Mettre en scène la religion dans un univers classique de jeu de rôle

Sam Metzener
Flanc à la critique
20 min readMay 18, 2020

Le succès des articles expliquant ici et comment créer une religion dans un jeu de rôle en s’inspirant de l’histoire, ainsi que leur résonance médiatique, m’ont permis de réaliser l’intérêt suscité par cette thématique.

Une autre facette du champ religieux qui me semble passionnante — et qui s’inscrit dans la continuité des précédents articles au sujet de notre pratique préférée — concerne sa “mise en scène”, c’est-à-dire la manière dont il est présenté aux joueurs au cours d’une partie par le biais des interactions avec l’univers ou des rencontres avec les PNJ.

13TH AGE GLORANTHA @Chaosium (mars 2018)

Mon propos porte sur la plupart des jeux “tradis” qui prennent place dans des mondes imaginaires et non notre histoire, quels que soient leur genre (médiéval fantastique, science fiction de type science fantasy ou planet fantasy, post apocalyptique, etc.) et le type de systèmes religieux qu’ils développent (polythéisme, monothéisme, animisme, etc.). Ils sont en effet beaucoup pratiqués et ont une certaine perméabilité concernant leurs représentations culturelles.

La plupart du temps, la religion y est dépeinte de la manière dont nous la percevons en 2020, dans nos sociétés sécularisées qui nourrissent une défiance plus ou moins marquée à son égard. Au mieux, elle n’est qu’un aspect parmi tant d’autres de la sphère intime d’un PJ, au pire elle n’est carrément pas traitée. Parfois, c’est tout simplement un vernis mystérieux et cool mais uniquement esthétique, parce que parler sur le fond de religion représente un risque de clivage (cf. les jeux vidéo de la franchise Assassin’s Creed). Et souvent, elle véhicule de nombreux clichés (même si certains poncifs existent pour de vrai dans la vraie vie). Au final, le résultat est le même : elle est reléguée à la marge.

Qu’on soit bien d’accord, ce n’est pas un reproche. Et si vous ne cherchez pas à mettre le fait religieux davantage en exergue, ne perdez pas votre temps. Cet article n’est tout simplement pas fait pour vous. Mais si vous voulez montrer qu’il peut régir les modes de vie et les comportements de votre jeu préféré pour x ou y raison (le thème de votre prochaine campagne par exemple), cela pourrait peut-être vous intéresser.

Pour ma part, en tant qu’historien des religions, il m’apparaît dommage que ces dernières soient si peu représentées et, quand elles le sont, qu’elles soient cantonnées aux mêmes thématiques (leur versant politique, la répression, l’uniformité de pensée, les luttes épiques entre divinités…).

Dans ce papier, je vous propose divers moyens et pistes de réflexion pour rendre vos religions non seulement plus présentes dans vos parties mais surtout plus dynamiques et vivantes.

Je vais évoquer la visibilité de la religion à deux niveaux : la sphère publique, celle rythmant la vie des états et des cités, ainsi que la sphère intime qui relève des piétés personnelles. Dans les deux cas, elles forment des contraintes créatives fertiles — en tout cas c’est la proposition que je soutiens — car elles poussent à jouer différemment, valorisent certains types de comportement et explorent des thématiques ciblées.

Comme pour les articles précédents, chaque point présenté est suivi de six propositions afin que vous puissiez instiller du religieux dans vos parties par le truchement d’un dé à six faces. Il s’agit d’une limitation, mais elle permet une implémentation rapide en jeu et stimule l’imagination.

(Nota Bene : dans les lignes qui suivent, j’emploie quasi exclusivement le terme “religion”. Il pourrait être remplacé ici ou là par “culte”, “école” ou “mouvement” — surtout quand il s’agit d’institutions au sein d’un système polythéiste. Le choix d’un terme générique que j’ai largement défini dans le premier article — et accorde volontiers au pluriel si besoin — présente néanmoins l’avantage de la systématique.)

