastructures. Son premier ministre, Edgar Pisani implémente la première loi d’orientation foncière qui met en place ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de plans locaux d’urbanisme (PLU) et schémas de cohérence territoriale (SCoT).

👫 Un Ministère aux aspirations sociales, malgré lui ? 👫

Tandis que la construction prend son essor, les nouveaux bâtiments visent à loger des foyers plus modestes issus également des vagues d’émigration des Trente Glorieuses. Sous Pierre Sudreau (1958–1962), non seulement les primes à la construction s’accélèrent mais la catégorie administrative des « zones à urbaniser en priorité » (ZUP) est instaurée en 1958. En périphérie des centres-villes existants, ce sont plusieurs milliers de logements qui sont construits pour accueillir ces populations. Volonté sociale de la part du gouvernement, ces quartiers marqueront dans les décennies suivantes une marque de ségrégation sociale.

En 1973, Olivier Guichard ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Équipement, du Logement et du Tourisme à la fin de la présidence de George Pompidou promeut un renouvellement de la politique urbaine, pensée de façon trop logistique d’après lui, et oubliant « la beauté du décor quotidien ». Instaurateur du débat sur « le droit à la Ville » à l’Assemblée Nationale, il arrête la construction de plusieurs ZUP sous son mandat, pour sortir de la ville dite « des grands ensembles ».

Cette façon sociale de penser le logement et la construction se poursuit jusqu’à la fin du XXème siècle avec la création des APL en 1977 par Jacques Barrot alors secrétaire d’état du gouvernement de Raymond Barre, ou encore avec la loi Quillot, du ministre du logement éponyme qui définit les droits et devoirs du locataire.

ZUP de Pantin, Les Courtillères, de la série de carte postale postée par le sociologue Renaud Epstein (article de Mathieu Dejean, 2019)

🌿 Depuis 15 ans, un tournant pour un ministère de l’Environnement 🌿

Il faut attendre 2009 et les suites du Grenelle de l’Environnement, pour que le ministère du logement dirigé par Benoist Apparu passe sous la tutelle du ministère de l’environnement, dirigé par Jean-Louis Borloo. Le ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, organise alors le Grenelle 2 de l’environnement. Ces rencontres politiques organisées dès le second semestre 2007, s’attaquent alors plus précisément aux questions du logement en 2009. Le Grenelle 2, boîte à outil des politiques environnementales comme le décrit BFMTV, « renforce l’exigence de diagnostic de performance énergétique et entame une modification importante du code de l’urbanisme pour l’adapter aux enjeux du développement urbain durable ».

Depuis 2009, le ministère chargé du logement est presque toujours resté sous la tutelle du ministre de l’Environnement (comme Emmanuelle Wargon qui est actuellement ministre déléguée sous la tutelle de Barbara Pompili), l’amenant à travailler notamment beaucoup sur le sujet de la rénovation énergétique des logements.

La construction mise au second plan n’a cependant pas totalement été abandonnée comme le témoigne la loi Pinel, prorogée jusqu’en 2022. Son dispositif, du nom de la ministre qui l’a instauré sous les gouvernements Vals I et II visait initialement à promouvoir l’investissement locatif avec une réduction d’impôt pour le propriétaire à condition de louer son bien à nu en tant que résidence principale pour au moins 6 ans.

Englober les problématiques de l’immobilier : vers un Ministère du Cadre de Vie ?

Tour à tour de construction à équipement à logement, les ministères de la Vème République ne semblent pas s’être préoccupés de la planification de l’Aménagement du territoire. Ce périmètre a plutôt été partagé avec le ministère de la Ville et celui de la Cohésion des Territoires.

Le ministère de la Ville, un jargon politique pour se préoccuper d’enjeux sociaux.

Le ministère de la Ville contre toute attente n’est pas responsable de l’aménagement ou de l’urbanisme, mais plutôt des notions de « cohésion sociale ». Les quartiers dits « prioritaires » où une partie de la population vit avec un salaire annuel inférieur à 11 250 €, sont également nommés « quartiers de la politique de la Ville ». Créée dans les années 80, sous la présidence de Mitterrand, la politique de la Ville vise à déployer « des projets locaux tant au niveau de l’emploi, de l’éducation, de l’amélioration du cadre de vie, de l’accès à la culture et à la santé ou encore du développement économique » notamment dans les banlieues. En 2018, le gouvernement fait appel à Jean-Louis Borloo, ancien Ministre de la Ville pour proposer un plan pour « faire revenir la République » dans les quartiers face au « repli identitaire et communautaire », toujours challenge majeur du ministère.

La Cohésion des territoires, un espoir pour l’immobilier ?

En charge de mettre en œuvre la décentralisation au sein du millefeuille territorial, ce ministère est en charge des tiers-lieux, des territoires d’industrie et de la fiscalité locale. La variété de sujets couvert par le ministère pourrait ainsi permettre une vision plus englobante des problématiques de l’immobilier. C’est le bilan que nous tirons du mandat de Julien Denormandie, ministre de la Ville et du Logement, sous la tutelle du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en 2018. En effet, les axes prioritaires dépassent alors les traditionnels enjeux du logement, avec « la territorialisation des politiques du logement », la relance de l’investissement dans celui-ci, l’entreprise d’une « réforme de la fiscalité locale et suppression de la taxe d’habitation », et enfin la « définition d’un agenda rural » pour le développement de ces territoires. Ce renouveau n’a pourtant été que de courte durée, puisque lors du renouvellement du gouvernement en 2020, la thématique du logement repasse parmi les prérogatives du ministère de la transition écologique.

Illustration de la ville du quart d’heure (image de la Mairie de Paris)

Un Ministère du Cadre de vie pour changer la donne ?

Depuis le début de la pandémie, les enjeux autour de la question du logement se sont accentués : plus de temps passé chez soit avec le télétravail, une envie de se mettre au vert après un long confinement. Ainsi les flux migratoires des Français ont tendance à se focaliser vers les villes de taille moyenne tandis que les métropoles continuent à se vider. Les candidats à l’élection présidentielle ont su percevoir ce changement d’aspiration chez nos concitoyens. Et comme Curiosity is Keys vous en faisait part dans son article, plusieurs programmes proposaient donc un réaménagement urbain autour du modèle de la « ville du quart d’heure », une ville où l’on trouve au sein d’un même quartier des habitations, des bureaux, des commerces de proximités et des services.

Le logement fait donc partie d’une thématique plus vaste, celle du cadre de vie. Un sujet qui commence d’ailleurs à être abordé au Ministère du Logement puisque la récente réforme du “Pinel” intègre désormais des critères de qualité des logements comme l’accès à des espaces extérieurs ou la hauteur sous plafond (voir notre article).

Peut-être est-ce donc à l’étranger que se trouve la réponse aux demandes des professionnels de l’immobilier ? Comme plusieurs pays d’Afrique, le Bénin possède justement un ministère du Cadre de vie et du Développement durable qui propose une vision englobante des thématiques de l’immobilier : l’habitat qui inclut construction et logement, la territorialisation, l’aménagement du territoire, et l’attractivité des villes.

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