(Nota Bene 2 : cet article part du présupposé — émis par la majorité des jeux fantastiques du commerce — que les dieux sont réels et que leur existence ne peut être remise en cause, parce que leurs interventions sont visibles. Soyons clairs, je ne vise pas à nier l’athéisme ou à le minimiser comme système de pensée. Ce serait d’ailleurs très amusant d’imaginer un univers med fan classique, avec des classes, des niveaux et des alignements, à une exception près : les dieux n’existent pas et sont une supercherie totale (je suis sûr que ça existe déjà — si tel est le cas, ce serait sympa de m’indiquer les références dans les commentaires).

1. La sphère publique

Montrez du religieux

Ça sonne presque comme une lapalissade… et pourtant. Le premier élément qui permet de prendre conscience que quelque chose existe, c’est de le voir. Si vous voulez mettre l’emphase sur les aspects religieux de votre jeu, montrez les aux joueurs, par exemple lorsqu’ils se déplacent d’un point A à un point B dans le cadre d’une aventure.

Éléments emblématiques…

  1. Une prêcheuse au coin d’une rue (pas une illuminée parlant de la fin du monde mais quelqu’un d’engagé socialement qui aide les démunis, que ce soit une progressiste ou une conservatrice).
  2. Une procession traverse une grande artère (afin de “lutter” contre quelque chose de négatif affectant votre setting — une invasion, une catastrophe naturelle, un abandon supposé des dieux).
  3. Une cérémonie regroupe des centaines de fidèles (afin de célébrer un événement — triste ou heureux — ou une date du calendrier, ils invitent les PJ à se joindre à eux).
  4. Des pèlerins sont en route vers un sanctuaire (afin de participer à une cérémonie célèbre ayant lieu chaque année).
  5. Des figures religieuses s’expriment sur une question d’actualité ( une question éthique ou sociale dont les PJ ont entendu parler car actuellement sur toutes les lèvres).
  6. Un débat interne déborde dans l’espace public (sur un point de doctrine, l’actualisation d’un rite, le soutien à telle ou telle faction politique, le positionnement par rapport à une nouveauté).

Explicitez la réalité du divin

Il ne viendrait à l’esprit de (pratiquement) personne de se prétendre athée, car le divin agit dans le monde de manière évidente. Pour autant, cette réalité prend des formes différentes en fonction des pays, des époques ou des cultures.

La réalité divine, c’est…

  1. Les miracles qui surviennent dans le monde et qui rappellent à tous le pouvoir du divin (altération des règles de la nature, guérison, victoire, défaite, avertissement, médiumnité, acquisition temporaire d’un pouvoir).
  2. L’absence de hasard. Les coups de pouces ponctuels semblant surgir de nulle part sont la manifestation de la providence. Les dieux gouvernent le monde et ils engagent les humains à arpenter des voies conformes à leurs desseins (une chance inattendue, des signes à interpréter, le débat du libre-arbitre, l’existence du mal).
  3. La bouche de leurs représentants qui expriment leur volonté, dispensent leurs conseils ou vitupèrent leurs malédictions (un oracle transmettant des messages sibyllins, une moniale lisant des signes dans le ciel, un prophète apportant des messages de ruine, une prêtresse lisant l’avenir dans le foie d’une vache, une éminence grise donnant des conseils à l’ombre du trône).
  4. Le fonctionnement parfait de la nature qui exprime la perfection divine (le cycle des saisons, la chaîne du vivant, la pyramide alimentaire, la sénescence, les capacités de cicatrisation ou de reproduction).
  5. La stabilité de l’état, dont les institutions ont été offertes par les dieux, qui permet aux êtres vivants de ne pas vivre comme des animaux (les familles régnantes ont des ascendances divines, les institutions politiques reproduisent des schémas mythiques, les dirigeants ont des pouvoirs thaumaturgiques, les nouveautés sont mal perçues, le réformisme s’éloigne de la religion d’état et débouche sur des courants religieux contestataires minoritaires mais bruyants).
  6. Le divin en moi me connectant à la nature et à l’univers qui le sont également. Être à l’écoute de soi et se comprendre permet de comprendre ce qui nous entoure (le panthéisme, la philosophie de la nature, le naturalisme, le déterminisme, la fluctuation des perceptions, l’intellectualisme).

Connectez vos religions avec le monde

La religion est avant tout garante du bon fonctionnement du monde, et elle imprègne la vie sociale dans son ensemble. Il n’y a pas de distinction entre vie privée et vie publique. Le salut individuel est quelque chose qui n’est pas envisagé et, si oui, qui importe moins que la perpétuation de l’harmonie entre les dieux et les hommes.

Manifestations visibles…

  1. Le calendrier est ponctué de célébrations et de fêtes. Chaque année, il faut déterminer les dates de chacune d’entre elles (certains jours sont propices ou au contraire inadaptés à des activités sociales, politiques, guerrières, sportives — ce serait ballot de faire quelque chose un jour réputé inapproprié).
  2. Avant de réunir une assemblée politique, il faut s’astreindre à un grand nombre de rites (sacrifices, rites de divination, serments solennels, intronisations, purification, respect sacré des émissaires, ).
  3. Une activité sportive ou artistique est précédée d’un cortège votif et d’un sacrifice (les athlètes sont l’objet de milles attentions, les artistes prennent les dieux à témoin).
  4. Avant de prendre une décision importante pour la communauté, il faut consulter un oracle (pèlerinage, voyage, rites, mystères, interprétation).
  5. Déclarer la guerre ou faire la paix se fait en suivant une coutume immémoriale (ouvrir ou fermer les portes d’un temple dédié, sortir ou ranger des armes spécifiques, obligation d’obtenir un signe divin, obtenir l’assentiment de son clan/famille/caste/concitoyens au cours d’une délibération).
  6. Les fêtes sont profondément populaires. Le peuple est remuant et a tendance à ne pas respecter certains tabous pour se rapprocher du sacré (cérémonies funéraires chamboulées, intronisation des dirigeants mise à mal, mise à mort d’un chef ennemi perturbée).

Définissez des normes prépondérantes

Une religion promeut des rites et des comportements à suivre et en proscrit certains autres. Un des questionnements les plus importants relève de la dichotomie pur/impur, parce que ce dispositif symbolique régule le lien avec le sacré, mais plus encore il établit ce qui est à l’intérieur ou hors du système. La peur de la “souillure” est quelque chose de tangible au quotidien car l’impureté entraîne l’exclusion jusqu’à ce qu’elle lavée. Ludiquement, c’est un bonheur car c’est une usine à troubles moraux.

Exemples concrets (et non exclusifs)…

  1. Les pratiques alimentaires sont encadrées (certains aliments ou boissons sont prohibés, d’autres sont obligatoires aux cérémonies, des périodes de jeûne sont prescrites dans l’année, des règles de bienséance à table sont édictées, des rituels émaillant les repas sont mis en place, une part est réservée pour nourrir les dieux).
  2. Les pratiques vestimentaires ne sont pas libres (certains tissus sont prohibés, certaines couleurs sont valorisées — d’autres sont taboues, il est interdit de montrer certaines parties de son corps, les vêtements servent lors de certains rites (parures, salissage, immolation)).
  3. L’hygiène revêt une importance capitale (des ablutions sont nécessaires, les mains ne doivent être jamais sales, l’eau a un caractère sacré, les odeurs revêtent un sens symbolique, les thermes jouent un rôle social, la maladie est signe d’un rejet, la médecine est valorisée, les maladies sont signe d’un rejet).
  4. Les matières organiques son sujettes à caution (le sang joue un rôle central, les liquides biologiques ou les matières fécales revêtent un sens symbolique péjoratif, seules certaines catégories sociales dévalorisées ont le droit de les manipuler, certains comportements ou acte sont prohibés en leur présence, ils sont utilisés pour certains rituels).
  5. Le langage passe à la moulinette (certains termes sont tabous, d’autres sont utilisés dans les rites, il existe des formules protectrices, l’écrit ou l’oral sont valorisés ou rejetés, il existe une langue liturgique, la magie du divin passe par les mots ou les lettres).
  6. La manière de se comporter devient un critère important (certaines valeurs sont mises en exergue — vérité, courage, honneur, respect des ancêtres, le rapport à la mort fait sens, certaines attitudes sont jugées déshonorantes).

Créez une géographie du sacré

Les endroits sacrés de la religion— dévolus au divin — sont l’objets de mille attentions. On les choisit avec méticulosité car ils font le lien entre l’espace terrestre et l’espace divin. Ce n’est pas forcément un bâtiment, mais quelque chose de plus général : un lieu où le.s dieu.x va/vont se manifester temporairement ou durablement.

Les espaces sacrés sont…

  1. Un élément occasionnel qui permet la mise en oeuvre d’un rite (un couteau utilisé pour un sacrifice, un prêtre officiant, un autel le temps d’une cérémonie, une statue qu’il faut vêtir et nourrir, un aliment qui transmet une part du divin aux fidèles, un organe comme le foie permettant de recréer le cosmos à échelle réduite pour y lire des signes).
  2. Un lieu consacré où des cérémonies se déroulent régulièrement (un temple, un site sacré, une source, une faille tellurique, un volcan, le sommet d’une montagne, un espace important pour la communauté — politique, sportif ou artistique).
  3. Un espace consacré momentanément où un signe divin va être attendu et observer (une portion du ciel où observer le vol des oiseaux ou le passage des astres, un enclos où la manière de manger des animaux va être analysée, une table de dissection où regarder les entrailles).
  4. Les routes de pèlerinage sont largement développées (elles sont bien entretenues, des sites sacrés fleurissent le long du chemin, les gîtes y abondent, la marche et l’effort sont valorisés, les pèlerins sont protégés, le cheminement temporel va se pair avec un parcours intérieur, le voyage peut être spirituel— certains prêtres pratiquant des voyages astraux vers le monde divin).
  5. Le corps est lui-même un espace sacré (la vie humaine est valorisée, la santé est mise en exergue, la dissection est proscrite, les interprétations ésotériques font florès, des liens entre le corps et la nature sont tirés et exploités en médecine, en alchimie ou en magie).
  6. Le corps social, c’est-à-dire la communauté, fait l’objet de soins particuliers (les moments de partage sont valorisés, les rites visant à souder les membres abondent, la communauté peut recevoir des parcelles du divin, des analogies avec le corps humain sont établies, l’identité de groupe est renforcée).

Mettez en évidence les activités que vos religions valorisent

Une religion cherche toujours à présenter des facettes précises de son message, son autorité morale et ses valeurs. En d’autres termes, elle propose un discours sur elle-même qui s’apparente à une véritable propagande. Elle le fait par le biais de ses monuments, de l’art, de son corpus de textes ou de son assise sociale qui forment une sorte de vitrine.

Votre religion encourage principalement…

  1. Des institutions caritatives destinées à aider les plus pauvres (hospices, maladreries, léproseries, orphelinats).
  2. Des écoles afin de valoriser le savoir (écoles gratuites, universités, centres spécialisés, formation de clercs).
  3. Des œuvres d’art afin de célébrer la magnificence de ses monuments pour les siècles à venir par l’entremise de nombreux artistes (temples, tombeaux, statues, bras-reliefs, fresques, poèmes, théâtre, mosaïques).
  4. Les rites funéraires qui permettent aux défunts de goûter à la paix de la non-vie (maintenir la barrière entre les vivants et les morts, entretenir les cimetières, apaiser les âmes, accompagner les familles, lutter pour la salubrité et l’hygiène).
  5. Le commerce, car l’activité marchande est un phare de la civilisation (marchés, patrouilles, signalétique des carrefours, conversion de poids et mesures, protection des messagers, lutte contre les faussaires).
  6. Ayant une vocation plus universaliste que le culte d’une divinité, certaines religions se lancent dans à peu près tout.

Présentez les parts d’ombre de vos religions

En s’institutionnalisant, en devenant prépondérantes ou en s’acoquinant avec le pouvoir, les religions se révèlent bien souvent en décalage avec leur message ou leurs idéaux d’origine. A plus ou moins large échelle, c’est souvent ce qui crée des foyers de fracture au sein des communautés.

Éléments problématiques…

  1. La richesse des prêtres est en contradiction avec la valorisation de la simplicité et du dénuement à la base du message (certains prélats vivent dans l’opulence, la richesse des monuments peut choquer, les expropriations sont fréquentes, des explications jésuitiques sont trouvées pour légitimer les inégalités).
  2. L’exclusion de l’Autre — celui qui ne fait pas partie de la communauté — est une réalité, en contradiction avec un message universaliste (une rhétorique agressive se met en place, on cherche à identifier les personnes ne respectant pas les normes majoritaires, les dissidents sont traqués, certaines minorités sont dépeintes avec hostilité).
  3. La violence employée est en contradiction avec les idéaux pacifistes des fondateurs (les dissidents deviennent des ennemis, des persécutions ont lieu à l’encontre des penseurs hétérodoxes ou toute autre minorité, ils sont emprisonnés voire mis à mort, le sang est perçu comme purificateur).
  4. L’esclavagisme est autorisé alors que l’universalisme et l’égalitarisme ont longtemps prévalu (des populations sont jugées inférieures et inaptes à recevoir le message, certains prêtres s’enrichissent par le commerce des esclaves, le clergé se montre peu enclin à condamner les esclavagistes).
  5. La réaction apparaît quand l’institution est bien installée et cherche à consolider sa position (le passé est mythifié, les nouveautés sont perçues avec hostilité, certaines valeurs sont défendues au détriment d’autres jusqu’ici capitales, la défense des acquis passe avant les valeurs fondamentales, la pensée se sclérose).
  6. L’impérialisme est devenu quelque chose de réel, ce qui est en décalage avec l’ancrage territorial local qui était professé (il faut conquérir des terres, la religion doit s’étendre, des supposés sauvages doivent être convertis).

N’essencialisez pas vos religions

Même si elle possède une organisation très élaborée, une religion ne forme JAMAIS un tout monolithique. Il suffit de penser aux innombrables écoles religieuses chinoises ou japonaises, aux myriades d’églises protestantes ou aux courants qui parcourent le chiisme musulman. Même au cœur du Moyen Âge européen, l’Église catholique abritait en son sein plusieurs groupes aux visions du monde différentes voire opposées. Transformez donc vos cultes de Sigmar, d’Orlanth ou de Lathandre, vos chapitres de Space Marines, la religion romulienne ou la Church of Science de Fondation en plusieurs sectes, courants et sous-factions qui partagent un grand nombre d’idées à l’interne… mais qui s’écharpent quand même sur des points très précis. Certains blocs sont majoritaires et d’autres minoritaires, mais ils sont menés à fluctuer.

Idées de querelle…

  1. Un principe théologique pointu de votre religion que le profane peine à comprendre (nature du divin, manifestation du divin, représentation du divin, communication du divin).
  2. La méthode de gouvernance de votre religion (des instances en attaquent d’autres, une instance s’efforce de légitimer son assise, une instance cherche à s’inventer un passé mythique, une crise provoque une remise en question).
  3. Le rapport qu’entretient votre religion avec le pouvoir civil (il faut dominer les dirigeants politiques, les dirigeants politiques doivent exercer leur pouvoir sur les activités religieuses, il ne faut pas se mêler des affaires extérieures).
  4. Le rapport de votre religion avec la violence (un usage réfléchi et normé, des pratiques qui se situent dans son ADN même, des tentatives de la juguler, elle s’en désintéresse complètement, ellel’instrumentalise pour parvenir à ses fins).
  5. Le rapport de votre religion avec l’altérité (un nouveau continent peuplé a été découvert, de nouvelles pratiques sociales apparaissent, le traitement des minorités évolue, une nouvelle religion apparaît et fait concurrence).
  6. La mémoire des fondateurs en regard de votre religion (une découverte remet en question leur rôle, une autre figure semble avoir été écartée, le respect de leurs valeurs d’origine qui s’est délité).
13TH AGE GLORANTHA @Chaosium (mars 2018)

2. La sphère intime

Faites de vos religions une affaire de famille

Il est rare qu’on s’appartienne à soi-même. Même les aventuriers de Donjons et Dragons ont une famille, une communauté voire un suzerain à qui ils sont reliés par toute une série de droits et de devoirs. La religion entre évidemment dans cette catégorie, car dans une société où la vie demeure difficile et où la notion d’individualité est inexistante ou balbutiante, on suit la religion du groupe dont on est membre ou dont son seigneur est dévot.

Les piétés familiales encouragent à…

  1. Révérer les ancêtres qui ont fondé la communauté. Sans eux, pas d’avenir envisageable (il faut entretenir leurs figurines, les nourrir sur l’autel, prier pour eux ou leur demander de l’aide, ne pas les courroucer, les sanctuaires et les cimetières sont entretenus).
  2. Respecter les aînés dont la parole à davantage de poids. Ils sont les garants de la mémoire (les plus jeunes s’occupent d’eux, ils sont bien traités, on les consulte sur de nombreux sujets — politiques mais aussi concernant les coutumes).
  3. Respecter les liens du sang ou de l’honneur qui sont sacrés. La famille et la communauté passent avant toute autre chose car elles protègent les individus (il faut se tenir les coudes, les moments en commun sont valorisés, les étrangers sont regardés avec défiance, l’obéissance et la loyauté sont des vertus cardinales, il y a souvent des liens avec un esprit ou une divinité protectrice de la lignée).
  4. Ce qu’il y ait une place pour chacun. Dans un monde dur, la famille doit être performante pour survire (les excentricités et la désobéissance ne sont pas tolérées, changer de statut social s’avère très compliqué, les scissions sont rares, l’ordre naturel des choses prévaut, le divin sert de modèle à la famille traditionnelle).
  5. Respecter la terre de sa naissance qui forme le cœur des identités (ne pas s’en éloigner, vénérer les sites sacrés qui s’y trouvent, s’y faire enterrer, la défendre en cas d’attaque, ne pas abuser de ses ressources, s’insérer dans le tissu social, ne pas être à la marge, participer à sa prospérité, honorer les récoltes ou les vendanges).
  6. Transmettre ce qui a été appris. Au sein d’une famille les parents ont le devoir d’éduquer leurs enfants dans le système de croyances qu’ils professent (éducation religieuse, apprentissage des gestes, perpétuation des mythes fondateurs).

Créez une somme d’astreintes individuelles

Les dieux ne sont pas disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Une religion n’est pas seulement à sens unique. Il s’agit aussi de s’astreindre à un grand nombre de pratiques qui rythment l’existence et lui donnent un sens. En se focalisant sur des devoirs à accomplir, la religion permet de faire sortir de leur zone de confort certains joueurs ayant une approche utilitariste de leur personnage — qui doit être un vecteur performant leur permettant de vaincre l’adversité et résoudre le scénario.

Contraintes personnelles…

  1. Les prières permettent de formuler des souhaits, des remerciements, des regrets ou de se prémunir d’un mal par le biais de la parole et des sons (prier pour la santé ou la sécurité de ses proches, repousser un démon, vouloir obtenir un bien particulier, demander à avoir un enfant, mettre fin à un malheur, implorer de résister à un conflit intérieur, trouver la force de pardonner).
  2. Les sacrifices permettent de se concilier les faveurs divines ou de se laver d’une faute (chercher à obtenir un animal spécifique, concilier la faveur divine avant de s’y soumettre, aller dans un sanctuaire spécifique pour une demande particulière, respecter un calendrier menant à faire des offrandes différentes au fil des saisons).
  3. Les vœux sont des promesses solennelles faites aux dieux en vue d’obtenir quelque chose en retour. Il est impensable de s’y soustraire mais si des accommodements peuvent être trouvés (jurer de partir en croisade en cas de guérison, dédier un enfant à un dieu s’il survit contre toute attente, proférer une malédiction en cas de rupture des vœux du mariage).
  4. Les pèlerinages forment une astreinte importante pour un croyant et un moyen de découvrir le monde (aller à un endroit précis au moins une fois dans sa vie, aller quérir la guérison d’un dieu vu en songe, visiter le sanctuaire d’un dieu réputé, partir vers un sanctuaire lointain pour laver une faute).
  5. Les religions ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche. Les impôts religieux permettent d’engranger de l’argent et à l’institution de fonctionner. Chaque croyant doit participer (prélèvement d’une part des récoltes ou de la production artisanale auprès des fidèles, dons d’argent de la part des fidèles, incitation aux dons en échange d’avantages spirituels).
  6. Les religions encouragent leurs fidèles à s’apporter une aide mutuelle afin de renforcer leur sentiment d’appartenance (offrir un toit ou un repas à un coreligionnaire en voyage, offrir un asile à une coreligionnaire en fuite, offrir de l’argent à un coreligionnaire dans le besoin, soutenir la famille d’une coreligionnaire décédée, obtenir un travail aux enfants d’un coreligionnaire).

Développez des valeurs et confrontez les

Au fil de ses expériences, chaque individu attache plus ou moins d’importance à certains comportements ou normes perçus comme idéaux. Or, adhérer à une religion implique d’accepter les valeurs d’un système de pensées préexistant. C’est intéressant quand certaines d’entre elles entrent en conflit avec la morale individuelle. En cours de partie, cela crée des situations riches en émotions — des dilemmes moraux — d’autant plus si les valeurs sont perçues comment aussi importantes et estimables l’une que l’autre.

  1. La justice des hommes et la justice des dieux (un criminel aux yeux des autorités civiles l’est-il au regard de ma religion ? Est-il juste qu’une personne inique prospère alors que je me comporte bien et que je souffre ?).
  2. L’amour des hommes et l’amour envers les dieux (mon amour pour ma famille est-il compatible avec mes exigences spirituelles ? Comment gérer mon amour pour une personne qui ne partage pas mes croyances religieuses ?).
  3. Le devoir envers une religion et les intérêts personnels (dois-je mettre à mort cet ennemi de ma religion à qui je me suis attaché ? Arriverai-je à concrétiser la promesse que j’ai faite — offrir mon enfant au temple — alors que mon vœu s’est réalisé ? Dois-je rompre le vœu de silence pour parler au juge du meurtre dont j’ai été témoin ?).
  4. La culpabilité induite par la religion et les sacrifices exigés (Dois-je redonner cet argent que j’ai volé et qui m’a apporté l’aisance matérielle ? Dois-je avouer que ma réputation s’est bâtie sur un mensonge honteux ? Vaut-il mieux que je vive dans le mensonge ou que j’avoue à mon conjoint que je le trompe, au risque de briser ma famille ?).
  5. L’immoralité comme rempart à l’immoralité (Puis-je commettre un acte horrible à court terme pour réaliser quelque chose de bénéfique sur la durée ? Ai-je le droit de tuer quelqu’un pour empêcher un meurtre ?).
  6. La vérité douloureuse et le bonheur ignorant (J’ai fait une expérience de mort imminente — ai-je le droit d’avouer à mes coreligionnaires que tout le monde va en enfer et qu’il n’y a point de salut ? Notre chef est un excellent gestionnaire qui a fait prospérer notre religion mais j’ai découvert que c’est un tortionnaire — dois-je le dénoncer ?).

Imaginez des accessoires

Une religion propose des gestes à reproduire et des enseignements à assimiler. Il est indispensable que ses fidèles possèdent des ustensiles permettant de valoriser les bons comportements.

  1. Un objet pour la prière aide à se concentrer, à se rappeler des bonnes formules et à penser à certains thèmes spirituels enrichissants (un chapelet, un livre de prières, un rouleau à prières, un drapeau de prières).
  2. Un porte-bonheur aide à garder une parcelle du divin sur soi (le morceau d’une relique enchâssée, un attrape-rêves, un médaillon votif, de l’eau d’une source bénie, une mèche des cheveux d’une dryade, les grains de café d’un arbre où vit un esprit, une écaille venant de son animal-totem, une clochette en argent pour chasser les mauvais esprits).
  3. Un symbole permet d’être reconnu par les membres de sa religion (une forme, une couleur, un astre, un élément, une image, un tatouage ou des scarifications).
  4. Une matière purificatrice qui rend l’air meilleur, chasse les mauvais esprits ou apporte le sommeil (l’encens, le sel, une bougie spéciale, le papier arménien, l’eau d’une cascade, les sons d’un tambour sacré).
  5. Un objet permettant de réguler les conflits au sein des communautés (un bâton de parole pour ordonner les discussions, le calumet de la paix pour symboliser la fin d’une guerre, un confortable tapis constellé de symboles sacrés où s’asseoir et discuter, une drogue apaisante).
  6. Un objet occasionnant une souffrance expiatoire pour faire pénitence (un cilice, un fouet, des cordes plombées, des aiguilles en airain, des pinces couvertes de runes, un morceau de bois souple).

Attardez-vous sur les personnes

Une religion, ce n’est pas qu’une liste de divinités qui accordent des pouvoirs et des dogmes à suivre. C’est également un ensemble de personnes qui vivent et développent un espace commun de pensée. Si vous souhaitez montrer de la diversité dans vos religions pouvant trouver une résonance auprès de vos joueurs, pensez aux humains avant de penser aux dieux et créez des rencontres qui les interrogent.

  1. Une religieuse mariée a perdu son époux et deux enfants dans un accident (cela provoque une crise de foi qu’elle exprime à qui veut l’entendre).
  2. Un prêtre guérisseur sans le sous a besoin d’un ingrédient fort rare pour soigner une fillette malade (il fait appel à la générosité des passants).
  3. Une vieille moniale à moitié aveugle cherche un tissu très spécifique pour réaliser un drapeau de prières (elle se montre tatillonne et agaçante mais c’est qu’elle a déjà été flouée par le passé, ce qui avait provoqué une catastrophe au temple).
  4. Un jeune disciple désespéré s’est fait chasser après avoir tué son maître qui le maltraitait (c’était de la légitime défense et il veut prouver sa bonne foi devant les hautes autorités de sa religion).
  5. Une famille pieuse et aimante doit se séparer de son enfant dernier-né qui est la réincarnation de la cheffe d’une religion prestigieuse (ils peinent à s’en défaire et retardent l’échéance).
  6. Une dizaine de prêtres psychopompes bouleversés demandent à qui veut les entendre s’ils ont vu des rossignols au bec doré (leur maître a vu son âme éclater lors d’un voyage astral et des fragments ont atterri dans les petits volatiles qui se sont dispersés dans la région, depuis ils les cherchent mais leur réputation inquiétante joue en leur défaveur).
13TH AGE GLORANTHA @Chaosium (mars 2018)

Pour aller plus loin

Article

SCHEID, John, “Religion collective et religion privée”, Dialogues d’histoire ancienne, vol. 39.2, 2013, pp. 19–31.

RIHOUET, Pascale, “Mettre en scène la croyance”, Archives de sciences sociales des religions, vol. 187, 2019, pp. 49–76.

Magazine

Le numéro 35 des Chroniques d’Altaride contenait un dossier sur la religion dans les jeux de rôle.

http://www.altaride.com/spip/spip.php?article1391

Podcast

Un podcast des Voix d’Altaride sur les dilemmes moraux

http://www.cendrones.fr/voix-daltaride-n5-dilemmes-moraux/

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